Publié sur Opinions

Le triple bénéfice des moyens de cuisson propres : environnement, égalité hommes-femmes et santé

Esther Atieno prépare le dîner familial à Kisumu, au Kenya. Son poêle à bois (jiko kisasa) utilise moins de combustibles que son ancien poêle, est plus efficace, et lui donne le temps d'exercer une activité pour un revenu supplémentaire. Photo : Peter Kapuscinski / Banque mondiale Esther Atieno prépare le dîner familial à Kisumu, au Kenya. Son poêle à bois (jiko kisasa) utilise moins de combustibles que son ancien poêle, est plus efficace, et lui donne le temps d'exercer une activité pour un revenu supplémentaire. Photo : Peter Kapuscinski / Banque mondiale

Depuis la survenue de la pandémie de COVID-19, nous sommes beaucoup à travailler depuis notre domicile, et nous n’avons jamais passé autant de temps à cuisiner. Pour certains, la préparation des repas va de pair avec l’agrément d’une cuisine moderne.

Ma grand-mère n’avait pas cette chance : elle s’échinait sur le réchaud à kérosène de sa petite cuisine. Ce souvenir d’enfance est toujours d’actualité pour plus de quatre milliards de personnes. D’après un récent rapport (a) de la Banque mondiale, plus de la moitié de la population mondiale est encore privée d’accès à une énergie propre, efficiente, pratique, sûre, fiable et abordable pour la cuisson . Environ 2,8 milliards de personnes n’ont d’ailleurs aucun moyen d’accéder à des appareils de cuisson propre. L’Afrique subsaharienne est la région la plus touchée au monde : seuls 10 % de sa population est en mesure d’accéder à des modes de cuisson modernes. En Amérique latine et dans les Caraïbes, ce taux ressort tout juste à 56 % et en Asie de l’Est, il s’établit à 36 %. Il s’agit d’un immense défi mondial dont souffrent avant tout les communautés les plus défavorisées, et en particulier les femmes et les enfants, à qui les travaux ménagers sont traditionnellement dévolus.

« L’absence de progrès dans l’accès à des modes de cuisson propres se chiffrerait annuellement à 2 400 milliards de dollars, dont plus de la moitié (soit 1 400 milliards) sont imputables à des problèmes de santé. » 

L’absence de progrès dans l’accès à des modes de cuisson propres se chiffrerait annuellement à 2 400 milliards de dollars, dont plus de la moitié (soit 1 400 milliards) sont imputables à des problèmes de santé. Ce chiffre pourrait encore s’accroître : en effet, outre ses effets sur les maladies respiratoires habituelles, la pollution de l’air intérieur par des combustibles et des fourneaux polluants exacerbe aussi la sensibilité à la COVID-19. Selon l’Organisation mondiale de la santé, la pollution intérieure est à l’origine de près de quatre millions de décès prématurés par an, un chiffre supérieur au total des victimes du paludisme, du VIH/sida et de la tuberculose.

Les femmes supportent une part disproportionnée de ce coût, du fait des problèmes de santé dus à la pollution, des pertes de productivité et de l’insécurité liée à la corvée de bois. Les dangers des techniques et des combustibles de cuisson traditionnels ne sont pas nouveaux, et c’est précisément la dimension genrée de ce fléau qui peut expliquer en partie pourquoi il est souvent négligé . La pollution qui en résulte met en évidence le lien entre cuisine, égalité des sexes, santé, environnement et changement climatique. La COVID-19 vient aujourd’hui augmenter ces risques, et amplifier les inégalités et les multiples formes de discrimination auxquelles les femmes et les filles sont confrontées, y compris dans le secteur de l’énergie.

Les initiatives en faveur de l’accès à des moyens de cuisson non polluants sont à la traîne, freinant la progression des Objectifs de développement durable connexes, notamment en matière de changement climatique. Et les ravages sont considérables : les combustibles ligneux non renouvelables pour la cuisson dégagent une gigatonne de dioxyde de carbone par an, ce qui correspond à environ 2 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre — ou au volume annuel des émissions du Japon. Les améliorations dans ce domaine permettraient d’avancer sur de nombreux fronts : aucune autre intervention climatique n’a autant d'effets bénéfiques à la fois sur l’environnement local, la santé et l’égalité des sexes.

