Secouée par une série de chocs sans précédent, l’économie mondiale a jusqu’ici fait preuve d’une extraordinaire résilience. L’inflation mondiale donne des signes de ralentissement et la plupart des économies affichent des résultats supérieurs aux prévisions établies il y a juste quelques mois. L’histoire offre peu d'exemples d’une spirale inflationniste jugulée avec si peu de peine.
Il y a donc de quoi se réjouir, du moins à première vue. Car cette bonne nouvelle masque une autre réalité, moins visible : la situation critique des 75 pays les plus pauvres et les plus vulnérables du monde, ceux qui sont éligibles aux dons et prêts à faible taux d’intérêt de l’Association internationale de développement (IDA). Ces économies, qui abritent un quart de l’humanité, sont en train de subir un revers économique historique alors même qu’ailleurs les perspectives à court terme s’éclaircissent. Outre l’enjeu humain, c’est une mauvaise nouvelle pour l’économie mondiale, à la fois parce que la croissance mondiale à long terme dépendra beaucoup de l’évolution économique de ces pays et parce que leurs difficultés croissantes pourraient se propager au-delà de leurs frontières.
Figure 1. Croissance et revenu |
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Source : Banque mondiale Note : EMDE = économies de marché émergentes et en développement ; FCS = pays IDA en situation de fragilité ou de conflit ; IDA = pays admis à bénéficier des financements de l’IDA ; LIC = pays IDA à faible revenu ; SS = petits États IDA. Les agrégats sont calculés sur la base de pondérations du PIB réel en dollars aux prix et taux de change moyens du marché sur la période 2010-19. B. L’échantillon comprend 71 pays IDA. |
Les pays IDA sont durement touchés par la conjonction de crises récentes, qui vient s’ajouter à leurs vulnérabilités préexistantes à la COVID et à des problèmes plus vastes comme les effets du changement climatique et la montée des violences et des conflits. D’ici fin 2024, ces économies devraient enregistrer leur plus faible croissance sur une demi-décennie depuis le début des années 1990 (figure 1). Un pays IDA sur trois est plus pauvre qu’il ne l’était à la veille de la pandémie. Entre 2020 et 2024, le processus de convergence des revenus des pays IDA avec les économies avancées est resté globalement au point mort, et la moitié d’entre eux devraient même connaître au cours de cette période une croissance par habitant plus lente que celle des économies avancées (figure 2).
Figure 2. Convergence des revenus |
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Source : Banque mondiale Note :IDA = pays admis à bénéficier des financements de l’IDA. Les agrégats sont calculés sur la base de pondérations du PIB réel en dollars aux prix et taux de change moyens du marché sur la période 2010-19. L’échantillon comprend 71 pays IDA. |
Les taux d’extrême pauvreté dans ces pays sont huit fois plus élevés qu'ailleurs, et le nombre d’individus confrontés à la faim ou à la malnutrition y a doublé depuis 2019, pour atteindre 651 millions de personnes (figure 3). Les pays IDA concentrent ainsi 92 % du nombre total de personnes en situation d’insécurité alimentaire dans le monde. En outre, plus de la moitié d'entre eux sont surendettés ou fortement menacés de le devenir. Alors que plusieurs grandes économies enregistrent une croissance meilleure que prévu, les projections à court terme pour les pays IDA sont, en moyenne, revues à la baisse.
Figure 3. Insécurité alimentaire et pauvreté |
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Sources : GRFC (base de données) ; Mahler et Lakner (2022) ; Banque mondiale ; Portail de données sur la pauvreté et les inégalités (PIP) de la Banque mondiale. Note : CHN = Chine ; EMDE = économies de marché émergentes et en développement ; IDA = pays admis à bénéficier des financements de l’IDA ; IND = Inde. Les agrégats sont calculés sur la base de pondérations du PIB réel en dollars aux prix et taux de change moyens du marché sur la période 2010-19. A. L’échantillon comprend des données relatives à 50 pays admis à bénéficier de l’IDA. B. L’échantillon comprend 75 pays IDA et 83 économies de marché émergentes et en développement non-IDA. Le « monde » comprend 158 pays. |
Les difficultés auxquelles sont confrontés les pays IDA sont accentuées par une conjoncture extérieure défavorable. Par ailleurs, les conflits et les épisodes de violence se multiplient, au détriment de leur stabilité. En outre, leurs besoins d’investissements augmentent, notamment pour lutter contre le changement climatique, sachant qu’un grand nombre de ces économies y sont particulièrement vulnérables. Dans ce contexte, un risque majeur serait de voir cette stagnation s’installer dans la durée.
