Les niveaux de la dette publique des pays à faible revenu d'Afrique de l'Est et australe ont été multipliés par deux au cours de la décennie passée. Si le portefeuille de la dette de la région se compose toujours principalement de prêts multilatéraux (47 %) et de prêts bilatéraux (35 %), la part des financements multilatéraux très concessionnels n'a cessé de diminuer ces dix dernières années. Le vide a été comblé par des financements contractés auprès de créanciers privés, qui ont augmenté de 12 points de pourcentage et représentent aujourd'hui environ 19 % de l’endettement total de l'Afrique de l’Est et australe. Cela s'explique par le fait que les pays de la région se tournent vers les marchés internationaux et procèdent à de grandes émissions obligataires, à l'image du Kenya et du Rwanda l'an dernier.
La situation actuelle est particulièrement douloureuse pour une région en butte à de nombreuses difficultés : fragilité, insécurité alimentaire, changement climatique, répercussions socio-économiques de la COVID-19 et, plus récemment, retombées de la crise ukrainienne. Mais c'est aussi une région riche d'un grand potentiel dont le plus important est sa population, qui compte près de 50 % de jeunes de moins de 18 ans. Les niveaux élevés d'endettement menacent donc les programmes qui protègent et développent ce précieux capital humain.
Composition de la dette extérieure et le risque de surendettement des pays d'Afrique de l'Est et australe couverts par la SDFP, au 31 décembre 2021. Source : Banque mondiale, Statistiques de la dette internationale (IDS). |
Il est important de souligner que la dette n'est pas un problème en soi si elle est utilisée pour des investissements à forte rentabilité, et combinée à une croissance forte et un souci de prudence budgétaire. En revanche, la dette devient rapidement problématique lorsqu'elle est coûteuse, inutilement risquée ou qu'elle ne fait pas l'objet d'une communication transparente. Il existe toutefois des moyens de s'assurer que la dette est viable, qu'elle est cohérente avec la stratégie d'assainissement budgétaire d'un pays et qu'elle soutient la croissance. À cet égard, on peut tirer de précieux enseignements du travail réalisé par l’Association internationale de développement (IDA) pour aider les pays à améliorer la viabilité, la transparence et la gestion de leur dette.
L'IDA est l'institution de la Banque mondiale dédiée aux pays les plus pauvres du monde. Et son expérience nous a appris que, pour obtenir des résultats tangibles, il faut une action concertée pour emprunter intelligemment, un engagement en faveur de la viabilité et de la transparence de la dette de la part des pays emprunteurs et une coordination étroite entre ces derniers et les créanciers. Cela ne se fera pas du jour au lendemain, mais c'est réalisable moyennant des mesures qui vont dans la bonne direction, des incitations judicieuses et une coordination étroite entre les différents acteurs.
Comprendre avant tout l'ampleur des enjeux
Plus d'une dizaine de pays d'Afrique de l’Est et australe ont bénéficié de l'Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) depuis le début des années 2000, ce qui leur a apporté un répit budgétaire et financier bien nécessaire. Toutefois, la région a enregistré une augmentation rapide des niveaux d'endettement au cours de la dernière décennie, ainsi qu'un changement radical dans la composition de la dette au profit de financements moins traditionnels. La pandémie a accentué le phénomène et, avec la hausse des prix des carburants et des denrées alimentaires, due notamment à la guerre en Ukraine, la dette se rapproche dangereusement de niveaux insoutenables dans plusieurs pays de la région. Résultat, vingt ans après l’initiative PPTE, 11 des 17 pays de la région qui bénéficient de l’aide de l'IDA présentent un risque élevé de surendettement ou sont déjà surendettés. Cela nous rappelle malheureusement la rapidité avec laquelle les pays peuvent retomber dans des situations intenables en l'absence de réformes institutionnelles rigoureuses.
Inciter à la transparence, coordonner les actions : la voie à suivre impose l'engagement de tous les acteurs
Ces tendances insoutenables et alarmantes appellent les pays à prendre des mesures pour emprunter sans douleur.
Les réformes de la dette figurent en bonne place sur l'agenda international depuis un certain temps, et si certaines ont été menées, il faut encore s'assurer qu'elles s'accompagnent d'une politique budgétaire et d'une croissance économique durables.
En complément d'autres initiatives en cours, la politique de financement durable du développement de l'IDA (SDFP) vise à inciter les pays à emprunter à des conditions viables tout en encourageant la coordination entre les créanciers pour soutenir les efforts des emprunteurs. Le premier pas important est de s'engager à réformer, et d’agir dans ce sens.Depuis le lancement de la SDFP en juillet 2020, 14 pays de la région qui présentaient une vulnérabilité élevée se sont engagés à appliquer des critères de performance et de politiques publiques afin de s'attaquer à leurs problèmes budgétaires et d'endettement. En cette deuxième année de mise en œuvre, ces mesures sont de plus en plus axées sur le renforcement de la viabilité des finances publiques — un défi de longue date pour la région — au travers de la gestion des risques budgétaires liés aux entreprises publiques, d'une mobilisation plus efficace des recettes domestiques et de la hiérarchisation des investissements publics. Dans certains cas, il est possible de faire fond sur des initiatives antérieures des pays pour cibler ces problématiques, tout en adoptant une démarche plus globale.
Pour cet exercice budgétaire, et dans une optique d'emprunt intelligent, neuf des 14 pays préparant des critères de performance et de politiques publiques ont pris l'engagement de ne contracter que des prêts concessionnels, avec trois conséquences positives :
- Cela contribue à limiter l'accumulation insoutenable de financements coûteux dans de nombreux pays de la région.
- Cela favorise une analyse poussée de l'utilisation des fonds, garantissant ainsi que les financements coûteux ne sont utilisés que pour des investissements hautement prioritaires et à fort rendement.
- Cela concourt à réunir les créanciers autour d'une table pour faire en sorte que les pays puissent accéder à des financements durables.
En réalité, la garantie du soutien de la communauté internationale est au cœur de ce type de réforme. Dans le cadre de son Programme de sensibilisation des créanciers, la SDFP mobilise le pouvoir de rassemblement et de facilitation de la Banque mondiale pour prôner une action collective renforcée, une transparence accrue de la dette et une coordination plus étroite entre les emprunteurs et les créanciers afin d’atténuer les risques liés à la dette.
Ce mois-ci, lors des Réunions de printemps de la Banque mondiale et du FMI, ces discussions cruciales vont se poursuivre. Elles permettront un dialogue franc entre différentes parties prenantes de la question de la dette — emprunteurs, créanciers, société civile, chercheurs, institutions financières internationales —, tout en tirant les leçons du passé. De telles rencontres sont essentielles pour débattre et plaider en faveur de la viabilité et de la transparence de la dette et, à terme, assurer l'efficacité de l'endettement, c'est-à-dire faire en sorte que les avantages de l'emprunt l'emportent sur les risques. Nous vous invitons à suivre ces discussions importantes sur la manière dont les pays peuvent emprunter sans craindre de se surendetter.
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