De l’Algérie à l’Iraq en passant par l’Égypte, la Jordanie, le Koweït et le Liban, la région est touchée de plein fouet par la vague de manifestations qui monte dans le monde en développement. Bien que ses ressorts et son intensité diffèrent d’un pays à l’autre, ce mécontentement trouve son origine dans un sentiment croissant d’incertitude individuelle et de défiance à l’égard des dirigeants. Dans des pays qui ne leur offrent que de sombres perspectives d’avenir, les jeunes de la région MENA doutent de l’aptitude des gouvernements à améliorer leurs conditions de vie . Une défiance que les médias sociaux contribuent à amplifier en réagissant promptement aux faux pas commis par une classe politique souvent peu encline à la transparence. Et qui est exacerbée par l'incapacité de nombreux gouvernements à assurer des services publics à un coût abordable et de qualité, conjuguée à un climat où la corruption publique est perçue comme faisant le lit d’une économie de connivence dans le secteur privé.
La région MENA connaît une intensification de ces tensions internes dans un contexte économique mondial marqué par une incertitude grandissante. De fait, les prévisions de croissance continuent de se dégrader sous l’effet de la baisse des investissements dans les pays en développement, tandis que les tensions commerciales et la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne font planer des menaces de détérioration accrue. Autre source d'inquiétude, la hausse de l’endettement public, qui réduit la marge de manœuvre dont disposent les pays en développement, et ceux de la région MENA, pour faire face à une conjoncture économique défavorable et financer des investissements générateurs de croissance.
Or, la région a besoin de centaines de milliards d’investissements dans des projets de qualité . Face à des fonds publics restreints et à la nécessité d’optimiser des ressources de développement également limitées, la Banque mondiale et d’autres partenaires internationaux innovent afin d’aider les pays en développement à engager les réformes indispensables en amont pour attirer des investissements privés. Les milliers de milliards de dollars investis actuellement dans des instruments peu rémunérateurs, voire à rendement négatif, dans les économies avancées représentent un véritable gisement pour les pays en développement. Pour parvenir à capter ces actifs « immobilisés », ces pays, et plus particulièrement ceux de la région MENA, doivent mener des réformes durables en faveur de l’ouverture des marchés et, surtout, d’une gouvernance transparente.
Dans l'édition 2020 de son classement Doing Business, la Banque mondiale fait état des avancées notables réalisées par de nombreux pays de la région MENA, dont l’Arabie saoudite, la Jordanie, Bahreïn et le Koweït. Le rapport met cependant aussi en évidence une marge de progrès importante sur la poursuite des efforts de rationalisation de la réglementation ou d'accélération des procédures destinés à faciliter les affaires et à créer les conditions de la vitalité de l’entrepreneuriat. Pour nombre de pays de la région MENA, il s’agit non seulement de lever les obstacles qui pèsent sur l'activité des entreprises, mais aussi d’engager des réformes plus profondes et vigoureuses en faveur d’une concurrence loyale.
Aucune réforme ne peut toutefois être imposée de l’extérieur. Il est indispensable qu’au sein même des pays de la région on parvienne à un consensus sur le fait que la présence de marchés monopolisés — à travers la mainmise de l'armée ou d’une poignée d’oligarques — limite les perspectives d’une population jeune et féminine souvent de plus en plus éduquée. Ces monopoles doivent être démantelés. Bien trop souvent, en dépit de l’existence sur le papier de lois sur la concurrence, les entreprises d’État et autres acteurs privilégiés bénéficient en réalité de dérogations tout en poursuivant des activités commerciales déficitaires. Plus généralement, dans beaucoup de pays en développement, ces législations ne font pas l’objet d’une application systématique, faute souvent d’un système judiciaire indépendant ou en raison des limites de l’autonomie et du pouvoir de sanction conférés aux autorités de la concurrence. Ces défaillances contribuent à terme à une offre de services publics médiocres et trop coûteux (dans les secteurs de l’eau, de la gestion des déchets ménagers, de l'électricité ou des télécommunications...), au gonflement de la dette publique et à une perception accrue de la corruption.
Grâce à des marchés plus ouverts, les habitants des pays de la région MENA seraient davantage en mesure de réaliser tout leur potentiel. Mais encore faut-il que les gouvernements soient ouverts eux aussi. Lorsqu’ils existent, les organes de surveillance ne peuvent fonctionner en effet efficacement et contribuer à restaurer la confiance dans le système qu’à une condition : apporter suffisamment de transparence et de données pour permettre l'évaluation des politiques publiques. Le manque de transparence est particulièrement problématique en ce qui concerne les prêts à l’infrastructure, où, souvent, les nantissements, privilèges et autres clauses dissimulées dans les contrats ne sont pas entièrement révélés. Si un petit nombre de dirigeants de pays en développement peuvent être tentés de s’en servir pour en retirer des profits personnels, la dette cachée vient alourdir le fardeau économique et mettre en péril l’avenir des jeunes générations, attisant ainsi leurs frustrations. Les gouvernements dans le monde entier, qu’ils soient débiteurs ou créanciers, doivent agir de manière plus responsable et s’engager à garantir la transparence dans les modalités des prêts à l’infrastructure. Les citoyens devraient être pleinement informés des engagements souscrits en leur nom par leurs dirigeants.
Étant donné le rôle prépondérant de l’État dans un grand nombre d'économies de la région MENA, il est indispensable que les gouvernements améliorent la transparence dans la passation des marchés publics et qu’ils élargissent l'accès au crédit pour favoriser l’essor du secteur privé dans des marchés ouverts. Grâce à une transparence accrue, les entreprises privilégiées auront plus de difficultés à obtenir des contrats publics lucratifs, au profit d’un secteur privé digne de ce nom. Par ailleurs, l'accès privilégié aux financements dont jouissent les entreprises d’État, en particulier auprès des banques publiques, fait obstacle au développement des petites et moyennes entreprises (PME). Les PME peinent à trouver des fonds, mais pas seulement : elles ont aussi du mal à rivaliser avec des entreprises d’État qui, fortes de leur accès favorisé aux financements, peuvent se permettre de conduire leurs activités sans souci d'efficacité, voire à perte. Cette situation n’est pas tenable.
Les jeunes de la région MENA contestent le statu quo et exigent des gouvernements qu’ils procèdent à des changements positifs. Pour ces derniers, dans le contexte actuel de baisse des taux d'intérêt, le moment est opportun pour se financer sur les marchés financiers internationaux afin de promouvoir des marchés plus ouverts fondés sur une concurrence loyale et des gouvernements transparents.
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