Comme nous l'avons vu dans notre premier billet de blog, nos six PDG sont très optimistes sur les incubateurs et leur soutien potentiel au développement économique de leur pays. On ne va pas loin dans le secteur privé sans être réaliste, cependant, et elles ont mis en garde contre le fait de voir l'entrepreneuriat comme un remède universel aux problèmes de chômage et de déficit de compétences des jeunes en Afrique de l'Ouest.
« Nous devons examiner notre propre contexte et développer notre propre modèle d'entreprenariat », déclare Binta Ndiaye, PDG de MakeSense Afrique. « Je vois nos universités enseigner des modèles d'affaires obsolètes d’inspiration européenne et ce n'est tout simplement pas convenable, apprendre et reproduire la même chose ne fait rien pour l'innovation. Je dis : ‘Donnez aux jeunes les outils dont ils ont besoin pour entreprendre leur propre projet et voyez où ça les mène !’ »
Fatoumata Guirassy, PDG du premier incubateur d'entreprises guinéen Saboutech, est également optimiste quant à l'incubation d'entreprises et au rôle clé qu'elle peut jouer : « La Guinée se réveille de la crise d'Ebola et 60% de nos jeunes sont encore au chômage. Le secteur privé a beaucoup de potentiel pour combler ce manque et construire une classe moyenne viable ; je pense vraiment que ce sera un élément central du développement de la Guinée. »
Cependant, Lisa Barutel, fondatrice et PDG de La Fabrique, met en garde contre le risque de trop attendre de l'entreprenariat : elle souligne que l'entreprenariat n'est pas la panacée qui résoudra tous les défis du développement de l'Afrique de l'Ouest. Comme le dit Fatoumata : « L'entrepreneuriat n'est pas la solution, c'est une solution qui doit faire partie d'une stratégie plus large. »
La durabilité a été citée par presque toutes. Fatoumata précise que les incubateurs ne sont pas un cas à part et ne sont pas automatiquement viables : « Cela dépend de la façon dont nous nous positionnons ; nous devons être capables de connecter les différents organismes d'appui et de travailler ensemble sur le terrain pour construire un écosystème viable qui soutiendra les entrepreneurs. » Mariem Kane, fondatrice et présidente de l'incubateur Hadina RIMTIC en Mauritanie, souligne que l'assistance technique et le renforcement de l'appui financier aux incubateurs doivent être des éléments essentiels de l’équation : « Nous devons établir un réseau plus solide de partenaires et de mécènes parmi les investisseurs et les hommes d'affaires si nous voulons accroître notre impact. »
Regina Mbodj, PDG du CTIC Dakar, souligne l'importance de lier la durabilité à la qualité de des entreprises : « Le taux d'échec des start-ups au Sénégal est de 90%, mais en trois ans environ 90% de nos bénéficiaires survivent, en partie parce que nous les aidons à contourner une grande partie des obstacles typiques auxquels se heurtent les entrepreneurs ». C'est la même logique qui anime la Fabrique : « Nous essayons de ne pas nous éparpiller, nous fournissons un modèle économique durable pour les entrepreneurs que nous soutenons, et nous devons donc nous concentrer sur quelques clients à la fois. » La Fabrique soutient actuellement 10 projets (il est prévu que ce nombre atteindra une vingtaine d'ici à 2019 avec le soutien de l' OIF et du PAI), en fournissant des services de communication, de graphisme, de développement commercial et de comptabilité. Cette taille relativement petite est tout à fait intentionnelle : « Nous voulons seulement soutenir de véritables entreprises sociales. Il faut du temps et de l'argent pour incuber une entreprise, et je préfèrerais travailler avec 20 projets qui ont un énorme potentiel d'impact au niveau national ou régional, plutôt qu'avec 200 groupes qui veulent juste expérimenter quelque chose. »
Notant l'important déficit de compétences, Lisa va plus loin en disant : « Je pense que les jeunes ont cette vision idyllique d'être leur propre patron, mais être entrepreneur ça signifie travailler 24 heures sur 24 et même alors, il faudra un certain temps avant de voir des bénéfices, sans parler du seuil de rentabilité ». Mariem est d'accord, ajoutant que tant que les écosystèmes entrepreneuriaux seront sous-développés, il sera plus difficile pour les jeunes de résister à la stabilité que d'autres secteurs peuvent offrir : « C'est facile si vous n'avez pas d'engagements, mais finalement, une fois que vous avez des responsabilités, qu'il s'agisse de la famille ou des dettes, les obstacles et le déséquilibre entre le travail et la vie personnelle sont trop décourageants ».
Lisa voit ainsi La Fabrique comme une source de développement plus endogène : « Ce que nous faisons, c'est encourager les gens à développer leur propre pays par le biais du secteur privé. Il faut penser au développement au niveau régional, ce qui se passe sur un marché dans une partie de l'Afrique de l'Ouest peut avoir un impact significatif sur le marché ici, tout est lié et peut avoir un impact réel, c'est pourquoi nous nous concentrons tant sur l'entreprenariat social. »
Citant l'importance de mettre en place davantage d'incubateurs sectoriels, Regina est « Fière de la contribution que nous avons apportée, surtout avec le peu de ressources dont nous disposons, mais le CTIC Dakar ne peut pas accueillir tous les futurs entrepreneurs du pays ». Mariem avance un argument similaire : « D'autres secteurs ont également besoin d'aide, comme l'agro-industrie, les énergies renouvelables et l'économie numérique, en particulier dans les zones rurales ». L'action d'Hadina se concentre sur le renforcement des compétences en TIC des populations de ces zones, afin qu'elles puissent contribuer à leur économie locale sans avoir à migrer vers les villes, un phénomène qui ne cesse de croître en Mauritanie. « Nous voulons que les jeunes comprennent que, même au niveau local, nous faisons tous partie de la chaîne de valeur et contribuons au développement du pays. »
Elles avaient bien sûr beaucoup plus à dire sur leurs entreprises et leur secteur. Vous en apprendrez davantage dans notre prochain billet de blog.
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