Publié sur Voix Arabes

Compétences numériques : début d’état des lieux dans la région MENA

 Jeune femme utilisant ses compétences numériques pour travailler sur une tablette. Jeune femme utilisant ses compétences numériques pour travailler sur une tablette.

À cause de la guerre, Abdullah a dû abandonner ses études supérieures. Comme bien d’autres jeunes Syriens, il aurait bien eu du mal, encore récemment, à gagner sa vie. Grâce à Edraak (a), plateforme arabe de cours en ligne gratuits, lancée par la Fondation de la reine Rania en Jordanie, Abdullah s’est formé au graphisme et au marketing numérique. Installé en Jordanie, il vit désormais correctement de son métier, qu’il exerce en indépendant et à distance.

L’histoire d’Abdullah est emblématique de la façon dont la vague numérique qui déferle sur le monde change la vie au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. En 2025, le Moyen-Orient devrait compter 160 millions d’utilisateurs potentiels du numérique, soit autant de vecteurs d’une croissance économique rapide. 

Dans le contexte du double choc dû à la pandémie de COVID-19 et à l’effondrement des cours du pétrole, l’économie de la région devient plus tributaire que jamais des plateformes digitales. Dans un monde confiné où les établissements scolaires sont fermés depuis mars et où, selon les estimations de l’Organisation internationale du travail (a), les fermetures d’entreprises touchent quatre travailleurs sur cinq, il devient encore plus urgent de passer à des solutions d’enseignement numériques, virtuelles et à distance pour ouvrir de nouvelles voies d’accès aux qualifications et à l’emploi.

C’est un besoin urgent qu’il reste à satisfaire et qui prive aussi la région MENA des possibilités de développement qu’engendrent sans cesse les technologies numériques. La transformation digitale est source de croissance rapide et soutenue, mais n’est possible qu’à condition que les pays investissent dans leur capital humain et dans les infrastructures ad hoc.

La réussite d’une telle transformation passe par une révolution des compétences. Si les définitions et typologies des « compétences numériques » diffèrent, celles-ci recouvrent globalement les savoirs et savoir-faire que doivent posséder et appliquer les élèves, étudiants, travailleurs et populations de tous âges pour acquérir des connaissances, gagner leur vie et réussir dans nos sociétés numériques.

Le spectre des compétences numériques comprend plusieurs niveaux (de base, intermédiaire et avancé), mais comme nous le verrons dans notre prochain billet, elles consistent aussi en un éventail d’aptitudes diverses (a) : prédispositions, traits de caractère, comportements, savoir-faire et habitudes de travail, associés à des capacités de compréhension fondamentales.

Les compétences de base telles qu’établies par l’Union internationale des télécommunications sont les notions générales en matière de technologies de l’information et de la communication (TIC) que doit posséder « tout travailleur, consommateur ou citoyen dans une société numérique ». Il s’agit par exemple de l’aptitude à utiliser le traitement de texte ou à faire des recherches en ligne. S’ajoutant à ces notions élémentaires, les compétences intermédiaires sont « indispensables pour accéder à des fonctions plus élaborées sur le marché du travail », par exemple dans les domaines du commerce électronique ou du marketing sur les réseaux sociaux. Les compétences avancées ou « spécialisées », qui « constituent le fondement des professions et activités spécialisées », sont nécessaires pour créer, tester, analyser ou gérer des produits ou services à contenu numérique. La maîtrise technique qu’elles requièrent permet de résoudre des problèmes complexes, d’aider dans leurs choix d’autres personnes (des décideurs, par exemple), de contribuer à des pratiques professionnelles et d’apporter des idées innovantes, propices au développement économique.

Continuum of Digital Skills

Ces compétences constituent l’offre sur les marchés du travail numérique, tandis que les emplois correspondent à la demande. Selon le type de profession, les TIC remplissent des fonctions diverses. Pour certains emplois, l’outil informatique apporte simplement un plus. Pour d’autres, par exemple les postes en centre d’appels ou les métiers indépendants exercés en ligne, le numérique est fondamental. Enfin, certains métiers se caractérisent par une utilisation poussée de l’informatique, exigeant une spécialisation de haut niveau. C’est le cas de domaines d’activité tels que le développement d’applications ou l’apprentissage automatique.

Bien que les données soient rares et insuffisamment actualisées pour refléter les rapides changements en cours, nous disposons d’informations importantes sur l’adéquation — ou l’inadéquation — de l’offre de compétences numériques sur le marché du travail de la région MENA. Premier constat : la région souffre d’une pénurie de capital humain numérique caractérisée par un manque de compétences et d’informations. Par exemple, selon l’étude Future of Work (a) publiée en 2017 par McKinsey, 1,7 % seulement de la main-d’œuvre régionale est dotée de « talents numériques (a) ». De même, une enquête menée également en 2017 par Bayt/YouGov, important site d’offres d’emploi dans les pays de la région MENA, signale une pénurie aiguë de qualifications dans le secteur pourtant extrêmement recruteur des TIC.

C’est dans les pays du Golfe (CCG) que la transformation numérique est le plus avancée. Pourtant, ils présentent encore de profondes lacunes. Selon une enquête PwC réalisée en 2020, 70 % des PDG du Moyen-Orient considèrent que l’offre de compétences [numériques] essentielles constitue une entrave pour leur entreprise. Une précédente étude montrait en 2017 que, sur les dix compétences le plus souvent citées par les professionnels du numérique dans les pays du CCG, une seule comptait parmi celles les plus en essor au niveau international sur LinkedIn. En outre, aucune des dix compétences les plus disponibles dans les pays du Golfe ne relevait de domaines techniques ou informatiques.

Ces éléments de départ acquis, il nous reste encore beaucoup à apprendre. La poursuite de ces recherches repose sur la disponibilité d’études nationales sur l’emploi et de données plus complètes et plus récentes qui permettront de mieux concevoir des politiques et des programmes favorisant le développement des compétences numériques.

Dans cette série de billets intitulée MENA Digital Directions, nous analyserons et comparerons les différents environnements en matière de compétences numériques. Nous évoquerons les mesures à prendre pour développer ce type de qualifications dans l’ensemble des systèmes d’éducation et de formation. Nous examinerons le rôle du secteur privé et identifierons les débouchés qu’offre le numérique aux femmes, aux jeunes et aux réfugiés. En disposant d’une perspective complète sur le paysage numérique, les pays de la région pourraient en effet investir à bon escient dans les infrastructures et les compétences digitales, et offrir ainsi à un plus grand nombre de jeunes gens, comme Abdullah, un avenir meilleur et mieux connecté.


Auteurs

Andreas Blom

Manager, World Bank Education Global Practice, MENA Region

Nicole Goldin

Consultant, World Bank Education Global Practice and MENA Team

Mariam Nusrat

Spécialiste de l’éducation, Banque mondiale

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