Gestion des chocs alimentaires en Afrique de l'Ouest : quand l'urgence vient aggraver des problèmes chroniques

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Acute on Chronic: Managing Shocks in the West African Food System Acute on Chronic: Managing Shocks in the West African Food System

Au cours des trois dernières années, la convergence sans précédent de plusieurs chocs, notamment la pandémie mondiale, la guerre en Ukraine, et la baisse des productions liée au climat, a mis sous pression le système alimentaire ouest-africain, déjà vulnérable. Ces chocs sévères sont venus se greffer à des défis chroniques comme l'instabilité, une faible productivité, et un accès limité aux technologies. Leur impact combiné a fait exploser le nombre de personnes en situation d'insécurité alimentaire en Afrique de l'Ouest. Avec plus de 30 millions d'habitants souffrant d'insécurité alimentaire sévère, la région traverse actuellement la pire crise alimentaire enregistrée depuis plus de dix ans.

Face à ces tendances alarmantes en matière de sécurité alimentaire, le pôle d'expertise Agriculture et Alimentation de la Banque mondiale s'est associé au Programme de financement et d'assurance des risques de catastrophes (DRFIP)(a) pour évaluer les risques agricoles, les mesures de gestion et les mécanismes de financement. Les résultats de cette analyse ont paru dans un nouveau rapport, intitulé Risques agricoles en Afrique de l'Ouest.
 

Forte exposition aux chocs de production

L'étude se penche sur les risques liés à la production agricole pour six pays d'Afrique de l'Ouest : le Burkina Faso, le Mali, le Niger, la Sierra Leone, le Tchad et le Togo. En appliquant une analyse probabiliste aux données historiques sur la production, le rapport conclut que les six pays combinés peuvent perdre en moyenne 700 millions de dollars de récoltes importantes sur une année (igname, riz, maïs, millet, sorgho et fonio). Le niveau de ces pertes peut même dépasser le milliard de dollars tous les cinq ans.

 

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Mouslim Sidi Mohamed / World Bank
Un agriculteur à Katoria Birni, région de Tahoua, Niger. Photo : Mouslim Sidi Mohamed / Banque mondiale


Les déficits de production sont synonymes de malnutrition pour des millions d'Africains

Le rapport étudie aussi comment les chocs de production affectent le niveau de sous-alimentation, en combinant les résultats d'une analyse du risque de production avec des données sur la prévalence et le niveau de sous-alimentation, mesurés en kcal. Avec quelque 17 millions de personne affectées, le niveau de sous-alimentation chronique est déjà élevé dans les six pays concernés. La simulation évalue qu'en l'absence d'aide humanitaire, un choc de production relativement fréquent et de sévérité moyenne pourrait amener 15 millions de personnes supplémentaires à vivre en situation de sous-alimentation. Dans le cas d'un choc de production plus grave, le nombre de personnes sous-alimentées pourrait augmenter de 18 millions (voir Figure 1).


Figure 1 : Augmentation totale simulée du nombre de personnes sous-alimentées en fonction de la sévérité des chocs, exprimée en probabilité d'occurrence, par rapport au niveau de sous-alimentation chronique (agrégé pour le Burkina Faso, le Mali, le Niger, la Sierra Leone, le Tchad et le Togo)

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Figure 1 : Augmentation totale simulée du nombre de personnes sous-alimentées en fonction de la sévérité des chocs, exprimée en probabilité d'occurrence, par rapport au niveau de sous-alimentation chronique

Source : calculs des auteurs 

Démunis face aux chocs

En recensant les réserves alimentaires au niveau national et régional ainsi que les ressources financières qui y sont consacrées, le rapport a trouvé que les six pays peuvent se retrouver confrontés à d'énormes déficits de financement suite à des chocs de production. Si l'on prend l'exemple d'un des pays étudiés dans le cadre de cette analyse, le Niger, un choc de production de sévérité moyenne devrait entrainer un déficit de production d'une valeur estimée à 525 millions de dollars ainsi que des coûts associés aux interventions humanitaires additionnelles d'un montant de 300 millions de dollars. Cependant, les réserves et instruments existants ne peuvent fournir que l'équivalent d'environ 61 millions de dollars, laissant un déficit de financement cumulé d'un montant de 768 millions de dollars. En cas de chocs plus sévères, les déficits de financement apparaissent encore plus importants (voir la figure 2). En réalité, les déficits de financement risquent d'être encore plus importants étant donné que l'intégralité des financements dédiés à la réponse au choc se trouve actuellement employés par ces pays pour répondre aux besoins liés à l'insécurité alimentaire chronique.

Figure 2 : Déficits de financement* estimés pour les chocs de production moyens et moyennement graves pour les cultures vivrières essentielles

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Figure 2: Estimated funding gaps* for medium and medium-severe production shocks of key food crops

Source : calculs des auteurs

*Déficit de financement : différence entre le cumul des déficits de production et des besoins en matière de réponse humanitaire après un choc, et le financement total disponible pour le gouvernement, toutes sources confondues (lignes budgétaires, réserves/crédits nationaux, assurance souveraine, prêt).


Des opportunités pour renforcer la gestion du risque agricole

Les mesures de gestion des risques (atténuation-transfert-réponse) sont nécessaires tant au niveau national que régional et pour tous les niveaux de risques.

Premièrement, la réduction du risque d'insécurité alimentaire chronique et l'amélioration de la résilience des systèmes alimentaires doit s'imposer comme une priorité. Une réponse peut consister à investir dans la productivité agricole et l'intégration des marchés alimentaires. Sans quoi, les gouvernements se trouveront constamment confrontés à un manque de financement suite aux chocs, du fait de ressources limitées. Deuxièmement, les pays doivent renforcer leurs instruments de gestion du risque utilisant des financements préétablis pour répondre aux chocs, au lieu de dépendre de financements a posteriori, plus coûteux. Cela implique par exemple de renforcer les fonds nationaux dédiés aux catastrophes, les réserves alimentaires et les mécanismes de protections sociale adaptative. Troisièmement, le fait que de nombreux pays soient confrontés à des risques similaires offre des opportunités prometteuses pour développer des instruments de gestion du risque au niveau régional. Les pays pourraient mettre leurs ressources en commun afin d'établir une unité d'appui régionale pour développer leurs capacités techniques de financement du risque de catastrophes. En cas de chocs extrêmes, l'Afrique de l'Ouest pourrait explorer des solutions de transfert de risques au niveau régional. Par exemple la Réserve de sécurité alimentaire constituée par la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) pourrait tirer parti d'un contrat de réassurance la protégeant contre les impacts de déficits de production rares mais à grande échelle.

Au cours des cinq prochaines années, le Programme de résilience des systèmes alimentaires d'Afrique de l'Ouest (FSRP), qui vise à réduire l'insécurité alimentaire et la vulnérabilité aux chocs, soutiendra nombre des recommandations évoquées ci-dessus. Cette intervention, conduite par la CEDEAO et financée par la Banque mondiale à hauteur de 700 millions de dollars, assurera la promotion de mesures de gestion du risque agricole pour au moins sept pays d'Afrique de l'Ouest, couvrant un large éventail de risques de production. 


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