Un rapport publié en avril 2022 par l'organisation Action contre la Faim détaillait une série de mesures visant à atténuer les impacts de la crise alimentaire à venir. Le rapport s'ouvre sur une déclaration qui ne devrait pas manquer de susciter un sentiment de déjà-vu aux praticiens du développement familiers du Sahel : « 2022 risque de devenir une année de référence en matière de sévérité de la période de soudure et d'insécurité alimentaire et nutritionnelle au Sahel. »
La période de soudure, qui coïncide avec la saison des pluies, est le moment de l'année où les stocks de céréales constitués par les ménages pendant la récolte précédente sont épuisés, tandis que les prix des denrées alimentaires atteignent leur pic. Malgré la régularité de la période de soudure, qui revient menacer chaque année les ménages sahéliens, certaines questions importantes demeurent. Quel est l'impact réel de cette période de soudure sur le bien-être des ménages ? La saisonnalité constitue-t-elle un choc ou bien s'agit-il d'une caractéristique bien connue et maitrisée de la vie au Sahel, que les ménages savent anticiper et gérer ? Les transferts monétaires saisonniers sont-ils le meilleur outil pour atténuer l'impact des variations saisonnières ?
Pour apporter des réponses à ces questions, nous nous appuyons sur une note publiée récemment : Au Sahel, la saisonnalité constitue un facteur de risque important mais qui peut être anticipé. Cette analyse de l'impact de la saisonnalité s'appuie sur les données de l'Enquête harmonisée sur les conditions de vie des ménages (EHCVM), conduite dans cinq pays du Sahel au cours de la période de récolte 2018 et de la période de soudure 2019.
La saisonnalité entraîne une diminution de la consommation et une augmentation de la pauvreté
Le niveau de consommation et de richesse des ménages sahéliens fluctue fortement sous l'effet des variations saisonnières, même en l'absence de choc climatique. Ainsi, malgré une saison des pluies 2018 “au-dessus de la moyenne” pour l'ensemble du Sahel, avec des précipitations régulières et fiables, la consommation des ménages a été sensiblement plus faible pendant la période de soudure, ce qui souligne l'importance de la saisonnalité y compris lorsque la campagne agricole est bonne. En regroupant les données du Burkina Faso, du Niger et du Sénégal, la consommation monétaire moyenne en valeur réelle était 9,5 % plus faible pendant la période de soudure que pendant la période de récolte. Cette baisse est suffisante pour faire basculer des ménages vulnérables sous le seuil de pauvreté. En effet, la part de la population vivant en-dessous du seuil de pauvreté national pendant la période de soudure avait augmenté de 13,7 points de pourcentage au Burkina Faso, de 6,6 points de pourcentage au Niger, et de 8,1 points de pourcentage au Sénégal, par rapport à la période de récolte (Figure 1).
Figure 1. Variation de la part de la population vivant sous le seuil de pauvreté national, entre la période de soudure et la période de récolte
Note : Consommation déflatée et ajustée pour permettre la comparaison avec le seuil de pauvreté national dans chaque pays. Les différences saisonnières sont statistiquement significatives à partir de 5 % dans un modèle de probabilité linéaire, incluant des contrôles au niveau des caractéristiques des ménages et des effets fixes pour la région. Source : EHCVM et estimations de la Banque mondiale.
La saisonnalité expose les ménages au risque d'insécurité alimentaire
L'insécurité alimentaire et la malnutrition augmentent pendant la période de soudure, ce qui est habituellement observé en cas de privation plus extrême. La saisonnalité affiche un impact plus important en matière de consommation alimentaire que de consommation non-alimentaire, laquelle semble moins sensible aux fluctuations saisonnières. Par ailleurs, si l'on n'a pas observé de déclin dans la diversité du régime alimentaire entre période de soudure et période de récolte, la consommation d'aliments de base a diminué, tant en termes de niveaux de dépenses que de quantité. Ainsi, au lieu de réduire leur consommation d'aliments plus chers ou nutritifs, les ménages ont réduit leur consommation de denrées alimentaires les plus essentielles dans leur panier de consommation, ce qui présente de sérieux risques en matière de sécurité alimentaire et nutritionnelle durant la période de soudure.
Les effets de la saisonnalité se font sentir tôt dans la saison, avant le début de la période de soudure agricole, soulignant la nécessité d'actions précoces
On observe les effets de la saisonnalité dès le mois d'avril et ils continuent de croître au fur et à mesure que l'année – et la période de soudure agricole – se poursuivent. Étant donné que les entretiens conduit dans le cadre de l'EHCVM se sont déroulés majoritairement entre avril 2019 et juillet 2019, alors que la période de soudure agricole se prolonge jusqu'en septembre, on peut en déduire que la saisonnalité a des effets encore plus importants que ce que suggère notre analyse et que l'aide typiquement fournie durant la période de soudure, de juin à septembre, arrive trop tard pour protéger les ménages des privations.
Ainsi, il apparaît important pour les pays du Sahel d'investir dans des mécanismes d'alerte et de réponse précoces. Au Niger, le gouvernement a développé un programme de réponse précoce à la sécheresse, qui s'appuie sur le système de protection sociale adaptive et qui est déclenché sur la base de donnée satellitaires. Il a été activé pour la première fois en novembre 2021 lorsque le seuil de déclenchement a été atteint dans plusieurs communes, reflétant la mauvaise performance de la saison des pluies en 2021. Il n'est toutefois pas nécessaire de disposer d'un système d'alerte précoce très sophistiqué pour lancer une intervention précoce et faire face aux effets adverses de la saisonnalité. La saisonnalité est, par nature, une menace chronique qui peut facilement être anticipée. Les systèmes de protection sociale existants au Sahel peuvent permettre de répondre aux défis posés par la saisonnalité, en élargissant la couverture des programmes de filets sociaux en place, et en déclenchant des programmes de réponse saisonnière dès les mois de février ou mars.
La diversification des moyens de subsistance joue un rôle essentiel pour réduire la vulnérabilité des ménages ruraux
Les stratégies de gestion des risques à la disposition des ménages sahéliens restent limitées. L'agriculture demeure l'un des principaux secteurs d'activité dans la sous-région et les sources de revenus des ménages sont peu diversifiées, particulièrement en zone rurale. Les ménages ruraux sont particulièrement vulnérables aux effets de la saisonnalité et, au sein des zones rurales, les ménages cultivant des terres sont les plus touchés par les variations saisonnières. Les ménages ne cultivant pas de terres ne connaissent pas les mêmes variations saisonnières dans leur consommation. Néanmoins, les ménages pour lesquels l'agriculture n'est pas la principale source de revenus ne sont pas totalement à l'abri des impacts liés à la saisonnalité car ils exercent bien souvent des activités secondaires en lien avec l'agriculture. Les actions et programmes favorisant la diversification des activités génératrices de revenus peuvent ainsi réduire l'exposition et la vulnérabilité des ménages sahéliens à la saisonnalité et aux chocs, et développer leur résilience.
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