Aux Comores, une réforme audacieuse : ouvrir le marché du riz pour améliorer la sécurité alimentaire et catalyser la croissance du secteur privé

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Aux Comores, une réforme audacieuse : ouvrir le marché du riz pour améliorer la sécurité alimentaire et catalyser la croissance du secteur privé Container ship in Port of Moroni, Comoros. Photo: World Bank

Depuis plusieurs décennies, les Comores sont confrontées à des pénuries de riz, un problème persistant qui trouve son origine dans le monopole d’État détenu sur les importations de riz ordinaire par une entreprise publique aux ressources financières limitées : l’Office national d’importation et de commercialisation du riz (ONICOR). Cette situation a engendré de fréquentes insuffisances d’approvisionnement (relevées notamment en 2021, 2022 et 2023) ainsi qu’une augmentation des prix au-delà des niveaux préconisés par le gouvernement. L’insécurité alimentaire s’est souvent avérée critique, le riz ordinaire constituant une denrée de base pour une bonne partie de la population.

Reconnaissant le besoin urgent de changement, le gouvernement des Comores, soutenu par la Banque mondiale, a lancé une réforme dont les résultats se révèlent déjà prometteurs et ouvrent des opportunités de croissance au secteur privé.
 

Une transition progressive vers la libéralisation : fixer des règles à l’entrée sur le marché

Dans le cadre de la première opération de la série de Financement des politiques de développement (Development Policy Financing, DPF) portant sur la gestion budgétaire et la croissance résiliente (Fiscal Management And Resilient Growth, FIMARG), le monopole de l’ONICOR sur les importations de riz ordinaire (brisures) a été levé en 2023 par décret présidentiel, une étape décisive ouvrant le secteur aux acteurs privés. Cette décision a correspondu aux conclusions d’une étude menée par la Banque mondiale dans le cadre de l’adhésion des Comores à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2024. Toutefois, alors que le nouveau cadre juridique a autorisé l’arrivée de nouveaux entrants privés, le manque de transparence et de clarté des règles les a initialement dissuadés de participer.

Pour résoudre ce problème, la Banque mondiale a lancé un projet d’assistance technique financé par l’Union européenne dans le cadre du programme ACP Business Friendly avec la participation des secteurs public et privé. Ce projet a permis d’identifier les principes clés à partir desquels ont été établis des critères réalistes et transparents encadrant l’obtention de licences d’importation de riz. En ligne avec les recommandations de l’équipe technique, un arrêté émis par le ministère de l’Économie en avril 2024 a introduit des exigences visant à garantir à la fois l’inclusivité et la stabilité du marché. Les critères essentiels comprennent l’existence de garanties financières démontrant la capacité des entreprises candidates à financer les expéditions, leur enregistrement en tant qu’entité commerciale avec une documentation fiscale appropriée, et le respect des normes sanitaires et environnementales. Il est important de noter que le texte ne mentionne aucune exigence en matière de capacité de stockage, ce qui évite de favoriser les grands importateurs existants et permet aux nouveaux venus d’être compétitifs.
 

Garantir la transparence et éviter les monopoles

Ces mesures ont été conçues pour favoriser l’émergence d’un secteur privé concurrentiel et diversifié, en s’inspirant des leçons tirées de pays comme le Sénégal, où plus de 50 nouveaux acteurs sont entrés sur le marché en 1996 lors de la mise en œuvre d’un programme similaire. Dans le même temps, le gouvernement a cherché à atténuer le risque d’un transfert vers un monopole (ou un duopole) privé, un piège identifié dans l’échec de programmes de libéralisation antérieurs (comme en Afrique de l’Ouest dans les années 2000). À cette fin, le ministère de l’Économie a publié un mémorandum en juin 2024 établissant une commission publique-privée capable d’aider à superviser le processus d’octroi des licences d’importation et de minimiser la prise de décision discrétionnaire par l’autorité chargée de leur délivrance. Cette commission a été conçue avec des garde-fous empêchant les conflits d’intérêts.
 

Premiers résultats : Concurrence et baisse des prix

Depuis juin 2024, 12 entreprises privées sont entrées sur le marché de l’importation de riz à travers les îles du pays, contribuant collectivement à une amélioration significative de l’offre. Les données préliminaires indiquent que les acteurs privés ont importé environ 12 000 tonnes de riz aux Comores de juin à novembre 2024, soit 40 % de la demande annuelle du pays.

Les bienfaits de cette réforme se font déjà sentir à Anjouan, qui représente plus de la moitié de la consommation de riz aux Comores et où la concurrence accrue a permis d’améliorer la disponibilité et de faire baisser les prix. Les médias locaux ont salué ces progrès, le journal Al Watwan déclarant « la fin des pénuries » et Comores Infos décrivant une concurrence sans précédent entraînant une diminution des prix.
 

Prochaines étapes : Renforcer les capacités pour ancrer ce succès dans le long terme

Alors que les Comores poursuivent la libéralisation de leur marché du riz et comptent sur le secteur privé pour importer la moitié de la demande en riz d’ici 2026, la mise en place d’infrastructures de soutien reste essentielle. Il est notamment primordial de construire des capacités de stockage adéquates pour permettre aux entreprises privées de répondre efficacement à la demande locale, une problématique sur laquelle la Banque mondiale accompagne actuellement le gouvernement. La Banque mondiale cherche également à soutenir le commerce inter-îles à partir d’Anjouan, où se trouve le principal port d’entrée aux Comores et le seul port en eau profonde. La réduction des contraintes logistiques et administratives pour le commerce interinsulaire pourrait contribuer à étendre l’impact de la réforme à toutes les îles du pays, comme l’indiquent les plaintes formulées par les importateurs de Mohéli et de la Grande Comore. Le renforcement de la sécurité alimentaire nécessiterait également (i) d’améliorer la gouvernance de l’ONICOR à court et moyen terme, et (ii) de consolider la contestabilité du marché à long terme, à mesure que le secteur privé accroît sa participation et démontre la robustesse et l’efficacité de la chaîne d’approvisionnement.
 

Conclusion

La libéralisation de l’importation de riz aux Comores témoigne de la capacité des réformes à entraîner des changements tangibles lorsqu’elles sont adaptées aux contextes locaux et correctement mises en œuvre. En s’attaquant à des problèmes systémiques et en renforçant la participation du secteur privé, les Comores ont amélioré la sécurité alimentaire de leur population tout en créant des opportunités de croissance économique et de résilience à long terme. Bien que toutes les questions n’aient pas encore trouvé leur réponse, les premiers résultats sont encourageants. Pour les Comores, il ne s’agit pas seulement d’un changement de politique, mais d’un pas vers un avenir plus sûr et plus prospère.


Jean Arlet

Private Sector Specialist

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