Dans quelle mesure la politique budgétaire de la CEMAC a-t-elle été procyclique ?

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L’un des objectifs de la politique budgétaire consiste à stabiliser l’environnement macroéconomique d’un pays. Les mesures budgétaires contracycliques visent à compenser les effets du cycle économique sur l’économie d’un pays. Elles consistent, par exemple, à accroître les dépenses publiques ou à réduire les impôts en vue de stimuler l’économie au cours d’un ralentissement économique. La politique budgétaire contracyclique réduit les fluctuations économiques et contribue à assurer la stabilité macro-budgétaire. Quelle a été l’expérience des pays en développement ? Et en particulier, quelle a été l’expérience dans la zone CEMAC ? 

Les publications empiriques montrent que la politique budgétaire des pays développés est soit acyclique, soit contracyclique mais qu’elle est généralement procyclique dans les pays en développement. Ce phénomène peut s’expliquer de deux manières. D’une part, l’accès limité au financement empêche les pays en développement d’emprunter dans les périodes difficiles, les gouvernements n’ayant d’autre choix que de réduire les dépenses (en particulier les investissements publics) et/ ou d’augmenter les taux d’imposition.1,2 D’autre part, des institutions faibles peuvent ne pas être capable de contenir la pression politique pour dépenser en période de prospérité, ce qui conduit à une prodigalité budgétaire et/ou à des activités de recherche de rentes.3 Il est peut être difficile de résister aux pressions politiques en faveur de dépenses supplémentaires dans les périodes favorables, en particulier lorsqu’il existe un réel besoin de dépenses publiques supplémentaires dans des domaines sociaux essentiels.4 Les politiques budgétaires procycliques peuvent avoir des conséquences néfastes à court et long terme. Lorsque les gouvernements réduisent les dépenses après une baisse des recettes pétrolières, par exemple, les groupes les plus vulnérables sont les plus durement touchés si les filets sociaux sont faibles. Par ailleurs, la croissance à long terme pourrait être entravée si les gouvernements retirent des ressources de projets productifs.

Nous vérifions si la politique budgétaire des pays de la CEMAC a été procyclique. La tendance à la procyclicité des politiques budgétaires dans la région est élevée. La faible diversification économique de ces pays et la part élevée des revenus issus des matières premières renforcent la vulnérabilité des recettes publiques aux fluctuations importantes et imprévisibles des prix des matières premières. Cela limite leur capacite à répondre aux chocs négatifs, surtout en l’absence de réserves budgétaires suffisantes accumulées pendant les périodes de prix élevés du pétrole. En période de reprise économique, la politique budgétaire procyclique des pays de la CEMAC peut être amplifiée par la faiblesse de leur contexte institutionnel, laquelle ne permet pas aux gouvernements d’absorber les pressions politiques en faveur des dépenses.5 En effet, dans les pays exportateurs de pétrole, les rentes pétrolières sont souvent considérées comme la propriété de la nation, ce qui peut favoriser la recherche de rentes et les pressions pour distribuer ces dernières.6 En outre, les nouvelles démocraties, caractérisées par des partis politiques et une transparence faibles, présentent des défis plus élevés, parce qu’elles ne disposent pas d’un système politique suffisamment efficace pour créer un consensus ni de la capacite de négocier la manière dont les rentes sont utilisées à long terme.

Nous avons recours aux données de 1990 à 2020 pour comparer le caractère cyclique de la politique budgétaire entre la CEMAC et les autres pays d’Afrique subsaharienne (ASS).7 La réponse budgétaire des gouvernements (axée sur les dépenses) à l’évolution des conditions économiques a été estimée à l’aide d’une méthodologie économétrique standard (méthode des moments généralisés, GMM) utilisé dans la littérature. De tels exercices sont confrontés aux problèmes habituels de causalité peu claire (lorsque les variables étudiées peuvent avoir de l’influence mutuellement les unes sur les autres). La méthodologie GMM est conçue pour gérer ce type de problèmes. Dans notre cas, une augmentation des dépenses budgétaires a un impact potentiel sur la croissance économique (c’est-à-dire le multiplicateur budgétaire), alors qu’une augmentation de l’activité économique peut également avoir un impact sur les dépenses (c’est-à-dire la réaction budgétaire). L’estimation économétrique utilise d’autres variables susceptibles d’avoir un impact sur la réaction budgétaire, notamment une variable institutionnelle pour vérifier si une amélioration des institutions réduit le degré de procyclicité budgétaire.8    

