Je me suis rendue en Tanzanie le mois dernier pour ma première mission en Afrique depuis que j’ai rejoint la Banque mondiale. C’était un voyage que j’attendais depuis longtemps, tant j'avais à cœur de constater sur le terrain ce que nous pouvions faire de plus pour aider les pays à se relever de la COVID-19. Étant originaire d’Indonésie, c’était aussi pour moi l’occasion de partager l’expérience de mon pays en matière de développement.
La Tanzanie a affiché une croissance soutenue au cours des deux dernières décennies, mais, à l’instar de nombreux pays en développement, elle a pâti de la pandémie. Son économie devrait renouer avec une croissance de 4,3 % en 2021, mais la pauvreté reste supérieure aux niveaux antérieurs à la COVID. Lorsque j’ai rencontré la présidente Samia Suluhu Hassan pour discuter de la manière dont nous pouvions approfondir notre collaboration, j’ai été très impressionnée par sa vision sur le développement de la Tanzanie. Nous avons abordé un large éventail de sujets comme le capital humain, l’éducation, la santé, le développement numérique, le changement climatique et l’accès à l’énergie, ainsi que les transports et l’intégration économique régionale. Et nous nous sommes en particulier entendues sur l’importance d’agir en faveur de l’égalité des sexes pour la prospérité de la Tanzanie.
Investir dans le capital humain, en privilégiant l’autonomisation des femmes et des filles, est particulièrement important à l’heure où, à l’échelle mondiale, la pandémie a fait perdre l’équivalent d’une décennie de gains en la matière. La décision récente du gouvernement d’offrir davantage de possibilités d’éducation aux élèves qui ont abandonné l’école, et notamment aux adolescentes enceintes, est une bonne nouvelle. D’après une étude réalisée par la Banque mondiale, le manque d’opportunités éducatives pour les filles et les obstacles à l’achèvement de 12 années de scolarité coûtent aux pays entre 15 000 et 30 000 milliards de dollars en perte de productivité et de revenus tout au long de la vie. L’éducation des filles peut contribuer à faire sortir les familles, les communautés et les pays de la pauvreté.
Au sein de la Banque mondiale, l’Association internationale de développement (IDA) soutient le développement de la Tanzanie, notamment dans ses efforts visant à combler le fossé entre hommes et femmes. Le marché Makangarawe de Dar es Salaam en est une excellente illustration. Dans ses allées animées, les femmes s'activent, en vendant des fruits et légumes soigneusement rangés sur leurs étals. Grâce aux améliorations apportées dans le cadre d’un projet de développement urbain, le marché dispose désormais d’espaces propres et fonctionnels pour les commerçants, dont beaucoup de femmes. En Indonésie, lorsque j'étais ministre, j’ai moi-même travaillé à la réhabilitation des marchés traditionnels pour répondre aux besoins des femmes, notamment en ce qui concerne l'accès à des toilettes et à des services de garde d’enfants. Ces projets qui, dès leur conception, sont sensibles aux problématiques du genre, peuvent véritablement changer la donne en facilitant l’accès des femmes aux opportunités économiques.
Les femmes sont aussi au cœur des efforts entrepris dans le secteur de la justice, et une initiative, également soutenue par l’IDA, m'a particulièrement frappée. La Tanzanie a mis en place des tribunaux mobiles destinés à améliorer les services fournis à la population, et en particulier aux femmes. Cette « justice itinérante » fournit des conseils et des services juridiques abordables et accessibles dans des zones et à des populations mal desservies. J'ai également eu la chance de visiter l’un des six centres dédiés aux affaires familiales et aux successions, dans le district de Temeke, à Dar es Salaam. Ces centres novateurs regroupent en un même lieu les services juridiques concernant toutes les affaires familiales (héritage, pension alimentaire, divorce, succession et autres questions relatives à la propriété).
