Publié sur Opinions

Un virage technologique à 360 degrés

Young woman checks her phone.
La transformation du paysage mondial met la Banque mondiale au défi d’imaginer des innovations et des formules qui apporteront une réponse aux problèmes urgents qui se posent dans les domaines de la santé, de l’éducation et de la protection sociale. (Photo: Simone D. McCourtie)

Que les nouvelles technologies influencent nos modes de communication, de production et de relation, nous le savions déjà. Ce qu’a exposé Benedict Evans (a), associé du fonds de capital-risque Andreessen Horowitz, aussi connu sous le nom de a16z (a), est, en revanche, plus inattendu. À l’occasion d’une récente intervention à la Banque mondiale (Mobile is Eating the World) (a), le célèbre gourou de la Silicon Valley a dévoilé sa vision de l’impact des technologies mobiles sur notre société et sur la communauté mondiale du développement. Exaltantes le plus souvent, troublantes parfois, voici quelques-unes de ses principales réflexions.

Une personne sur 2 connectée 
À ce jour, on dénombre 2,5 milliards de smartphones dans le monde pour une population totale âgée de plus de 14 ans de 5,5 milliards de personnes. La généralisation du mobile s’est opérée selon une courbe en S, typique des nouvelles technologies : un démarrage lent — à ses débuts, l’idée du téléphone portable semblait délirante — suivi d’une phase d’accélération, puis d’un plateau sur lequel nous sommes aujourd’hui. Au plan économique, l’incidence de la technologie mobile est proprement stupéfiante.  
 
Un changement d’échelle
Google, Apple, Facebook et Amazon ont atteint aujourd’hui une taille dix fois supérieure à celle de Microsoft et d’Intel quand, dans les années 90, ces firmes révolutionnaient le monde. Les entreprises du web ont grandi au point d’acquérir une position dominante ; elles ont grandi au point de devenir des géants dans leur secteur, puis des géants tout court. Ces quatre géants s’affrontent dorénavant, mais selon des règles du jeu inédites.                                          
 
De nouveaux modes de calcul informatique
Avec l’apprentissage automatique, le mode de fonctionnement des systèmes s’est vu profondément modifié. Ainsi, plutôt que d’appliquer des règles comme c’était le cas jusqu’à présent, les nouveaux systèmes s’appuient sur de grandes quantités de données dont ils sont capables d’identifier les points communs. Ce faisant, la machine « apprend » à distinguer les informations sans qu’il soit nécessaire de lui programmer des règles. La fiabilité des résultats ainsi obtenus s’améliore de jour en jour.
 
De nouvelles formes de concurrence
Grâce à l’apprentissage automatique, il devient possible de relier directement l’utilisateur et le produit — c’est le frictionless ou technologie sans friction — et d’établir une forme de relation personnalisée avec son ordinateur. Illustration parfaite de cette technologie, Alexa (a) est devenu un « être sensible » qui exécute vos ordres les plus péremptoires, s’occupe soigneusement de la playlist de votre soirée ou encore commande ce papier toilette politique double épaisseur que vous aimez tant... On comprend que les entreprises soient déterminées à en découdre pour devenir cette plate-forme unique qui vous reliera, une fois pour toutes, à vos achats. À cette fin, elles dépensent des sommes très considérables pour vous attirer sur leur plate-forme en vous divertissant — avec des films, par exemple, en lieu et place des annonces publicitaires. Le canal de distribution devient ainsi un produit à part entière.
 
Un secteur en plein tumulte
Ces changements modifient aussi profondément la structure des coûts des entreprises. Dorénavant, avec le Dash button, ce petit bouton que l’on peut coller sur le lave-linge et connecter au wifi, il devient possible, lorsque les réserves de lessive s’épuisent, d’en commander instantanément par une simple pression du bouton. Dans ce contexte, l’éventail des marques soumises au choix du consommateur se rétrécit tandis que le paradigme de la demande est totalement bouleversé. De fait, la publicité traditionnelle et le travail sur l’image de marque deviennent inutiles dès lors que le consommateur est happé dans cette démarche d’achat « sans friction ». Néanmoins, si les coûts diminuent, la concentration du marché risque, à l’inverse, de s’amplifier. Parallèlement, un certain nombre d’autres mutations sont à l’œuvre. Dans l’industrie automobile, par exemple, la transition de l’essence vers l’électricité transforme profondément les chaînes de construction: le moteur V6 est mort, vive la batterie produite en grande série ! L’avènement de la voiture autonome modifiera par ailleurs tant le mode d’utilisation des véhicules que l’organisation spatiale des villes. En effet, un jour viendra où la voiture nous déposera puis rentrera, seule, se garer devant la maison. Tout cela donne une place de plus en plus importante au logiciel dans la chaîne de valeur, avec d’importants effets de réseau qui s’ajoutent aux économies d’échelle, et la nécessité de constituer tout un arsenal de nouvelles compétences adaptées à ces emplois.
 
Quelles implications pour l’économie ?
Comme Benedict Evans le soulignait, les sociétés de la Silicon Valley sont passées maîtres dans l’art de concevoir des objets utiles — même si certains semblent, de prime abord, des gadgets destinés aux nantis — puis d’en faire rapidement baisser le prix à un niveau qui va rendre le produit intéressant aux yeux de la majorité. À mesure que les entreprises se transforment, elles créent de nouveaux métiers qui réclament à la fois compétences et infrastructures nouvelles. Sans ces dernières, les pays en développement ne seront pas en mesure de se positionner sur les nouveaux marchés et partant, de participer à une croissance généralisée. Somme toute, une histoire classique de consommateurs, d’entreprises et de circuits économiques.
 
Quid des pouvoirs publics ?
Les nouveaux systèmes d’information sont susceptibles de transformer la manière dont les pouvoirs publics procèdent pour mieux cibler les bénéficiaires de leurs services. Les nouvelles technologies rendent ainsi possibles des actions hier encore absolument impensables, notamment auprès de communautés physiquement hors d’atteinte à qui des drones pourraient, par exemple, livrer des poches de sang. Les moyens de fournir les services fondamentaux aux populations pauvres s’accroissant, les actions pourront être reproduites à une plus grande échelle et produire un impact accru.
                                                                                                              
Cette transformation du paysage mondial met la Banque mondiale au défi d’imaginer des innovations et des formules qui apporteront une réponse aux problèmes urgents qui se posent dans les domaines de la santé, de l’éducation et de la protection sociale. Car, dans un monde où les nouvelles technologies peuvent rapporter gros, personne ne doit être abandonné en chemin.  
 
Et, puisque l’application qui prédit l’avenir n’existe pas encore, j’aimerais que vous me fassiez part de votre avis sur ce que sera le développement de demain.


Auteurs

Roberta Gatti

Chief Economist, Middle East and North Africa, World Bank Group

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