Il y a toutefois des raisons d'être optimiste. Tout d’abord, rappelons que depuis 1960, 36 pays se sont hissés au-dessus du seuil d’éligibilité aux ressources de l’IDA, et certains d’entre eux, comme la Chine, la Corée et l’Inde, font désormais partie des plus grandes économies du monde. Ensuite, les pays IDA disposent d’un potentiel considérable, à commencer par leur population : la population en âge de travailler dans ces pays devrait croître sensiblement au cours des cinq prochaines décennies, tandis qu’elle diminuera dans les économies avancées et dans d’autres pays en développement (figure 4). Beaucoup d’entre eux sont riches en ressources naturelles, dont certaines essentielles pour la transition énergétique : de l’énergie solaire aux minerais critiques, les économies IDA possèdent des avantages comparatifs considérables.
Certes, il n’est guère aisé de parvenir à réaliser ce dividende démographique qu’offre la jeunesse de la population. Tout comme il n’est pas facile de tirer profit de l’abondance de ressources naturelles. Il existe en la matière des risques évidents, et les mises en garde ne manquent pas (a) : la gestion des ressources naturelles nécessite des cadres institutionnels et réglementaires solides. De même, pour tirer parti d’une démographie favorable, il est indispensable d’offrir à la population des soins de santé et une éducation de qualité.
L’augmentation des investissements (a) sera en définitive le facteur clé qui permettra à ces pays de réaliser pleinement leur potentiel, de faire face à des défis croissants comme le changement climatique et d’avancer vers un avenir meilleur et plus durable. La croissance des investissements dans les pays IDA a été globalement faible ces dernières années. Il faudra à la fois augmenter les investissements publics et privés, tout en veillant à la qualité de ces investissements. Il a été démontré que la mise en œuvre de vastes programmes de réformes augmente la probabilité d’une période prolongée de forte croissance des investissements.
Figure 4. Dividende démographique et besoins d’investissement
Sources : Perspectives de la population mondiale (base de données), ONU ; Banque mondiale.
Note : IDA = pays admis à bénéficier des financements de l’IDA. A. Moyennes pondérées en fonction de la population. La population en âge de travailler correspond au pourcentage d'individus âgés de 15 à 64 ans. B. Les barres représentent les estimations du volume d’investissements annuels nécessaires pour renforcer la résilience au changement climatique et atteindre d’ici 2050 la cible de 70 % de réduction des émissions.
S’il n’existe pas de recette universelle pour enclencher une accélération des investissements, les programmes qui marchent comprennent généralement des mesures visant à améliorer durablement les déséquilibres budgétaires et extérieurs, à assurer la stabilité macroéconomique et à promouvoir diverses réformes structurelles consistant, notamment, à renforcer les institutions, mieux gérer les ressources naturelles, développer le capital humain, améliorer l’égalité des sexes et l’inclusion des jeunes, et lutter contre le changement climatique. Pour de nombreux pays IDA, la promotion de la stabilité constitue également un facteur important. Par ailleurs, l’échelonnement des mesures joue un rôle déterminant et dépend de la situation de chaque pays. Malgré une conjoncture difficile, les pays IDA disposent d’une forte capacité d’agir et sont en mesure de faire avancer nombre de ces objectifs.
La communauté internationale a elle aussi un rôle important à jouer. Dans des circonstances internationales et nationales historiquement difficiles, les politiques mises en œuvre par les pays IDA doivent s’accompagner de financements internationaux conséquents et réguliers. Si les pays IDA parviennent à exploiter leurs atouts démographiques et leur richesse en ressources, ce n’est pas seulement leur propre développement qui en bénéficiera, cela contribuera aussi à faire avancer les objectifs mondiaux.
Pour créer des conditions propices à l’épanouissement des pays IDA, il sera également nécessaire de renforcer la coopération internationale sur les enjeux d’envergure mondiale. Les efforts internationaux devront impérativement aller plus loin pour lutter contre le changement climatique, promouvoir un commerce international fondé sur des règles, mettre en place des processus de restructuration de la dette souveraine plus rapides et plus efficaces, et juguler la montée de l’insécurité alimentaire et des conflits.
Il est essentiel de progresser dans tous ces domaines pour assurer aux pays IDA les meilleures chances possibles d’un avenir meilleur. Et il est indispensable que les pays IDA progressent pour donner au monde une chance sérieuse de paix et de prospérité durables.
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