J’ai insisté sur le fait qu’il ne peut y avoir de compromis entre écologie et croissance : l’action climatique doit être intégrée dans la planification du développement, non pas demain mais aujourd’hui. En Tanzanie, la priorité est surtout de renforcer la résilience climatique.
Les pays en développement traversent indéniablement une période particulièrement difficile. La crise de la COVID-19 est très inégalitaire, frappant plus durement les plus pauvres, et la reprise est hétérogène. Alors qu’environ 90 % des économies avancées devraient retrouver d’ici à 2022 le niveau de revenu par habitant qu’elles affichaient avant la pandémie, ce ne sera le cas que d'un tiers des économies émergentes et en développement.
Le Groupe de la Banque mondiale aide les pays à faire face aux conséquences immédiates de la crise, notamment concernant l’accès aux vaccins et l’amélioration des systèmes de protection sociale, mais il regarde aussi en avant. Cette crise doit être l’occasion d’examiner les problèmes structurels qui existaient avant la pandémie, et d’œuvrer en faveur d’un développement vert, résilient et inclusif. Dans un monde où nous sommes confrontés à de multiples crises, de la COVID-19 au changement climatique, force est de constater que la pauvreté, les inégalités, le climat et la dégradation de l’environnement sont étroitement liés. La politique de développement doit envisager la durabilité, la résilience et l’inclusion d’une manière bien plus intégrée, en plaçant les individus au centre.
Au cours de mes échanges avec un large éventail de partenaires sur les priorités de développement de la Tanzanie, j’ai relevé de nombreuses possibilités de collaboration permettant de favoriser cette approche. Outre l’éducation inclusive et l’autonomisation des femmes, le changement climatique était au cœur de mes préoccupations, car, juste avant de me rendre en Tanzanie, j’avais assisté à la COP26 à Glasgow.
J’ai insisté sur le fait qu’il ne peut y avoir de compromis entre écologie et croissance : l’action climatique doit être intégrée dans la planification du développement, non pas demain mais aujourd’hui. En Tanzanie, la priorité est surtout de renforcer la résilience climatique. Les pays doivent constituer des portefeuilles de projets porteurs de transformation et adaptés à leurs objectifs — instaurer une croissance durable et réduire la pauvreté — tout en créant un environnement propice aux investissements dans le capital physique, humain et naturel.
Enfin, j'ai également mis l’accent sur le potentiel de l’intégration économique régionale. Il ne s’agit pas seulement de développer l’infrastructure physique, mais aussi de faciliter les échanges. Une étude récente montre que le coût du commerce est beaucoup plus élevé dans les pays en développement que dans les pays développés. À court terme, il faudra s’employer à rationaliser les procédures administratives à la frontière afin de simplifier le passage en douane des marchandises — en tirant parti des technologies numériques. À moyen terme, il faudra améliorer les ports, la logistique et les transports.
J’ai quitté la Tanzanie remplie d’enthousiasme. À Dar es Salaam, j’ai rencontré des jeunes qui changent le cours des choses en agissant dans des domaines aussi divers que le changement climatique, l’autonomisation des femmes, la biodiversité, l’agroalimentaire ou les arts créatifs, et en exploitant la technologie pour innover. Ils m’ont dit combien il était urgent de remédier au déficit d’investissements dans les infrastructures, les connaissances et la connectivité numériques, et de s'attaquer au problème de l’accès aux capitaux pour leur permettre de développer des projets viables. Tous étaient désireux de trouver des solutions aux défis de leur pays. J’ai toujours pensé qu’il était important de s’engager auprès des jeunes, non seulement pour trouver des idées et de l’inspiration, mais aussi parce qu’ils sont notre conscience. In fine, c’est à eux que nous devons rendre des comptes, sans ménager aucun effort pour les aider.
Ce billet a été initialement publié en anglais dans The Citizen.
Liens
Association internationale de développement
Le Groupe de la Banque mondiale et la pandémie de coronavirus (COVID-19)
Prenez part au débat