L’épidémie d’Ebola est peut-être bientôt finie, mais l’urgence demeure

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En mai, l’Organisation mondiale de la santé a publié les chiffres (a) relatifs au nombre d’agents de santé touchés par Ebola en Guinée, au Libéria et en Sierra Leone. Ces chiffres sont saisissants : pour ces travailleurs héroïques, la probabilité de contracter le virus est 21 à 32 fois supérieure à celle d’un citoyen lambda.

Combien d’agents de santé sont décédés ?
D’après nos calculs, le nombre de médecins aurait baissé de 10 % au Libéria (qui n’en comptait qu’une cinquantaine au départ) et celui des infirmier(ère)s et des sages-femmes de 8 % (voir graphique ci-dessous). En Sierra Leone, les chiffres correspondants sont de 5 % et 7 %. En Guinée, la réduction est moindre. Au commencement de l’épidémie, le Libéria, la Sierra Leone et la Guinée figuraient dans le bas du classement de l’OMS sur le nombre de médecins pour 1 000 habitants (a), soit respectivement au 2e, 5e et 28e rang sur 193 pays.
 

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Quelles conséquences l’épidémie aura-t-elle sur la mortalité maternelle et infantile ?
Au-delà de la tragédie que représente la mort d’un grand nombre de personnes infectées, le taux élevé d’infection et de mortalité des agents de santé s’accompagne de multiples retombées négatives, chacune coûtant cher sur le plan humain. À l’issue de cette épidémie, les jeunes qui envisageaient de devenir infirmier(ère)s sont susceptibles d’être découragés par le risque élevé associé à cette profession, et certains médecins pourraient chercher plus activement un emploi à l’étranger. Mais parmi les effets directs probables, on redoute surtout une hausse de la mortalité imputable à la baisse du nombre d’agents de santé.

Dans une étude publiée aujourd’hui sur le site The Lancet Global Health (vous pouvez en lire une version plus longue ici), nous avons calculé l’impact potentiel de la mortalité des agents de santé due à Ebola sur la mortalité maternelle, infantile et juvénile (enfants âgés de un à cinq ans).

Comment avons-nous procédé ? Nous avons combiné quatre sources de données : 1) les données de l’OMS (a) sur le nombre de décès chez les agents de santé ; 2) le nombre d’agents de santé (a) avant Ebola ; 3) les taux de mortalité (a) maternelle, infantile et juvénile dans chaque pays avant Ebola et 4) les coefficients de corrélation entre agents de santé et taux de mortalité. Ce dernier appelle une petite explication : sur les 15 dernières années, un certain nombre de chercheurs ont essayé de caractériser le lien entre les agents de santé et les taux de mortalité, à l’aide de données sur les différents pays et sur la durée. Nous utilisons les estimations de Speybroeck et al. (2006) (a) parce qu’elles s’appuient sur le plus vaste échantillon de pays, même si la direction de nos résultats ne change pas lorsque nous nous appuyons sur les estimations provenant d’autres publications.

Nous avons observé le nombre d’agents de santé décédés en Guinée, au Libéria et en Sierra Leone et nous avons ajouté à cette information ce que nous savons des effets de la disparition des agents de santé sur d’autres formes de mortalité afin de chiffrer la hausse potentielle de la mortalité maternelle, infantile et juvénile après l’épidémie d’Ebola. Les chiffres sont élevés. Comme on peut le constater sur le tableau ci-dessous, la mortalité maternelle pourrait augmenter de 74 % en Sierra Leone, de 111 % au Libéria et de 38 % en Guinée, un taux moindre mais néanmoins tragique. Les chiffres sont moins élevés et moins précis pour la mortalité infantile et celle des enfants de moins de cinq ans, mais tous les indicateurs sont orientés à la hausse. Dans l’ensemble, ces pourcentages représentent 4 000 décès supplémentaires parmi les mères, 7 000 parmi les nourrissons de moins d’un an et 14 000 parmi les enfants de moins de cinq ans, chaque année, dans les trois pays.

Tableau 1 : Hausse de la mortalité imputable au décès d’agents de santé infectés par Ebola
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Concernant les chiffres de la mortalité maternelle, ces pays font un bond en arrière de 15 ans (Guinée et Sierra Leone) voire de 20 ans (Libéria). Cette information fera certainement moins les gros titres que l’épidémie d’Ebola elle-même, alors qu’elle est tout aussi importante.

Bien entendu, ces estimations sont assorties de nombreuses réserves : le lien entre la mortalité des agents de santé et la mortalité maternelle n’est pas forcément identique dans ces trois pays, l’analyse ne tient pas compte d’autres indicateurs de la qualité des systèmes de santé, etc. (pour des informations plus détaillées, voir ici). Ces estimations renseignent néanmoins sur la direction et l’ampleur probables de ces effets.

Quelle est la solution ?
La recommandation pour la politique publique n’a, hélas, rien de nouveau. Elle figure déjà dans les plans de relèvement post-Ebola pour la Guinée, le Libéria et la Sierra Leone (a). Mais elle est déterminante. L’épidémie d’Ebola doit amener à renforcer considérablement les systèmes de santé pour les porter à un niveau bien supérieur à celui qui prévalait auparavant. Ce sont environ 25 000 mères et enfants qui vous en seront reconnaissants chaque année.

Auteurs

David Evans

Senior Fellow, Center for Global Development

Anna Popova

Researcher, Stanford University

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