Cette année, le prix World Press Photo a été décerné à une photo qui en dit long sur le coût inégal des communications dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA): des hommes se tiennent
sur la plage de Djibouti la nuit et lèvent leurs téléphones portables en l’air pour tenter d’accéder au réseau sans fil en Somalie ou l’accès est plus abordable. Dans une nouvelle étude intitulée
Broadband Networks in the Middle East and North Africa: Accelerating High–Speed Internet Access (et présentée à Abou Dhabi le 6 février dernier), mes collègues Carlo Maria Rossotto et Michel Rogy, et moi-même, avons analysé la structure des prix et d’autres facteurs dans 19 marchés nationaux dont Djibouti, pour mieux comprendre comment développer l’internet haut débit dans la région MENA.
Nos conclusions viennent confirmer que le prix des services du haut débit joue un rôle décisif dans le niveau de pénétration de l’internet haut débit (à ce compte Djibouti figure parmi les pays où l’accès est le plus inabordable). La région gagnerait à s’inspirer des politiques d’ouverture à la concurrence déjà adoptées avec succès par des pays plus développés pour assurer l’essor des réseaux haut débit. Nous sommes également arrivés à la conclusion que, contrairement à d’autres régions du monde, la région MENA bénéficie d’atouts tout à fait spécifiques : une démographie dynamique, des réseaux de fibre optique actuellement très sous-utilisés et une connectivité interrégionale. Je détaillerai brièvement ces trois facteurs de développement, qui, assortis d’une refonte de la réglementation et d’orientations politiques nouvelles, pourraient accélérer l’expansion de l’internet dans la région à un coût plus abordable.
Premier point : les données démographiques. Le taux d’urbanisation dans la région MENA est d’environ 63 %, un chiffre plutôt élevé (le taux d’urbanisation au Maghreb et en Iran s’approche de la moyenne régionale, alors que dans la plupart des autres pays de la région, le taux d’urbanisation est d’au moins 80 %). La majorité de la population est jeune : environ 50 % de la population a moins de 24 ans ; 6 à 7 % de la population a plus de 65 ans. Jusqu’ici, la demande d’accès à l’internet, sous la pression d’une population jeune et urbaine, a été largement satisfaite grâce à l’utilisation de la technologie xDSL, limitée au réseau téléphonique traditionnel en fils de cuivre, et à une couverture 3G incomplète, notamment en Afrique du Nord (environ 96 % des connexions haut débit filaires étaient de type xDSL en décembre 2012). La fibre optique et le taux de pénétration de la 4G (là où elle existe) demeurent marginaux. Le raccordement des foyers ou des immeubles par fibre optique n’est généralisé qu’au Royaume de Bahreïn et aux Émirats arabes unis.
À partir d’estimations sommaires (10 Mbit/s pour 100 % la population et 30 Mbit/s pour 50 % de la population, en combinant les technologies FttC et LTE), nous avons calculé que la région MENA devra investir entre 20 et 25 milliards d’euros avant de franchir un cap important dans la mise en place d’une infrastructure d’envergure pour l’accès haut débit (soit une infime partie du financement nécessaire à l’installation des dorsales, aux liaisons secondaires et à la connectivité internationale). Ces investissements pourraient être réalisés dans le cadre de projets immobiliers et de la demande de meilleurs logements. Promoteurs immobiliers et opérateurs de télécommunication peuvent en effet se partager différents éléments des infrastructures passives et actives, l’exploitation du réseau et les services pour asseoir la viabilité commerciale des infrastructures à fibre optique. Cette approche innovante, qui repose sur un partenariat public-privé, pourrait fonctionner particulièrement bien dans une région où la dynamique démographique (une population jeune qui croît rapidement, des ménages dont la taille se réduit...) entraînera une hausse rapide des besoins de logement au cours des 25 prochaines années.
Une approche coordonnée dans les travaux de génie civil pourrait également assurer une meilleure couverture haut débit dans la région, et déboucher sur des opportunités commerciales significatives, susceptibles de créer des emplois dans les infrastructures tout en stimulant la croissance et l’emploi au sein d’activités à valeur ajoutée et à forte intensité de connaissances. La région MENA connaît une forte expansion dans le domaine du BTP, tant dans l’immobilier, comme nous l’avons souligné plus haut, que dans le déploiement (modernisation) des infrastructures d’utilité publique. Néanmoins, sur les 19 pays étudiés, seul le Royaume du Bahreïn a élaboré un cadre spécifique de mise en coordination systématique des ouvrages de génie civil, qui sont en soit très coûteux (ils représentent 80 % des coûts de déploiement du réseau haut débit). Même si les partenariats entre compagnies de services publics et opérateurs de télécommunication sont synonymes d’économies et de gain de temps importants, ils demeurent rares dans la région MENA. Nous plaidons pour un réexamen des processus de construction afin de raccourcir les délais et d’économiser les ressources financières lorsque le déploiement des infrastructures induit la mise en œuvre de chantiers conséquents.
