Publié sur The Water Blog

Promouvoir la sécurité de l’eau pour sortir du piège des conflits et des risques climatiques dans le bassin du lac Tchad

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L’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale se heurtent à des difficultés multiples, et notamment à l’intensification des effets du changement climatique, comme des épisodes de sécheresse prolongés et des saisons des pluies imprévisibles qui provoquent des inondations dans le Sahel ; à une forte croissance démographique et des migrations dans la région ; et également à une situation de fragilité découlant de la faiblesse des institutions, de l’instabilité politique, de conflits et du terrorisme. La Coopération pour les eaux internationales en Afrique Internationale (CIWA) s’efforce d’améliorer la gestion des ressources en eau en identifiant des investissements et l’action à mener et en comblant des lacunes au niveau des connaissances et des capacités. Il a ainsi entrepris une évaluation de la sécurité de l’eau dans la région du lac Tchad, première étape de l’élaboration d’un cadre de sécurité de l’eau qui aidera la région à surmonter ces difficultés.
 
La richesse de la biodiversité du lac Tchad, de ses zones humides, des systèmes d’eau souterraine et des cours d’eau connexes produit d’importants services écosystémiques. Elle contribue aux moyens de subsistance d’environ 30 millions de personnes, dont les activités sont étroitement liées à l’agriculture, à l’élevage et à la pêche, et qui vivent pour la plupart dans les pays qui bordent le lac (Cameroun, Niger, Nigéria et Tchad), mais aussi dans certaines régions situées au nord-ouest de la République centrafricaine, dans le bassin hydrographique actif du lac. Si le bassin topographique et souterrain dans son ensemble s’étend largement au nord et à l’est et couvre certaines régions de l’Algérie, de la Libye et du Soudan (soit près de 2,4 millions de km²), la superficie du bassin hydrographique « actif », ou bassin « conventionnel » comme défini par la Charte de l’eau du bassin du lac Tchad, est de 967 000 km². Bien que productif, le bassin connaît de sérieuses difficultés. Outre les chocs climatiques, cette région affiche l’un des taux les plus élevés au monde d’extrême pauvreté, de conflits et de terrorisme, lesquels provoquent des déplacements massifs de population et fragilisent le tissu économique et social des communautés. La population du bassin est prise au piège des conflits et des risques climatiques. D’une part, les facteurs de stress politiques, sociaux et sécuritaires accablent les pouvoirs publics et, d’autre part, le changement climatique accroît la variabilité du climat, notamment celle des régimes des précipitations, l’incertitude et, par conséquent, les risques de conflits autour des ressources naturelles. Pour ne rien arranger, la population de la région croît à un rythme élevé et pourrait doubler entre 2010 et 2045, ce qui ne fera qu’accroître la pression sur des ressources naturelles de plus en plus rares.

Hycinth Banseka est le directeur technique de la Commission du bassin du lac Tchad (CBLT), qui administre la Charte de l’eau du bassin du lac Tchad. Il participe aux côtés d’autres membres de la Commission et de CIWA à l’élaboration d’une évaluation visant à mettre au point une « approche transformatrice de la sécurité de l’eau » appliquée à la gestion des ressources naturelles. M. Banseka explique, dans le cadre d’un entretien avec CIWA, comment les effets conjoints du changement climatique, du manque d’accès à l’eau et des conflits nuisent aux communautés locales. L’élévation des températures et l’évapotranspiration diminuent les ressources en eau auxquelles peuvent avoir accès les populations pour assurer leurs moyens de subsistance et leurs activités économiques, ce qui accroît les tensions et débouche parfois sur des conflits. Au Cameroun, par exemple, la diminution des ressources en eau a conduit certains pêcheurs à détourner des cours d’eau par des canaux afin de créer de petits étangs dans lesquels ils élèvent des poissons. Les animaux en pâture peuvent toutefois tomber dans les canaux qui traversent les plaines et se briser le cou, ce qui compromet les moyens de subsistance des éleveurs.

L’année dernière, des violences ethniques ont éclaté entre éleveurs et pêcheurs dans deux communautés tribales du nord du Cameroun, qui souffraient déjà des violences perpétrées par le groupe armé Boko Haram. Les affrontements ont fait au moins 12 morts en une semaine et ont poussé des milliers de personnes à fuir leurs foyers. Si les actes de violence ne sont pas nouveaux, « les effets croissants du changement climatique et de la pénurie d’eau risquent de multiplier les conflits si on ne parvient pas à améliorer l’accès à l’eau nécessaire aux différentes communautés ». Cette situation est exacerbée par la présence de groupes armés qui facilitent l’accès aux armes.