Les résultats de l’étude empirique montrent clairement que la réponse de la politique budgétaire a été plus procyclique dans la CEMAC que dans les autres pays d’Afrique subsaharienne (ASS).9 Alors que tous les pays de l’ASS révèlent des politiques budgétaires procycliques au cours de la période de recherche (conformément aux résultats de la littérature existante), cet effet est encore plus marqué dans les pays de la CEMAC, le coefficient étant plus élevé.

L’amélioration de la qualité des institutions pourrait considérablement diminuer le degré de procyclicité. La qualité des institutions, mesurée par un indice composé des Indicateurs Mondiaux de la Gouvernance, joue un rôle significatif dans la réduction du degré de procyclicité dans les pays ASS, ce qui est conforme aux publications sur le rôle des institutions dans la cyclicité budgétaire.10 Au travers d’une amélioration simulée de la qualité des institutions pour les pays de la CEMAC à partir de son classement moyen pour la comparer, par exemple, à celle du pays le plus performant de la CEMAC et du pays d’Afrique subsaharienne le plus performant, nous constatons que le degré de procyclicité pourrait être réduit d’environ 38 %et 81 %, respectivement.11 Bien que des données plus nombreuses soient nécessaires pour tester formellement la relation, ces résultats indiquent que les réformes institutionnelles telles que les nouvelles règles de convergence (NCR) dans la CEMAC, mises en œuvre en 2017, pourraient aboutir à des politiques budgétaires moins procycliques. Le nouveau solde budgétaire de référence, dans le cadre des NCR, peut être défini comme le solde global non pétrolier plus 80 % du ratio moyen des recettes pétrolières au PIB sur les trois années précédentes. Il est donc totalement dissocié des recettes pétrolières de l’année en cours et ne permet donc pas aux gouvernements d’augmenter immédiatement leurs dépenses lorsque les recettes pétrolières augmentent.

Des règles budgétaires et une meilleure transparence pourraient s’avérer utiles. Les recherches montrent qu’une combinaison d’approches descendantes et ascendantes pourrait aider les pays à échapper au biais de procyclicité.12 Les solutions descendantes comprennent l’adoption de règles budgétaires qui ont été associées, lorsqu’elles sont bien conçues, à de meilleurs résultats en matière de finances publiques et de dette dans les pays qui les ont adoptées. Les solutions ascendantes sont complémentaires et consistent à améliorer la transparence dans la mise en œuvre du budget et de la règle budgétaire, en fournissant aux législateurs, aux marchés et aux citoyens les informations dont ils ont besoin pour rendre les gouvernements redevables.


Caballero and Krishnamurthy 2004; Gavin et al. 1996.
Countries are less likely to have countercyclical fiscal policies if there are no (or only limited) automatic stabilizers (e.g., unemployment benefits), which are often triggered during downturns in high-income countries. 
Diallo 2009; Sherrera et al. 2019. 
Végh 2011.
Bradley et al. 2011; Erbil 2011. 
Eifert et al. 2002. 
Herrera et al. 2019. 
See CEMAC Quarterly Economic Barometar : Vol 2 - Q3
This result was also found for the countries of the West African Economic and Monetary Union (Dessus et al. 2014). 
10 See, for example, Végh (2014) and Herrera et al. (2019).
11 A reduction of 100 percent in the degree of procyclicality would mean that fiscal policy becomes acyclical, and a reduction of more than 100 percent would imply that fiscal policy becomes countercyclical. 
12 Herrera et al. (2019); Carneiro and Kouame (2020)


Auteurs

Jose Luis Diaz Sanchez

Economist, Office of the World Bank Chief Economist, World Bank

Joana Monteiro da Mota

Economist, European Commission

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