Publié sur Voix Arabes

Témoignages d’une révolution inachevée : Les agriculteurs tunisiens ont le savoir-faire, mais manquent de soutien

Notre nouvelle série de billets intitulée « Témoignages d’une révolution inachevée » s’appuie sur des entretiens menés pour nourrir le nouveau rapport :  La Révolution inachevée : offrir des opportunités, des emplois de qualité et de la richesse pour tous les Tunisiens .


ImageHassen Abidi effrite un épi de blé dans sa main. Il n’a pas besoin d’un agronome pour lui dire qu’il est atteint de septoriose, une maladie fongique que les agriculteurs locaux connaissent bien. « J’en sais plus sur les cultures qu’un médecin sur les médicaments, mais là, je ne sais plus quoi faire », confie-t-il. « Parfois, je me demande pourquoi je continue ce métier. »

Cette année, le groupe de cultivateurs auquel il appartient n’a pas eu les moyens de s’acheter des pesticides ni de réparer la pompe défectueuse du vieux système d’irrigation. Pour leurs melons et leurs tomates, ils ont dû acheminer l’eau par camion en s’approvisionnant à une citerne voisine. Voilà deux ans qu’ils louent 15 hectares à des propriétaires du coin, sur la base d’un simple accord verbal. Le prix étant fixé à 1 000 dinars l’hectare, ils doivent trouver chaque année 15 000 dinars (soit 8 500 dollars) pour le fermage des terres.

Leur activité, qui ne repose que sur un faible volume, est menacée de faillite. Cette année, une entreprise de concentré de tomates leur a fourni à crédit les semences dont ils avaient besoin ; elle leur a également prêté des planteuses et leur fournira toujours à crédit des pesticides. Mais leur marge de profit est si étroite qu’ils ne peuvent envisager d’autres dépenses, explique M. Abidi. Même le plastique destiné à recouvrir les melons s’est avéré très coûteux.

D’après les économistes spécialisés dans l’agriculture, les cultivateurs comme M. Abidi auraient intérêt à se lancer dans des produits de gamme supérieure qui sont prisés en Europe (tomates séchées, légumes bio…). Seulement, pour ce faire, M. Abidi devrait recevoir des conseils sur l’évolution des goûts chez les consommateurs européens. « Nous savons cultiver, nous sommes prêts à travailler nuit et jour. Ce qu’il nous manque, c’est un soutien. »

D’après le nouveau, La Révolution inachevée : offrir des opportunités, des emplois de qualité et de la richesse pour tous les Tunisiens, l’agriculture tunisienne recèle un fort potentiel inexploité. Les politiques actuelles préconisent la sécurité alimentaire et favorisent la production de blé et de lait alors que la Tunisie n’a pas d’avantage comparatif dans ces produits et qu’en outre ceux-ci demandent beaucoup d’eau. Cette politique est assortie de subventions agricoles qui profitent avant tout aux grands propriétaires des zones littorales. En se réorientant vers des cultures méditerranéennes comme l’huile d’olive et les fruits secs, pour lesquelles elle dispose d’un avantage comparatif important et d’un soutien en hausse, la Tunisie pourrait accroître son produit intérieur brut de 1 %. Ce changement de stratégie profiterait à 70 % des cultivateurs du pays et serait une aubaine pour les régions intérieures plus défavorisées.

Au cœur du pays, à une soixantaine de kilomètres de la ville portuaire de Sfax, Mohamed Messaoudi sait que ses olives, son raisin de table sans pépin et ses variétés de pêche précoces sont de grande qualité. Une partie de sa production est déjà labellisée bio. L’huile d’olive qu’il fabrique avec sa presse de facture italienne est vendue en gros à l’Office national des huiles ou à un exportateur de Sfax, dont l’éventail de produits comprend des huiles d’olive vierges extra au citron, au basilic et à l’ail.

Cette valeur ajoutée, M. Messaoudi voudrait la générer lui-même, depuis son exploitation. Il sait que même si l’huile d’olive de son pays est prisée, les exportations à destination de l’Union européenne ne représentent que 20 % des quotas en vigueur.

Pourtant, il a cherché à emprunter pendant plus d’un an les 600 000 dinars tunisiens (350 000 dollars) nécessaires à la construction d’une usine d’embouteillage qui lui permettrait de commercialiser son huile et de l’exporter lui-même. Or, les prêts bancaires à taux modérés demeurent rares et le débit des connexions internet trop faible pour ouvrir son activité à l’international : il passe des heures à gérer les commandes depuis le « Publinet » (centre internet public) de Regueb. Même à la périphérie des villes, les connexions sont trop lentes et trop aléatoires pour travailler efficacement.

Messaoudi prévoit cependant d’investir dans le conditionnement de ses fruits et légumes. « J’ai de nombreux contacts en Libye et Algérie. Ils sont prêts à acheter mes produits pourvu qu’ils soient bien emballés. »

Auteurs

Bob Rijkers

Spécialiste en microéconomie appliquée

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