Publié sur The Water Blog

Services urbains : les systèmes d’eau prépayée en Afrique

Cette page en:

ImageLes systèmes de prépaiement peuvent-ils élargir l’accès aux services de l’eau aux populations défavorisées des villes et centres urbains d’Afrique ? Peuvent-ils en améliorer la qualité ? Cette solution peut-elle au contraire interdire aux plus pauvres un plus large accès à l’eau ? Les systèmes de prépaiement sont-ils trop coûteux, imposent-ils de nouvelles contraintes sur le plan technique, social et de l'accessibilité des prestataires de service qui peinent déjà à répondre à une demande en eau croissante ? Et qu’en pensent les usagers ?

Une nouvelle étude du Programme pour l’eau et l’assainissement de la Banque mondiale, intitulée The Limits and Possibilities of Prepaid Water in Urban Africa: Lessons from the Field (a), approfondit ces questions, en se fondant sur des éléments factuels tirés de huit études de cas à Kampala, Nairobi, Nakuru, Lusaka, Maputo, Mogale City, Maseru et Windhoek. La plupart de nos lecteurs savent que, dans de tels contextes, il est urgent de trouver de nouvelles approches. Si l’Afrique connaît une accélération de son urbanisation, de larges pans de sa population urbaine ne bénéficient toujours pas d’un raccordement à l’eau. Les solutions de prépaiement peuvent-elles modifier la donne ?

Nous avons appris que…

les systèmes de prépaiement de l’eau ne sont pas un remède miracle et ne peuvent pas régler les problèmes plus larges de gestion. Cette solution n’est pas à première vue rentable pour les opérateurs et n’offre pas une fiabilité optimale. Un prestataire de service qui ne peut garantir une gestion et un suivi efficaces, une bonne gouvernance et des relations saines avec ses clients héritera de contraintes qui excèderont de très loin ses capacités s’il veut recourir à un système de prépaiement.

chaque solution de prépaiement a des implications différentes. Les bornes-frontières sont mises à disposition de personnes dont le foyer n’est pas raccordé, ce qui leur permet d’acheter l’eau au prix pratiqué par les compagnies publiques, sans la majoration appliquée par un intermédiaire et sans interruption de service. Les compteurs individuels de prépaiement peuvent éviter aux usagers le risque de s’endetter et de subir des coupures d’eau, et aux prestataires de service le risque d’impayés. L’installation de compteurs chez des clients institutionnels, grands consommateurs d’eau, permet une meilleure gestion de la demande et du risque d’impayés, et un meilleur recouvrement des recettes qui peut favoriser des subventions croisées au bénéfice des populations défavorisées. Entre ces trois solutions, les bornes d’alimentation publiques sont vraisemblablement les plus à même de mieux servir les quartiers les plus pauvres et de compenser les investissements réalisés et les frais de fonctionnement induits, à la condition de disposer d’un réseau de distribution doté d’une pression suffisante, de points de vente bien situés pour l’achat de crédit et d’une capacité d’intervention rapide pour tout accident.

les systèmes d’eau prépayée ne se résument pas à la simple pose de compteurs et à l’aspect technologique. Techniquement, le système s’appuie sur trois composantes : les compteurs, la distribution et l’achat de crédit. Pour assurer la qualité des prestations, plusieurs facteurs sont essentiels : i) favoriser l’achat de crédit, en s’appuyant sur un réseau de points de vente accessibles et fonctionnels, situés à proximité des usagers, aux horaires flexibles et fiables ; ii) assurer un suivi rigoureux et une grande réactivité pour identifier et résoudre rapidement les problèmes et ; iii) mettre l’accent sur la communication avec les clients, par le biais d’un service client qui peut agir vite dans l’éventualité où un incident affecterait l’approvisionnement en eau que les usagers ont déjà payé.

le prépaiement peut profiter aux usagers, qui majoritairement semblent apprécier cette option. La technologie est loin de les intéresser. Ce qu’ils veulent, c’est une qualité de service, abordable et fiable. Beaucoup disent que les systèmes de prépaiement leur permettent d’avoir une maîtrise plus directe de leur compte. Ils savent à tout moment où en est leur consommation d’eau, ce qu’un système classique ne peut offrir, caractérisé par un risque de facturation élevée et erronée, d’impayés et de coupure d’eau ou de recours à des intermédiaires susceptibles de majorer leur prix.

les systèmes de prépaiement encouragent les prestataires de service à proposer leurs services à des populations pauvres dans des zones où les perspectives de revenus étaient limitées ; ils permettent un meilleur recouvrement des recettes et un moindre gaspillage de l’eau. Cependant, ces revenus n’égaleront ou ne dépasseront les coûts induits par le prépaiement que si les volumes de consommation sont importants ; le volume des ventes à réaliser sera largement déterminé par la prise en compte des coûts dans l’établissement des tarifs.

la question de l’accessibilité et de la rentabilité du prépaiement demeure problématique. Les coûts chez les prestataires vont vraisemblablement augmenter (du moins, pour un temps) pour les raisons suivantes : hausse significative des dépenses d’équipement en compteurs ; multiplication probable des fuites et des factures liées aux réparations, là où une meilleure gestion de la demande entraîne une plus grande sollicitation du réseau ; charges récurrentes (coût des dispositifs de vente, régularité des réparations et du suivi…) et commercialisation de plus grands volumes d’eau à des tarifs sociaux subventionnés plutôt qu’à tarif plein. Les prestataires de service doivent anticiper ces coûts et leurs effets sur les recettes. 

