Les communs, nouvelles boussoles pour les politiques de développement en Afrique subsaharienne ?

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Les communs, nouvelles boussoles pour les politiques de développement en Afrique subsaharienne ? Photo: GFDRR

À Kinshasa, en République démocratique du Congo, la Regideso délègue la gestion de mini-réseaux d’eau potable à des associations d’usagers, tandis qu’au Sénégal, la législation facilite la création de coopératives d’habitat, et qu’en Tanzanie, des partenariats avec la Banque mondiale lui ont permis devenir un des pays africains cartographiant le plus grand nombre de bâtiments sur la plateforme collaborative OpenStreetMap. À l’inverse, les politiques de formalisation à grande échelle des droits fonciers ont mené dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne à la fragilisation, voire la disparition, de systèmes communautaires agrosylvopastoraux.

L’ouvrage L’Afrique en communs : tensions, mutations, perspectives, publié en 2023 dans la collection L’Afrique en développement, met en lumière, parmi d’autres, ces exemples contrastés, révélant l’enchevêtrement complexe des communs dans l’action publique. Les communs ne se déploient jamais dans un vide institutionnel. Ils s’inscrivent dans des environnements denses, composés d’acteurs publics, de cadres normatifs, de mécanismes marchands, de dispositifs variés de la solidarité internationale. Selon la nature des relations qui se tissent entre ces parties prenantes (indifférence, captation, reconnaissance ou coopération), les communs peuvent être fragilisés, absorbés ou au contraire renforcés.

Inversement, aucun projet de développement n’intervient dans un vide social et institutionnel. Il se confronte toujours à des normes sociales et des organisations collectives qui préexistent et structurent déjà l’action locale. Il peut choisir de les ignorer ou au contraire de construire sur l’existant.

Si l’ouvrage met en avant de nombreux exemples démontrant la faisabilité d’une relation affirmée entre acteurs publics ou acteurs du développement et communs, il alerte néanmoins sur les risques inhérents à une telle relation. Le risque d’altération se manifeste lorsque les financements publics ou internationaux introduisent des logiques qui déforment le projet local initial. Les initiatives en communs se retrouvent contraintes de reformuler leurs actions pour correspondre aux critères des bailleurs, privilégiant ainsi la recherche de conformité administrative plutôt que leurs propres priorités collectives. Cette dépendance externe peut aussi introduire une logique de rémunération salariale au sein de communs qui s’étaient initialement constitués sur des bases bénévoles, modifiant profondément leur fonctionnement et leur philosophie. Par ailleurs, les risques d’instrumentalisation ou de capture surviennent lorsque l’État ou les bailleurs imposent des cadres normatifs ou des solutions « prêtes à porter », comme dans certains dispositifs de gestion des ressources naturelles où des modèles standardisés de gouvernance participative sont appliqués sans tenir compte de la complexité des arrangements locaux. Enfin, le risque de report des responsabilités de l’État sur les communs est largement documenté et est visible notamment dans les politiques de développement communautaire et de gestion décentralisée promues depuis les années 1990 : sous couvert de participation citoyenne, elles transfèrent aux organisations locales la charge d’assurer des services publics essentiels, dans un contexte de réduction des dépenses publiques. Ces dynamiques montrent que, loin d’être neutres, les relations entre acteurs publics et communs peuvent fragiliser l’autonomie locale si elles ne s’inscrivent pas dans une reconnaissance explicite des spécificités des communs.

L’ouvrage invite ainsi acteurs publics et de la solidarité internationale à adopter ce qu’il désigne comme « une approche par les communs », en interrogeant leurs pratiques, postures et outils. Non normative, cette approche par les communs est décrite comme une manière de « penser communs » qui ne peut être réfléchie que par les acteurs eux-mêmes, selon leur propre cadre, leurs métiers et leurs contraintes. Ce travail a par exemple été mené dans un travail conjoint de l’Agence française de développement et du CIRAD pour proposer un guide opérationnel permettant d’intégrer une approche par les communs dans la préparation, le suivi et l’évaluation des projets de développement impliquant des questions foncières et de gestion des ressources naturelles en Afrique.

Ces réflexions ont ouvert la voie à de nouvelles recherches permettant de s’appuyer sur les communs comme boussoles pour penser un développement pluriel, enraciné dans des pratiques locales tout en dialoguant avec des dynamiques globales. D’un point de vue théorique, des travaux ont ainsi été menés sur la gouvernance climatique à partir de la littérature sur les communs, qualifiant l’approche par les communs à partir de cinq entrées de questionnements : rationalité économique, rationalité juridique, isomorphisme institutionnel, monoculture du temps linéaire, et production des savoirs. De la même manière, des sujets tels que les migrations internationales ou l’égalité homme-femme font l’objet de réflexions similaires. Dans une perspective plus opérationnelle, ce sont les acteurs des territoires eux-mêmes, en Afrique et au-delà, qui se sont emparés de cette grille de lecture pour construire des partenariats public-communs, comme pour les communs agrosylvopastoraux au Sénégal, les communs du care à Bogota (Colombie) ou la plateforme de participation citoyenne Brasil participativo au Brésil.

Pour conclure, L’Afrique en communs n’apporte pas de solution clé en main mais il met en évidence des pratiques multiples, souvent invisibilisées par les politiques publiques, en explore les tensions constitutives et ouvre des pistes pour leur reconnaissance et leur accompagnement. Il délivre un message fort : prendre soin des communs, c’est s’ouvrir à des réalités vivantes, traversées de contradictions et d’innovations, ressources précieuses pour penser les actions de la solidarité internationale.


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