Saisir le moment de la crise : Faire progresser la protection sociale en Afrique

Fermetures de marché et confinements dans le sillage de la pandémie de COVID19 ; sécheresses et inondations accélérées par le changement climatique ; déplacements de population provoqués par les conflits et perturbations des récoltes par les criquets pèlerins ; et maintenant les augmentations des prix des denrées alimentaires et des carburants déclenchées par la guerre en Ukraine. L'Afrique a connu sa part de chocs et de crises au cours des deux dernières années.  Les chocs frappent le plus durement les pauvres, en raison de leur vulnérabilité liée à leur lieu de résidence, à leur consommation, à leur activité professionnelle et au peu d'épargne et d'actifs qu'ils détiennent. Les chocs causent des dommages à long terme aux vies et aux moyens de subsistance, car les ménages pauvres réduisent souvent leur consommation alimentaire, retirent les enfants de l'école et vendent des biens de production.  En conséquence, l'Afrique est aujourd'hui confrontée à la crise de sécurité alimentaire la plus grave depuis dix ans.

De bonnes nouvelles au milieu de la morosité ambiante

Heureusement, au cours des 25 dernières années, les pays du continent se sont de plus en plus tournés vers les programmes de protection sociale pour lutter contre la pauvreté et renforcer la résistance aux chocs. Juste avant la pandémie de COVID-19, 45 pays d'Afrique subsaharienne - soit trois fois plus qu'à la fin des années 1990 - avaient mis en place des programmes de filets sociaux avec des impacts significatifs.

Lorsque les gouvernements de toute l'Afrique ont eu besoin de soutenir rapidement et efficacement les populations en réponse aux perturbations économiques et sociales causées par la pandémie de COVID-19, ils se sont tournés en priorité vers les programmes de filets sociaux. Avec le soutien de la Banque mondiale, 19 pays d'Afrique centrale et occidentale ont mis en place des transferts monétaires et une aide à l'emploi pour les communautés les plus pauvres, touchant ainsi environ 50 millions de personnes. 

Cette expérience a montré que : (1) La capacité des gouvernements à étendre les filets de sécurité sociale dépend de la robustesse de leurs systèmes de prestation, notamment de registres sociaux dynamiques à large couverture qui exploitent de bonnes données. L'Éthiopie, le Gabon et la Mauritanie se sont appuyés sur des registres sociaux de moyenne à grande taille pour atteindre une part importante de la population  ; et que (2) l'Afrique a le potentiel pour exploiter des innovations révolutionnaires rendues possibles par les nouvelles données et technologies pour la prise en charge et l'enregistrement des bénéficiaires, l'évaluation de leurs besoins et de leur situation et la fourniture des prestations. Le Togo, le Nigeria et la République démocratique du Congo ont expérimenté de nouveaux moyens d'identifier, d'évaluer, d'inscrire et de transférer rapidement de l'argent aux personnes, même lorsque les systèmes antérieurs étaient limités et les registres sociaux de petite taille.

La pandémie a révélé les limites des systèmes de protection sociale

Pourtant, la couverture et l'adéquation des transferts monétaires en Afrique restent limitées. Les programmes se concentrent souvent sur les pauvres chroniques des zones rurales et ne sont pas en mesure de protéger les travailleurs du secteur informel dans les zones urbaines. En outre, les systèmes restent fragmentés, les filets de sécurité sociale ne sont pas liés à des politiques actives du marché du travail et les programmes de sécurité sociale sont concentrés sur une petite partie des travailleurs du secteur formel les mieux lotis. Enfin, comme le financement de la protection sociale reste limité et dépend souvent de sources extérieures, l'élargissement et la gestion de l'espace fiscal pour la protection sociale deviennent essentiels à la mise en place de systèmes plus solides.

L'Africa's PULSE de la Banque mondiale présente un programme en trois volets pour faire progresser la protection sociale en Afrique.

L'Africa's PULSE de la Banque mondiale présente un programme en trois volets pour faire progresser la protection sociale en Afrique.
Source : Zeufack et al. 2022. Africa's Pulse, n° 25, avril 2022. Washington, DC : Banque mondiale

Les systèmes de protection sociale en Afrique doivent continuer à diversifier les objectifs et les instruments afin de renforcer la protection pour tous.  Les programmes émergents et efficaces de filets de sécurité sociale non contributifs axés sur la pauvreté rurale peuvent servir de plateformes pour promouvoir la résilience aux chocs climatiques et autres, renforcer le capital humain, promouvoir des moyens de subsistance et des emplois plus productifs et résistants aux chocs, et faire progresser l'autonomisation des femmes. Les filets de sécurité sociale peuvent être complétés par des instruments contributifs pour aider les travailleurs non pauvres, mais vulnérables, du secteur informel urbain à mieux gérer les risques et à devenir plus résistants aux chocs.

Les programmes de filets de sécurité sociale de l'Afrique ont besoin de systèmes de prestation plus solides. L'Afrique peut faire un bond en avant en tirant parti des innovations numériques et en matière de données pour rendre les systèmes de prestation plus inclusifs, intégrés et dynamiques.  Il s'agit de mettre en place des systèmes d'identification fondamentaux tels que ceux qui sont actuellement déployés dans les pays de la CEDEAO, de développer des registres sociaux plus "adaptatifs" qui peuvent être construits et mis à jour de manière dynamique en utilisant de nouvelles sources de données et technologies, de déployer systématiquement des systèmes de paiement numériques de gouvernement à personne (G2P) et de renforcer les liens avec les systèmes d'alerte précoce sur le climat. De nouveaux défis et risques, tels que la confidentialité des données personnelles, doivent être atténués.

Compte tenu de leur impact positif, malgré des conditions budgétaires serrées, il est possible d'augmenter les allocations budgétaires aux programmes de protection sociale dans de nombreuses régions d'Afrique.  Outre l'élargissement de l'assiette fiscale, il est possible de réaffecter des postes budgétaires moins efficaces et coûteux, comme les retraites subventionnées du secteur formel ou les subventions régressives des services d’utilité publique universels. Le financement efficace des programmes de réponse aux chocs nécessitera un financement préétabli pour mobiliser plus rapidement l'aide aux ménages touchés par les chocs, en utilisant des instruments tels que les fonds de réponse aux catastrophes et les assurances souveraines, et en les intégrant par une approche coordonnée de la répartition des risques. Le prochain choc de l'Afrique surviendra plus tôt que prévu, plus rapidement et avec des impacts plus graves que ce à quoi nous pourrions nous attendre. Il est temps de s'y preparer.


Auteurs

Christian Bodewig

Économiste principal, Protection sociale et emploi, Afrique

Robert S. Chase

Practice Manager, Practice Manager for Social Protection and Jobs

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