Les travaux de recherche inédits que nous avons entrepris sur les réseaux d’infrastructure en fibre optique déployés dans la région par les opérateurs publics (électricité, réseaux ferrés et pétrole) nous ont par ailleurs montré que ces réseaux sont sous-utilisés et qu’ils constituent donc une opportunité de taille. Alors que la commercialisation de la surcapacité de ces réseaux pourrait largement contribuer à la densification de la couverture internet et à l’amélioration de la connectivité transnationale, il apparaît que cette potentialité n’est pas pleinement exploitée. Pour y remédier, il est indispensable de mettre en place au préalable une politique viable et un cadre réglementaire favorable à l’ouverture de ces infrastructures aux opérateurs de télécommunication (locaux, régionaux et internationaux). Le schéma ci-dessous illustre les infrastructures de fibre optique en Tunisie, un réseau à la fois étendu et sous-utilisé. Lors de la rédaction de ce rapport, une seule compagnie tunisienne était ouverte aux opérateurs de télécommunication sur les trois entreprises de services publics propriétaires des infrastructures de fibre optique et des systèmes de transmission haut débit du pays. Sur les deux restantes, l’une n’avait prévu aucun contrat de location de sa surcapacité et l’autre n’était ouverte qu’à l’opérateur historique.
Dernier point : la connectivité transfrontalière pour le haut débit, un chantier en friche. En termes de raccordement des frontières et du littoral de chacun des pays étudiés, l’écart est considérable : de l’ordre de 40 à 50 térabits par seconde entre les leaders régionaux (Arabie saoudite et Qatar) et les autres pays. À cet égard, la connectivité interrégionale est cruciale : elle permettra de prolonger la connectivité aux réseaux internationaux à grande capacité (cf. câbles sous-marins reliant l’Asie à l’Europe). Des mesures politiques de généralisation de l’accès à cette connectivité transnationale favoriseront l’expansion du réseau et la réduction du prix des prestations. Le réseau est insuffisant en Afrique du Nord où il n’existe aucune infrastructure pour assurer la connexion avec le Machrek. De nouveaux réseaux traversant le Sahel — la Libye, le Tchad et le Soudan — pourraient accroître la connectivité aux dorsales sous-marines de la façade est-africaine.
Que pensez-vous de toutes ces pistes de développement ? Nous espérons que notre rapport provoquera des discussions sur des approches innovantes pour l’accélération du déploiement du haut débit dans la région MENA. Les conclusions du rapport seront présentées le 26 février dans le cadre du sommet MENA devant des professionnels et spécialistes du secteur TIC au Mobile World Congress à Barcelone. Nous vous invitons à lire notre travail et à nous faire part de vos idées et de vos commentaires.
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Nos conclusions viennent confirmer que le prix des services du haut débit joue un rôle décisif dans le niveau de pénétration de l’internet haut débit (à ce compte Djibouti figure parmi les pays où l’accès est le plus inabordable). La région gagnerait à s’inspirer des politiques d’ouverture à la concurrence déjà adoptées avec succès par des pays plus développés pour assurer l’essor des réseaux haut débit. Nous sommes également arrivés à la conclusion que, contrairement à d’autres régions du monde, la région MENA bénéficie d’atouts tout à fait spécifiques : une démographie dynamique, des réseaux de fibre optique actuellement très sous-utilisés et une connectivité interrégionale. Je détaillerai brièvement ces trois facteurs de développement, qui, assortis d’une refonte de la réglementation et d’orientations politiques nouvelles, pourraient accélérer l’expansion de l’internet dans la région à un coût plus abordable.
Premier point : les données démographiques. Le taux d’urbanisation dans la région MENA est d’environ 63 %, un chiffre plutôt élevé (le taux d’urbanisation au Maghreb et en Iran s’approche de la moyenne régionale, alors que dans la plupart des autres pays de la région, le taux d’urbanisation est d’au moins 80 %). La majorité de la population est jeune : environ 50 % de la population a moins de 24 ans ; 6 à 7 % de la population a plus de 65 ans. Jusqu’ici, la demande d’accès à l’internet, sous la pression d’une population jeune et urbaine, a été largement satisfaite grâce à l’utilisation de la technologie xDSL, limitée au réseau téléphonique traditionnel en fils de cuivre, et à une couverture 3G incomplète, notamment en Afrique du Nord (environ 96 % des connexions haut débit filaires étaient de type xDSL en décembre 2012). La fibre optique et le taux de pénétration de la 4G (là où elle existe) demeurent marginaux. Le raccordement des foyers ou des immeubles par fibre optique n’est généralisé qu’au Royaume de Bahreïn et aux Émirats arabes unis.