C’est pourquoi la Banque mondiale intensifie ses efforts pour accélérer les progrès et garantir l’accès à des solutions de cuisson modernes pour tous . Elle le fait en mobilisant connaissances, investissements et partenariats, consciente qu’il n’existe pas de panacée et qu’il importe de comprendre le contexte local pour trouver l’approche la moins coûteuse et la mieux adaptée. Pour moderniser les moyens de cuisson et trouver la bonne solution, il convient d’examiner la totalité des interactions en jeu, depuis l’expérience même des personnes concernées (quoi et comment cuisiner) jusqu’à l’écosystème énergétique de leur pays, en passant par leurs conditions de logement (emplacement de la cuisine, taille de la pièce, matériaux de construction, ventilation).

À l’époque où j’étais ministre du Commerce en Indonésie, mon pays a mis sur pied un programme de transition énergétique pour la cuisson, axé sur l’abandon du kérosène au profit du gaz de pétrole liquéfié (GPL). Dans le cadre de ce programme de subvention des combustibles et de réforme énergétique, l’État a investi dans des infrastructures de gaz propane liquide, et notamment dans la fabrication de bonbonnes de GPL, tout en finançant des campagnes de sensibilisation et des subsides à l’intention des populations pauvres. En cinq ans seulement (entre 2007 et 2012), 50 millions de foyers ont ainsi pu accéder à des appareils de cuisson fonctionnant au GPL. Des populations qui, désormais, n’ont plus à s’échiner sur un réchaud à kérosène...

Lancé en 2019, le Fonds pour des modes de cuisson propres (CCF) (a) a un objectif de financement de 500 millions de dollars sur cinq ans. Il versera des dons conditionnés aux résultats pour mobiliser des financements publics et privés, favoriser les innovations technologiques et commerciales, et améliorer le développement du marché et l'accessibilité financière. Ce fonds, qui a rapidement séduit les donateurs, le secteur privé et les puissances publiques, a déjà constitué un vivier de projets au Rwanda, en Ouganda, au Ghana, au Népal et au Myanmar. Ces premières opérations bénéficient d’un cofinancement du CCF dépassant les 100 millions de dollars, avec une contribution au moins égale de la Banque mondiale.

La Banque mondiale développe également des partenariats afin de promouvoir un plus large consensus sur l’importance de la cuisson propre et d’en faire une priorité à l’échelle nationale et mondiale . Cette collaboration vise à soutenir le développement de technologies, de modèles commerciaux et de mécanismes de financement porteurs de solutions abordables. Elle prend la forme de concertations stratégiques de haut niveau, à l’instar de la nouvelle Plateforme d’action en faveur de la santé et l’énergie (a) lancée dernièrement et de l’Initiative du G20 en faveur de l’accès à la cuisson propre et à l’énergie (a), ou est axée sur la recherche et l’innovation, comme le programme MECS (a) et la Clean Cooking Alliance (a). Les organisations de la société civile jouent également un rôle important pour intervenir auprès du grand public et des ménages, sensibiliser les populations au problème et prôner de meilleures solutions.

« À un moment où il est beaucoup question des ingrédients d’une reprise plus durable, il ne faudrait pas limiter les plans de relance à la construction d’infrastructures "vertes" et au contraire considérer les modes de cuisson propres comme un service de base et un élément essentiel de la lutte contre la pandémie. »

Les plans de relance offrent l’occasion d’intégrer la planification énergétique et de s’attaquer aux défis de la lutte contre les moyens de cuisson polluants . Ils peuvent également soutenir les entreprises qui contribuent à la promotion de solutions de cuisson propres et qui sont actuellement en danger à cause de la pandémie, et venir en aide aux ménages qui se sont équipés d’appareils modernes pour empêcher qu’ils ne reviennent en arrière.

À l’heure de la reprise post-COVID, les modes de cuisson propres seront appelés à occuper une place importante dans les trajectoires de développement vert et décarboné, et à jouer un rôle clé dans la réalisation des objectifs climatiques et d’accès à l’énergie. Faisons que cet enjeu devienne une priorité et mettons à profit les plans de relance pour mobiliser les financements et les partenariats multisectoriels qui s’imposent. Ensemble, nous pouvons saisir l’occasion qui s’offre à nous de donner accès à des moyens de cuisson propres aux quatre milliards de personnes qui en sont privées , et d’agir ainsi en même temps en faveur de l’environnement, de l’égalité hommes-femmes et de la santé.

LIENS UTILES

La Banque mondiale et l'énergie

Le Groupe de la Banque mondiale et la pandémie de coronavirus (COVID-19)


Auteurs

Mari Elka Pangestu

Directrice générale de la Banque mondiale pour les politiques de développement et les partenariats

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