M. Banseka note en outre que « nous ne pouvons pas faire grand-chose contre le changement climatique, mais ce que nous pouvons faire, c’est adopter de meilleures solutions » pour utiliser l’eau plus efficacement et réduire la dégradation de ces ressources.

Hycinth Banseka

 

Les conflits et les déplacements compromettent également la sécurité de l’eau. Selon l’Organisation internationale pour les migrations, la région du lac Tchad comptait, en octobre 2022, 3,1 millions de personnes déplacées et quelque 320 000 réfugiés.1   Les femmes déplacées sont particulièrement vulnérables, en raison des conditions précaires dans lesquelles elles doivent travailler, notamment une alimentation en eau insuffisante et l’utilisation de puits manuels isolés, qui les exposent à des conditions physiques difficiles et à la violence sexospécifique.

Les besoins en eau des réfugiés vivant dans des camps exercent une pression supplémentaire sur les ressources en eau locales, ce qui provoque souvent des tensions avec les communautés d’accueil. Selon M. Banseka, « Dans une communauté qui n’a qu’un ou deux points de forage où il est possible de puiser de l’eau potable, comment faire pour approvisionner des milliers de réfugiés en eau ? Cette situation créée des tensions et accroît le risque de conflits avec les communautés d’accueil. L’amélioration de la gestion des ressources en eau et la promotion d’un accès plus équitable sont indispensables à la résilience.

Hycinth Banseka, directeur technique de la CBLT, devant un puits au Tchad.
Hycinth Banseka, directeur technique de la CBLT, devant un puits au Tchad.

Nous devons concevoir des stratégies afin de garantir aux populations, où qu’elles vivent, l’accès à l’eau dont elles ont besoin pour développer leurs activités économiques, et maintenir leurs structures et leurs liens communautaires », déclare M. Banseka. Selon lui, cela leur permettra de mieux résister aux chocs climatiques et aux menaces extrémistes, et ainsi de réduire autant que possible les risques de conflits internes.

La sécurité de l’eau est aussi indispensable au développement durable. « Il ne peut pas y avoir de développement dans un environnement incertain », dit M. Banseka. « La question est de savoir comment améliorer la sécurité et passer progressivement d’interventions d’urgence à des opérations de développement. »

L’évaluation de la sécurité de l’eau transfrontalière du lac Tchad menée par la Coopération pour les eaux internationales en Afrique (CIWA) examine les facteurs de risque — surtout le changement climatique — à l’origine de la vulnérabilité, de l’insécurité de l’eau et des conflits. Elle contribuera aux efforts déployés par la Banque mondiale et d’autres bailleurs de fonds pour aider la région à prospérer. Cette évaluation s’appuie sur les leçons tirées des actions menées au cours des 20 dernières années dans la région par des institutions nationales et internationales, dont la Banque mondiale. Elle permettra ainsi de définir un cadre de sécurité de l’eau porteur de transformation en élargissant le champ des interventions pour englober un grand nombre de solutions pour la gestion des ressources en eau, y compris les eaux souterraines et les mesures d’adaptation fondées sur la nature, afin de mieux intégrer les multiples systèmes/niveaux de gouvernance de l’eau au-delà des organismes de bassins, en particulier dans les régions sensibles à la fragilité et aux conflits.

Une réunion régionale des parties prenantes devrait être organisée début 2023 dans le but de passer en revue l’évaluation sur la sécurité de l’eau et les analyses approfondies, et de formuler des recommandations sur les priorités dans le domaine de l’eau. Il est prévu d’organiser une série d’ateliers plus ciblés pour recueillir les retours du terrain et finaliser ces outils au début de 2023. Cela permettra de mieux comprendre les perspectives et les priorités des pays et du bassin dans son ensemble. Les ateliers serviront également à obtenir les commentaires des parties prenantes et susciter leur adhésion de manière à recenser les principaux besoins en matière de sécurité de l’eau, à améliorer le modèle de soutien à la gestion des eaux transfrontalières et à promouvoir la réalisation de projets exécutés par les bénéficiaires.


1Matrice de suivi des déplacements de l’OIM — Crise du bassin du lac Tchad, octobre 2022

 

Pour en savoir plus

Blogs

Retour sur 20 ans de coopération dans le domaine de l’eau transfrontalière en Afrique de l’Ouest : Bilan et Enseignements

Gestion intégrée par problème : une solution pour la sécurité hydrique dans le G5 Sahel

Une vision globale des ressources en eau pour gérer et préserver le Lac Tchad


Vidéo (PROLAC)

Faciliter la collaboration pour tirer parti des possibilités offertes par le Lac Tchad

 


Auteurs

Jorge Trevino

Spécialiste en gestion des ressources en eau

Thierry Davy

Spécialiste principal en gestion des ressources en eau

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