À partir d’estimations sommaires (10 Mbit/s pour 100 % la population et 30 Mbit/s pour 50 % de la population, en combinant les technologies FttC et LTE), nous avons calculé que la région MENA devra investir entre 20 et 25 milliards d’euros avant de franchir un cap important dans la mise en place d’une infrastructure d’envergure pour l’accès haut débit (soit une infime partie du financement nécessaire à l’installation des dorsales, aux liaisons secondaires et à la connectivité internationale). Ces investissements pourraient être réalisés dans le cadre de projets immobiliers et de la demande de meilleurs logements. Promoteurs immobiliers et opérateurs de télécommunication peuvent en effet se partager différents éléments des infrastructures passives et actives, l’exploitation du réseau et les services pour asseoir la viabilité commerciale des infrastructures à fibre optique. Cette approche innovante, qui repose sur un partenariat public-privé, pourrait fonctionner particulièrement bien dans une région où la dynamique démographique (une population jeune qui croît rapidement, des ménages dont la taille se réduit...) entraînera une hausse rapide des besoins de logement au cours des 25 prochaines années.
Une approche coordonnée dans les travaux de génie civil pourrait également assurer une meilleure couverture haut débit dans la région, et déboucher sur des opportunités commerciales significatives, susceptibles de créer des emplois dans les infrastructures tout en stimulant la croissance et l’emploi au sein d’activités à valeur ajoutée et à forte intensité de connaissances. La région MENA connaît une forte expansion dans le domaine du BTP, tant dans l’immobilier, comme nous l’avons souligné plus haut, que dans le déploiement (modernisation) des infrastructures d’utilité publique. Néanmoins, sur les 19 pays étudiés, seul le Royaume du Bahreïn a élaboré un cadre spécifique de mise en coordination systématique des ouvrages de génie civil, qui sont en soit très coûteux (ils représentent 80 % des coûts de déploiement du réseau haut débit). Même si les partenariats entre compagnies de services publics et opérateurs de télécommunication sont synonymes d’économies et de gain de temps importants, ils demeurent rares dans la région MENA. Nous plaidons pour un réexamen des processus de construction afin de raccourcir les délais et d’économiser les ressources financières lorsque le déploiement des infrastructures induit la mise en œuvre de chantiers conséquents.
Les travaux de recherche inédits que nous avons entrepris sur les réseaux d’infrastructure en fibre optique déployés dans la région par les opérateurs publics (électricité, réseaux ferrés et pétrole) nous ont par ailleurs montré que ces réseaux sont sous-utilisés et qu’ils constituent donc une opportunité de taille. Alors que la commercialisation de la surcapacité de ces réseaux pourrait largement contribuer à la densification de la couverture internet et à l’amélioration de la connectivité transnationale, il apparaît que cette potentialité n’est pas pleinement exploitée. Pour y remédier, il est indispensable de mettre en place au préalable une politique viable et un cadre réglementaire favorable à l’ouverture de ces infrastructures aux opérateurs de télécommunication (locaux, régionaux et internationaux). Le schéma ci-dessous illustre les infrastructures de fibre optique en Tunisie, un réseau à la fois étendu et sous-utilisé. Lors de la rédaction de ce rapport, une seule compagnie tunisienne était ouverte aux opérateurs de télécommunication sur les trois entreprises de services publics propriétaires des infrastructures de fibre optique et des systèmes de transmission haut débit du pays. Sur les deux restantes, l’une n’avait prévu aucun contrat de location de sa surcapacité et l’autre n’était ouverte qu’à l’opérateur historique.
Dernier point : la connectivité transfrontalière pour le haut débit, un chantier en friche. En termes de raccordement des frontières et du littoral de chacun des pays étudiés, l’écart est considérable : de l’ordre de 40 à 50 térabits par seconde entre les leaders régionaux (Arabie saoudite et Qatar) et les autres pays. À cet égard, la connectivité interrégionale est cruciale : elle permettra de prolonger la connectivité aux réseaux internationaux à grande capacité (cf. câbles sous-marins reliant l’Asie à l’Europe). Des mesures politiques de généralisation de l’accès à cette connectivité transnationale favoriseront l’expansion du réseau et la réduction du prix des prestations. Le réseau est insuffisant en Afrique du Nord où il n’existe aucune infrastructure pour assurer la connexion avec le Machrek. De nouveaux réseaux traversant le Sahel — la Libye, le Tchad et le Soudan — pourraient accroître la connectivité aux dorsales sous-marines de la façade est-africaine.
Que pensez-vous de toutes ces pistes de développement ? Nous espérons que notre rapport provoquera des discussions sur des approches innovantes pour l’accélération du déploiement du haut débit dans la région MENA. Les conclusions du rapport seront présentées le 26 février dans le cadre du sommet MENA devant des professionnels et spécialistes du secteur TIC au Mobile World Congress à Barcelone. Nous vous invitons à lire notre travail et à nous faire part de vos idées et de vos commentaires.
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