Note de la rédaction : Ce billet est le deuxième d’une série de trois publications dans lesquelles nous nous attacherons à décrire le concept de confiance et comment la mesurer, à apporter des informations éclairantes sur le cas du Maroc et à traiter de l’enjeu crucial que constitue l’instauration de la confiance. Ces billets reposent sur un rapport publié récemment et dont les données sont en libre accès. Cliquez ici (a) pour consulter le premier billet.
Dans le premier billet de cette série, nous avons mis en lumière l’importance de la confiance en tant que partie intégrante du développement. Pour autant, on sait encore peu de choses sur la manière dont la confiance se manifeste dans les pays en développement. Qui fait confiance aux institutions ? Quelles sont les institutions publiques qui inspirent le plus confiance ? Et qu’est-ce qui favorise la confiance ?
Ces questions ont pris une acuité particulière dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA), où le ralentissement économique post-COVID, les chocs inflationnistes et l’insécurité alimentaire induite par la guerre en Ukraine mettent à mal la confiance dans les institutions.
En mai et juin 2021, une enquête téléphonique à grande échelle a été menée au Maroc auprès de 6 000 personnes environ dans l’ensemble du pays, sélectionnées selon une méthode de quotas. Cet échantillon a permis de recueillir l’opinion d’un nombre de répondants relativement élevé dans chaque région et pour chaque groupe d’âge, sexe et catégorie de revenu. Cinq grands enseignements se dégagent de notre enquête :
1. Les niveaux de confiance dans les institutions varient considérablement d’un individu à l’autre, et les décideurs politiques devraient prendre acte de cette hétérogénéité. Les données illustrent toute l'utilité d’une analyse infranationale : elles mettent en effet au jour de fortes variations dans les niveaux de confiance entre et au sein des régions, confirmant ainsi une précédente étude de la Banque mondiale qui soulignait l’importance des disparités territoriales dans les pays MENA.
Les disparités selon les groupes socio-démographiques sont également importantes.
- Il existe notamment un écart important entre les sexes : 48 % seulement des femmes ont déclaré avoir confiance dans les institutions, contre 62 % chez les hommes.
- De même, les jeunes sont nettement moins enclins à faire confiance aux institutions, avec un taux de confiance de 49 % en moyenne chez les 18-35 ans, contre 60 % chez les plus de 35 ans.
- Le déficit de confiance est par ailleurs plus important pour les groupes à revenu moyen. La confiance dans les institutions en fonction du niveau de revenu des ménages suit une courbe en U : c’est chez les ménages ayant les revenus les plus bas et ceux ayant les revenus les plus élevés que l’on observe les niveaux de confiance les plus élevés.
Pour résumer, la probabilité qu’un homme à revenu élevé âgé de 51 à 54 ans ait confiance dans le gouvernement atteint 81 %, contre 46 % pour une femme à faible revenu âgée de 20 à 24 ans.
2. Le degré de confiance varie en fonction des institutions : celles chargées de veiller à l’ordre public (justice, police, armée) jouissent d’un niveau de confiance supérieur à celles exerçant un pouvoir exécutif ou législatif. Ainsi, 97 % et 73 % des personnes interrogées font respectivement confiance à l’armée et à la police, tandis que, du côté des institutions représentatives élues, l'exécutif recueille la confiance de 55 % des Marocains, et le législatif seulement 39 %. On observe des tendances similaires dans la plupart des pays de la région MENA.
Note : Cette comparaison régionale repose sur les données issues de la série 5 de l’Afro-Barometer, dont les estimations sont conformes aux résultats de notre enquête.
3. La confiance va de pair avec l’optimisme individuel et collectif. Les données de l’enquête indiquent que 56 % seulement des personnes interrogées pensent que les Marocains se font confiance entre eux. Elles montrent également que cette confiance interpersonnelle se tourne de manière disproportionnée vers les relations intragroupe : famille, cercle amical, voisins. Cependant, il existe une forte corrélation entre la confiance sociale et la confiance politique : 67,7 % des répondants qui se disent convaincus que les Marocains ont tendance à se faire confiance les uns aux autres déclarent également faire confiance aux institutions politiques, contre 40,5 % parmi ceux qui pensent qu’ils ne se font pas du tout confiance, soit un écart de 37 points de pourcentage.
La confiance des Marocains dans les institutions est également corrélée à leur attitude positive envers l’avenir individuel et collectif. Les individus ayant un niveau de confiance élevé dans le gouvernement sont plus susceptibles de croire qu’ils sont maîtres de leur propre vie : un écart de 24 points de pourcentage les sépare de ceux qui ont un faible niveau de confiance (61,5 % contre 37,3 %). Ils sont aussi bien plus enclins à penser que les choix et les actions individuels des habitants de leur pays peuvent changer la société (88 % contre 71,4 %, soit une différence d'environ 16 points de pourcentage).
4. La confiance va de pair avec la solidarité sociale et le consentement à l'impôt. Les individus ayant une plus grande confiance dans les institutions tendent à être davantage favorables à une fiscalité redistributive. Le civisme fiscal est particulièrement faible au Maroc : globalement, les Marocains ont une attitude moins positive à l'égard de l’impôt que les autres pays de la région MENA. Le consentement des citoyens à l’impôt est toutefois fortement associé à la confiance dans les institutions représentatives. Les données de l’enquête montrent que 48 % des personnes ayant un niveau élevé de confiance dans les institutions sont disposées à payer plus d’impôts redistributifs, contre 24,5 % parmi celles déclarant ne pas avoir confiance.
Note : Les prédictions estimées sont dérivées d’un modèle logistique qui régresse le consentement fiscal (à gauche) et l’optimisme individuel (à droite) sur la confiance.
5. La confiance va de pair avec le respect des politiques publiques. Lorsque la confiance s’érode, les citoyens sont moins enclins à coopérer et à agir. Selon les données issues de l’Arab Barometer, les citoyens qui ont confiance dans les institutions de leur pays étaient, pendant la pandémie de COVID, plus susceptibles de respecter les mesures de distanciation sociale que ceux qui ne font pas confiance au gouvernement (96,5 % contre 92 %). Les personnes ayant une plus grande confiance dans les pouvoirs publics étaient également plus enclines à se faire vacciner (92,4 % contre 85 %).
Après avoir dressé un état des lieux de la confiance au Maroc et montré son impact sur le développement, notre prochain billet se penchera sur la manière dont la confiance se construit. Nous nous demanderons notamment ce qui, entre résultats de l'action publique et qualité des processus publics, constitue le facteur le plus déterminant pour instaurer la confiance dans les institutions.
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