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Une nouvelle génération de PDG : être chef d'entreprise quand on est une femme en Afrique de l’Ouest

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Comment se sent-on quand on met sur pied et gère un incubateur en tant que femme ? La réponse, comme partout ailleurs dans le monde pour les femmes qui sont dans le monde du travail, est que c'est compliqué.

Dans de nombreux pays, il est encore rare de voir des femmes dans certains secteurs. Regina Mbodj, PDG du CTIC Dakar, connaît très peu de femmes au Sénégal ayant étudié les TIC : « Quand je suis rentrée à la maison et que j'ai raconté mes études, beaucoup de gens ont répondu : ‘Je pensais que seuls les hommes faisaient cela !’ »

Mariem Kane, ingénieure de formation et maintenant présidente de l’incubateur mauritanien Hadina RIMTIC, fait remarquer que cela peut être difficile pour les quelques femmes qui ont reçu une formation technique : « Il n’est pas évident pour les femmes de trouver des débouchés dans les secteurs qui requièrent des compétences techniques et, parce que nous sommes considérées comme mieux adaptées à des compétences sociales, nous n'avons pas toujours la possibilité d’y faire nos preuves. »
 

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M. Noueigued, PDG de la Banque
nationale de Mauritanie, et Aissata
Lam, présidente de iLab. © iLab
 

Aissata Lam, présidente de l’incubateur mauritanien iLab, a étudié et travaillé à l'étranger. Quand elle est rentrée pour la première fois en Mauritanie, elle n'a pas toujours trouvé facile d'être prise au sérieux en tant que jeune femme d’affaires. « Ce n'était pas une promenade de santé, mais, » se souvient-elle en souriant, « je n'abandonne pas facilement. Il faut être déterminée, il y a un million de raisons de ne pas essayer dans un environnement dominé par les hommes, mais je ne serai pas de celles qui s’arrêtent là ».

Mariem a ressenti la même chose : « Vous êtes simplement prise plus au sérieux quand vous avez plus d'expérience, les gens réagissent plus rapidement et voient que vous apportez quelque chose de concret sur la table ».

Lisa Barutel, fondatrice et PDG de La Fabrique, commente également les barrières spécifiques à l'âge au Burkina Faso, en disant que les jeunes femmes burkinabées n'ont tout simplement pas l'habitude de se voir dans des positions de pouvoir, et qu’elles s'excluent donc du leadership. Elle reconnaît que cela commence à changer à mesure que la démographie du pays favorise de plus en plus les jeunes. Néanmoins, le mariage demeure la principale attente sociale pour les femmes. Plusieurs des chefs d'entreprise interviewées déplorent que les femmes instruites continuent de faire face au postulat qu'elles doivent sacrifier leur carrière au profit des tâches ménagères et familiales.

Les chefs d'entreprise qui sont elles-mêmes des mères soulignent toutefois que les sociétés africaines peuvent parfois offrir aux mères qui travaillent le genre de soutien qu'on envierait dans d'autres parties du monde, à savoir un réseau familial et social solide et solidaire, ainsi que la prévalence des travailleurs domestiques, pour s'occuper de leurs enfants et de leur foyer.

Fatoumata Guirassy, chef d'entreprise du premier incubateur d'entreprises de technologies vertes de Guinée Saboutech, est actuellement en congé de maternité : « Bien qu'il soit parfois difficile de tout gérer, ma famille, mes amis et mes voisins me soutiennent énormément » dit-elle. « Pour moi, c'est davantage une question de timing et de mentalité ; je ne considère pas du tout le fait d’être mère comme un obstacle. »

Lisa fait le même constat pour le Burkina Faso : « C’est généralement une société tolérante et ouverte, surtout en ce qui concerne les responsabilités multiples des femmes. Les Burkinabés sont beaucoup plus souples et plus compréhensifs que les Français sur ces questions ; les femmes ici sont toujours considérées comme des mères avant tout, donc l'importance de l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée et de la solidarité familiale est intrinsèquement prise en compte ».

Mariem met toutefois en garde contre le fait de trop insister sur le rôle de la maternité : « Je pense que toutes les femmes, et pas seulement les mères, ont des engagements qui peuvent rendre difficile l'équilibre entre le travail et la vie à la maison. » Néanmoins, elle estime que le fait d'être une mère qui travaille est un avantage : « Cela complique les choses, mais je pense que le fait d'avoir des enfants m'a fait mûrir plus rapidement et m’a préparé aux défis à venir » dit-elle. « Mais en fin de compte, je pense qu'il est difficile pour les femmes de trouver un équilibre, que ce soit en Afrique ou en Europe. »

« C'est difficile quoi qu'il arrive », reconnaît Regina, « et dans l'ensemble, je pense que les hommes et les femmes entrepreneurs font face aux mêmes défis ». Insistant sur la nécessité d'être axée sur les résultats dans le secteur privé, elle ajoute : « Il s'agit de beaucoup plus que du genre. »

Fatoumata et Lisa, dans le même temps, soulignent qu'elles ne tiennent tout simplement pas compte des différences entre les genres dans leur travail. La Fabrique a un personnel à prédominance féminine, mais Lisa insiste sur le fait que ce n'est pas intentionnel : « Pour moi, c'est une question d'expérience, de qualification et de motivation. Je me soucie de votre capacité à faire votre travail, pas de votre genre ».

« Je ne vois vraiment pas cela comme un avantage ou un inconvénient » ajoute Fatoumata. « C'est peut-être plus difficile quand on remonte la chaîne de commandement et qu'il y a moins de femmes, mais c'est vraiment une question de mentalité ». En pointant du doigt le Parlement rwandais, où 60 % des députés sont maintenant des femmes, Fatoumata s'exclame : « Regardez comment leur économie a décollé ! Je suis convaincue qu'une fois que vous donnez aux femmes la chance de participer de manière significative, cela profite à l'ensemble de la société. »

« D'une certaine façon, je pense que c'est notre force, que nous pouvons faire autant de choses à la fois, tout comme un bon entrepreneur » conclut Binta Ndiaye, PDG de MakeSense Afrique. « Il y a ce stéréotype persistant selon lequel les femmes africaines sont opprimées, mais nous sommes toujours en train de nous battre – nous avons des enfants, nous travaillons, nous gérons toutes ces choses à la fois ; c'est exactement la même mentalité et la même motivation dont un entrepreneur a besoin pour réussir. »

Si Binta a raison, nous vous laissons avec cette réflexion : tous les entrepreneurs ne seront pas forcément des femmes, mais peut-être n'importe quelle femme pourrait-elle être entrepreneur.
 


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