Les programmes de protection sociale adaptative, de plus en plus répandus en Afrique, permettent de répondre aux chocs en s’appuyant sur les filets sociaux traditionnels. À la différence de ces derniers, qui aident les ménages pauvres en leur fournissent une assistance régulière sous forme de prestations monétaires et d’autres services, les filets de protection sociale adaptative aident les ménages affectés par des chocs en leur fournissant une assistance ponctuelle, généralement sous forme d’assistance monétaire rapide. La protection sociale adaptative a ainsi permis d’aider des dizaines de millions d’Africains affaiblis par la pandémie de COVID-19, auxquels s’ajoute un nombre croissant de ménages sinistrés par les sécheresses et les inondations.
Les principaux pays où l’usage des instruments de FRC a été couronné de succès se trouvent en Asie du Sud-Est et en Amérique latine. En Afrique de l’Ouest, les pays du Sahel offrent des conditions bien différentes : insécurité alimentaire chronique, taux de vulnérabilité élevé, manque d’infrastructures de paiement, faible disponibilité des données et marge budgétaire souvent limitée.
Dans de telles conditions, le FRC peut-il contribuer efficacement à la protection sociale adaptative au Sahel ? Une récente Note d’orientation (a) déconstruit cinq idées reçues à ce sujet en expliquant pourquoi elles ne s’appliquent pas ou peu à la région.
Idée reçue no.1 : Le FRC se résume à la mise au point d’instruments financiers
Contrairement à ce que son nom semble indiquer, le FRC ne se résume pas aux questions de financement. Dans le Sahel, des outils analytiques de FRC ont en effet permis de hiérarchiser les risques, planifier des activités de réponse aux chocs, mettre au point des mécanismes de déclenchement, analyser l’évolution des coûts et comparer différentes stratégies financières. Au Niger, par exemple, la mise au point d’un instrument de FRC a permis d’estimer de combien auraient varié le nombre de bénéficiaires et le coût d'un filet de protection sociale adaptative si les paramètres de sa conception avaient été ajustés. En Mauritanie, la mise au point d’un logiciel de modélisation a permis d’estimer l’impact des sécheresses sur l’insécurité alimentaire, puis de hiérarchiser les communes à inscrire au registre social du pays en fonction de leur niveau d’insécurité alimentaire.
Idée reçue no.2 : La mise en place d’instruments de FRC devrait constituer une priorité urgente pour les pays du Sahel
Avant d’établir des mécanismes de FRC, les pays du Sahel devraient s’assurer que leurs programmes de filets sociaux couvrant une part significative des populations vulnérables, reposent sur des bases solides et peuvent faire l’objet d’une expansion rapide. Au Kenya et au Malawi, les filets sociaux adaptatifs ont intégré des mécanismes de FRC dès leur conception, en plus d’afficher une couverture élevée et de fonder leur mise en œuvre sur des mécanismes éprouvés. Dans le Sahel, au contraire, les filets de protection sociale n’ont atteint une vaste couverture qu’au Sénégal et en Mauritanie, tandis que les mécanismes de paiement électronique, les registres sociaux et les systèmes d’identification nationale sont encore peu développés au Tchad, au Niger, au Burkina Faso et au Mali. Or, le FRC ne pourra jouer un rôle efficace que s’il dispose de capacités suffisantes en matière de couverture et de mise en œuvre.
Idée reçue no.3 : Le FRC permet de réduire la participation des donateurs au financement des interventions en cas de catastrophe
Au Sahel, les stratégies de FRC devraient reconnaître que l’aide extérieure restera vraisemblablement la principale source de financement des réponses aux chocs, et donc devraient la faire explicitement figurer aux côtés du budget alloué par l’État. Envisagée par certains partenaires de développement, l’idée selon laquelle les instruments de FRC permettraient aux pays d’assurer eux-mêmes ce financement ne s’avère guère réaliste à court ou moyen terme dans les pays du Sahel, dont les plus pauvres ont un PIB de 1 000 dollars par habitant et disposent donc de capacités financières très limitées.
Idée reçue no.4 : Dans les pays du Sahel, le FRC devrait se concentrer sur les phénomènes climatiques extrêmes
Les pays du Sahel devraient accorder une priorité aux chocs plus fréquents et moins extrêmes. Les mécanismes d’assurance sur lesquels reposent la plupart des instruments de FRC déployés jusqu’ici dans la région présentent généralement un meilleur rapport coût-efficacité contre des phénomènes extrêmes et peu fréquents, comme les contrats d’assurance souveraine contre le risque de sécheresse, proposés par la Mutuelle panafricaine de gestion des risques (ARC, African Risk Capacity). Mais des chocs climatiques fréquents et peu intenses peuvent cependant placer des millions de personnes en situation d’insécurité alimentaire dans le Sahel d'Afrique de l'Ouest, où le niveau de résilience des ménages aux changements climatiques est généralement très faible en raison de leur forte dépendance à l’agriculture de subsistance et du niveau élevé de la pauvreté (autour de 40 % de la population dans cinq des six pays de la région). La mise au point des instruments de FRC devrait tenir compte de cette réalité.
Idée reçue no.5 : Les pays du Sahel devraient commencer par élaborer une stratégie complète de FRC
Dans les pays du Sahel, il pourrait s’avérer plus efficace d’adopter des instruments de FRC limités aux filets de protection sociale adaptative et à certains risques précis, que d’adopter des stratégies nationales de financement multirisques et multisectorielles. Si des stratégies complètes de FRC ont été adoptées dans des pays comme la Colombie ou les Philippines pour cerner les principaux risques de catastrophe et les instruments de FRC disponibles dans les différents secteurs, le manque de données et la complexité des risques entravent souvent cette tâche dans le Sahel d'Afrique de l'Ouest, où il serait plus efficace d’élaborer une stratégie de financement pour un seul programme par catégorie de risques.
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