Veiller à ce que les lois et règles fiscales soient correctement appliquées est essentiel pour que les gouvernements puissent collecter les fonds nécessaires à la réduction de la pauvreté et à la fourniture de services publics. Ces dernières années, plusieurs études ont mis en lumière des réformes cherchant à renforcer le respect des lois et réglementations fiscales dans les pays à revenu faible et intermédiaire. Elles visent en particulier à améliorer l’application de la loi et à mener des audits à partir de différentes sources de données, à offrir de meilleures incitations aux agents du fisc et à introduire des technologies numériques dans l'administration fiscale.
Néanmoins, quelle que soit la démarche, une question majeure est la plupart du temps négligée : quel est le rapport entre le genre et le respect des obligations fiscales ? Dans sa dernière note d’information intitulée en anglais Unpacking Tax Compliance from a Gender Perspective, le Programme mondial sur la fiscalité se penche sur les moyens d'assurer l'équité de traitement de tous vis-à-vis de l'impôt et nous aide à comprendre l'importance que cela revêt à la fois pour les hommes et pour les femmes. Cette note apporte un éclairage inédit sur ce qui peut être fait pour transformer notre approche de la discipline fiscale et de l’égalité des sexes.
Pourquoi se poser la question du genre en matière de discipline fiscale ?
Premièrement, le genre peut influer sur le comportement des contribuables en matière de respect des règles fiscales. Des données provenant de pays à revenu élevé indiquent que les femmes seraient moins enclines à sous-déclarer leurs revenus pour échapper à l’impôt, par exemple, au Danemark (a) et en Nouvelle-Zélande (a). Si la fraude fiscale est aussi plus fréquente parmi les hommes dans les pays à revenu faible et intermédiaire, cela peut compromettre la progressivité du système et conduire à une situation où le taux d’imposition effectif est plus lourd pour les personnes à bas revenus. Et, dans ces pays, les femmes sont surreprésentées dans cette catégorie de contribuables, ce qui creuse encore plus les écarts de revenus entre les sexes. Malheureusement, nous manquons de données sur le respect des obligations fiscales dans les pays à revenu faible et à revenu intermédiaire.
Deuxièmement, les efforts déployés par les pouvoirs publics pour faire respecter les règles peuvent avoir une incidence différente sur les femmes et les hommes. Par exemple, cibler la recherche de fraudes à l'obtention de crédits d’impôt pour enfants à charge plutôt que lutter contre l'évitement d'autres impôts pourrait avoir un effet négatif sur les femmes et les familles à bas revenus, car ce sont elles qui bénéficient majoritairement de ces crédits d’impôt. En revanche, le ciblage des mesures de renforcement du civisme fiscal sur les particuliers fortunés est un moyen d’accroître la progressivité et de réduire les écarts de revenus entre les sexes, car les femmes sont sous-représentées dans la tranche supérieure de la distribution des revenus.
Troisièmement, les femmes et les petits contribuables pourraient supporter une charge disproportionnée en raison d’une moins bonne connaissance du système fiscal. Voici quelques exemples :
- Une récente étude (a) transnationale révèle que les petits contribuables demandent moins souvent la déduction de TVA acquittée en amont, de sorte qu’ils perdent de l'argent et supportent une charge fiscale plus élevée. Donc, si les femmes sont plus susceptibles d’être de petits contribuables et connaissent moins bien le système fiscal, elles risquent d'être pénalisées.
- Par ailleurs, les femmes peuvent se heurter à des obstacles pour accéder aux services fiscaux, en particulier dans les régions où les normes sociales sont restrictives, et elles ont moins tendance à demander l’aide d’un professionnel de la fiscalité (voir par exemple cette étude sur les contribuables au Pakistan [a]).
- En Afrique, les commerçantes ou entrepreneures à bas revenus sont souvent soumises à de multiples taxes ou charges, ce qui peut les décourager de participer pleinement à la vie économique (par exemple, au Nigéria [a] et en Sierra Leone [a]).
La fracture numérique entre hommes et femmes dans le domaine fiscal
La numérisation a des effets contrastés pour les femmes contribuables. Elle peut atténuer les contraintes de mobilité et de temps, en réduisant le besoin d’interactions directes avec les agents du fisc. Cependant, s’ils ne sont pas bien conçus, les systèmes fiscaux numériques pourraient exclure les femmes qui manquent de compétences numériques ou d’accès aux outils technologiques nécessaires.
Notre étude souligne toute l’importance de rendre les services fiscaux numériques accessibles à tous, avec des contenus clairs et une formation répondant aux besoins différents des femmes et des hommes. La réduction de la fracture numérique peut conduire à des systèmes fiscaux plus inclusifs et plus efficaces.
Le déficit de données
Le manque important de données ventilées par sexe nous empêche de comprendre la dynamique de genre en matière de discipline fiscale. Sans ces informations, il est en outre difficile de concevoir des politiques fiscales qui favorisent une croissance inclusive.
Quelques recommandations pratiques pour combler les écarts
La note d’information propose plusieurs mesures pour remédier aux disparités entre les femmes et les hommes en matière de discipline fiscale :
- Collecter et analyser des données administratives fiscales ventilées par sexe pour guider les décisions politiques.
- Mettre en place des services aux contribuables et des campagnes d’éducation adaptées aux besoins des femmes et des hommes, notamment en simplifiant les procédures de déclaration et de paiement et en mettant en place des programmes de sensibilisation ciblés. La segmentation des groupes de contribuables par taille d’entreprise ou par secteur peut aider à remédier à leurs problèmes spécifiques. Par exemple, étant donné que les petites entreprises sont souvent majoritairement dirigées par des femmes, la création de petits bureaux d'accueil pourrait mieux aider ces femmes à accéder aux services fiscaux.
- Mettre au point des enquêtes auprès des contribuables de manière à recueillir le témoignage des femmes et des hommes sur leur relation avec le système fiscal, notamment la nature des impôts qu'ils versent, les lieux où ils les paient et les contraintes auxquelles ils se heurtent pour ce faire. Il convient d’accorder une attention particulière à la conception, à la méthodologie et à la mise en œuvre des enquêtes, afin de s’assurer que les opinions des femmes sont prises en compte, ce qui est primordial dans les contextes où le manque d’accès aux technologies ou à internet pourrait limiter les réponses des femmes.
- Investir dans des programmes de culture numérique et veiller à ce que les plateformes fiscales numériques soient conviviales et accessibles aux femmes, en particulier dans les zones rurales et à faible revenu.
Toutes ces recommandations ont pour but de mettre sur pied un système fiscal qui favorise l’égalité des sexes, réduit les inégalités de revenus et stimule une croissance économique inclusive.
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