Au Sahel plus que partout ailleurs, parce que les eaux de surface y sont rares, les eaux souterraines sont l’indispensable carburant d’une prospérité partagée. Mais pour que cette ressource invisible puisse être exploitée durablement au bénéfice de tous, l’appui de la science reste nécessaire.
C’est à Aristote (384-322 av. J.-C.) que nous devons les premiers travaux connus sur le cycle de l’eau. Et depuis le philosophe grec, l’exploration des eaux de notre sous-sol est le fait d’érudits passionnés, qui n’ont de cesse de partager leurs trouvailles et d’en débattre sur la place publique. Le Professeur Gilbert Castany nous dit même que la conception moderne des eaux souterraines est l'aboutissement de sept millénaires d’observations et de cheminement collectif de la pensée. Evidemment, ce cheminement s’est fortement accéléré depuis l'écossais James Hutton et son Theory of the Earth qui a fondé la géologie moderne en 1788. Mais il existe une constante tout au long de cette évolution : les chercheurs et savants, dilettantes ou académiques, ont toujours largement diffusé leur recherche pour qu’elle soit débattue. Aujourd’hui, au travers des services géologiques nationaux et des universités, les spécialistes continuent de progresser dans leurs connaissances en partageant leurs découvertes qui sont encore commentées, critiquées et reprises.
Mais il faut bien constater que depuis les débuts de la géologie moderne, l’exploration hydrogéologique au Sahel n’a été qu’éparse et intermittente. Et au cours des 50 dernières années, ces travaux ne sont finalement que peu débattus. Au Tchad par exemple, Jean-Louis Schneider (Le Tchad depuis 25000 ans, Masson) nous apprend que l’essentiel de l’exploration de la ressource en eau souterraine a été conduite entre 1943 et 1970, date de la publication de la première carte hydrogéologique. Et si d’importants efforts se font actuellement pour actualiser cette carte, les travaux en cours ne peuvent malheureusement s’appuyer que sur de trop rares références récentes issues d’une thèse défendue devant un jury de spécialistes ou issues d’une publication dans une revue scientifique à comité de lecture.
Plus rare encore sont les contributions des hydrogéologues nationaux à ces travaux. Car qu’ils soient conduits au Tchad ou dans de nombreux autres pays de cette région, les explorations engagées depuis les années 1970 portent une large part d’ingénierie et visent pour la plupart à la construction d’aménagements à court terme. Pour cela, elles font le plus souvent appel à une expertise internationale. Et parce qu’elles impliquent peu la communauté académique, elles ne sont pas non plus l’occasion de former les prochains hydrogéologues locaux et de capitaliser dans ces pays le savoir hydrogéologique.
Des progrès restent aussi à faire dans le domaine de la gestion de la ressource, d’autant plus que cette gestion doit se faire par des acteurs qui ne sont pas des hydrogéologues. Des études conduites au Canada sur le transfert des connaissances sur les ressources en eau souterraine ont mis en évidence les difficultés qu’ont les acteurs de l’aménagement du territoire à s’approprier une information hydrogéologique complexifiée par le fait que l’eau souterraine n’est pas visible. C’est-à-dire que même lorsque l’information hydrogéologique est disponible et validée par le milieu académique, la pertinence de son usage va toujours dépendre de la qualité de son appropriation par des acteurs non spécialistes. Cette difficulté est alors exacerbée dans les pays où l’information hydrogéologique est parcellaire et incertaine, et où rares sont les spécialistes à même de la vulgariser.
Ainsi, si nous voulons que l’utilisation des eaux souterraines soit un levier majeur de transformation socioéconomique inclusive, un changement de paradigme dans la réflexion sur cette ressource et dans sa gouvernance est nécessaire. Au Sahel comme dans de nombreux pays qui ont été à l’écart de la recherche appliquée dans ce domaine, les axes de progrès sont multiples. En commençant par renforcer l’exploration du sous-sol et de ses eaux. Et en y associant le monde académique, obtenir l’assurance que les résultats seront de nouveau commentés, critiqués, partagés et repris. Il faut aussi veiller à l’émergence d’hydrogéologues régionaux plus nombreux qui, à terme, pourront vulgariser ces connaissances pour une gestion réussie. C’est pour initier ce changement que la Banque mondiale lance, avec le concours de CIWA (Cooperation in International Waters in Africa), un état des lieux de la capitalisation du savoir hydrogéologique dans le Sahel intitulé The Sahel groundwater initiative. Gageons qu’avec ce programme, les bases d’une transformation réussie pourront être posées.
Pour en savoir plus sur le travail de la Banque mondiale, rendez-vous sur: www.worldbank.org/water.
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