les compteurs d’eau prépayée ne peuvent contrebalancer l’inefficacité des systèmes de facturation et de recouvrement. La viabilité des systèmes de prépaiement (comme celle de l’activité d’un prestataire de service) dépend des grilles tarifaires. Si un prestataire, pour une raison ou une autre, applique un tarif inférieur au coût (sur des tranches de consommation minimale), il n’est pas assuré de trouver un avantage financier supplémentaire en appliquant un système de tarification relativement élevé.

par ailleurs, les performances demeurent aléatoires : la technologie n’est pas aussi fiable ou aussi efficace que celle du paiement anticipé de l’électricité, parce que les compteurs de prépaiement comportent plus de pièces mobiles et sont vulnérables à l’humidité, au sable et à l’air. Si l’industrie du prépaiement doit se développer, il faut que les compteurs puissent être réparés par des intervenants locaux et que le fournisseur garantisse un service après-vente de qualité et l’approvisionnement de pièces détachées.

Comment les opérateurs peuvent-ils faire en sorte que la technologie de prépaiement soit à la fois profitable à leur activité et aux usagers les plus pauvres ?

Avoir une seule priorité : toucher des populations qui ne disposent pas d’un raccordement à leur domicile. Les systèmes de prépaiement ont pour principal atout d’offrir une solution aux populations urbaines d’Afrique non raccordées à un réseau d’adduction d’eau et qui ne peuvent accéder à des subventions. Le prépaiement n’offre pas de solution immédiate à cet enjeu, mais certains aspects peuvent y répondre partiellement.

Écarter l’idée que la technologie de prépaiement est intrinsèquement préjudiciable aux pauvres. Certains craignent que les systèmes de prépaiement ne fassent la part trop belle aux opérateurs qui pourraient interdire leurs services en eau aux personnes qui ne peuvent régler d’avance leur consommation d’eau ou dont le crédit est épuisé. Mais la technologie n’est qu’un instrument au service de responsables politiques et d’organismes de réglementation qui décident seuls des dispositifs de protection et des mesures sociales à mettre en œuvre, et des recommandations pour associer étroitement les usagers au déploiement de la technologie.

Réfuter l’idée que le prépaiement induit une logique de marchandisation, voire de privatisation de l’eau, comme on l’a sous-entendu à propos des compteurs d’eau prépayée. En effet, sur les huit prestataires de service figurant dans cette étude, les deux organismes les plus en pointe n’étaient ni des acteurs privés ni des entreprises du secteur public, mais des régies de l’eau municipales soucieuses de fournir un service qui réponde aux besoins de leurs usagers.

Prendre en considération les enjeux liés aux systèmes de prépaiement qui pèseront sur les prestataires de service. Les coûts élevés de lancement entraînent d’importantes difficultés. Les fournisseurs de service devraient procéder en amont à une évaluation approfondie de l’incidence des coûts et des recettes que représente l’introduction de compteurs d’eau prépayée, par rapport aux solutions existantes. Les autorités de réglementation économique et les hauts responsables politiques pourraient à ce titre jouer un rôle important.

Penser la technologie à grande échelle. Si les systèmes de prépaiement de l’eau doivent être déployés plus largement, il faut en améliorer la solidité et la fiabilité. Les technologies de l’information et de la communication pourraient modifier la donne : elles élimineraient l’utilisation peu pratique des jetons et pourraient relier les compteurs à prépaiement à des téléphones portables et des vendeurs. L’instauration d’un système de transferts standard (STS) semble également prometteuse pour l’ajout de crédit et le règlement de la consommation d’eau à partir d’une plateforme commune au prépaiement de l’électricité ; l’adhésion à des normes internationales favoriserait une plus grande compatibilité entre des marques différentes. En équilibrant les exigences réglementaires et la demande des prestataires de service pour des composantes communes à toutes les marques, on pourrait parvenir à un compromis entre tarification, qualité de service et innovation au bénéfice des habitants défavorisés des centres urbains qui ne disposent toujours pas d’un accès à une eau de qualité.

Résumons…

Les systèmes de prépaiement ne sont pas une solution miracle : ils doivent être encadrés par des dispositions d’ordre politique et réglementaire, ainsi que d’autres mesures transformatrices, et pouvoir assurer des délais d’intervention rapides en cas de panne. Loin d’être nécessairement préjudiciables aux populations pauvres, ils peuvent contribuer à élargir l’accès à un approvisionnement en eau amélioré.
 

Voir aussi


Nouvelle étude : The Limits and Possibilities of Prepaid Water in Urban Africa: Lessons from the Field (a)

Nous souhaitons savoir ce que vous avez appris et quelles informations vous avez relayées lors de la Semaine mondiale de l’eau (a). Nous suivons étroitement le fil #wwweek pour en savoir plus. Vous pouvez également nous suivre sur le compte @worldbankwater.
 


Auteurs

Chris Heymans

Senior Water & Sanitation Specialist

Prenez part au débat

Le contenu de ce champ est confidentiel et ne sera pas visible sur le site
Nombre de caractères restants: 1000