Tout expert interrogé sur les priorités en matière d'énergie dans les pays du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord (MENA) répondrait sans doute que des réformes s'imposent d'urgence, en particulier pour ce qui concerne les tarifs.
Connaissant la situation du secteur de l'énergie dans les pays de la région MENA, nous ne saurions contester cet avis. Des réformes sont effectivement nécessaires pour créer les conditions propices à de nouveaux projets d'infrastructures, aptes à fournir une énergie durable et résiliente. En créant des emplois, dont la région manque cruellement, et en stimulant ainsi le pouvoir d'achat, de tels projets contribueraient à relancer ces économies en difficulté, surtout après la crise de la COVID-19.
S’il est donc pertinent de mettre l’accent sur des réformes qui sont indispensables à une transition vers un avenir énergétique durable, il faut aussi veiller, selon nous, à ce que ces réformes tiennent compte du contexte économique et politique des pays concernés.
La mise en œuvre de réformes du secteur de l'énergie dans la région MENA a souvent occasionné une désapprobation massive de l'opinion publique, voire, dans certains cas, des mouvements de protestation. Les rudes réalités socio-économiques auxquelles sont confrontés les pays de la région engendrent une résistance aux réformes chez des citoyens qui craignent de voir leur niveau de vie en pâtir. C'est pourquoi la région doit, sans s'arrêter aux préoccupations purement économiques, se soucier davantage de l’adhésion des populations.
Pour surmonter leur résistance, il est en effet essentiel d’associer les citoyens aux réformes. Une telle démarche permet de renforcer la confiance envers les institutions politiques et de faire prendre conscience à l’opinion publique du préjudice que représente l'absence de réformes pour la société dans son ensemble. Dans les pays qui se sont efforcés d'obtenir l'adhésion de leur population, les réformes tarifaires ont été couronnées de succès, comme l’illustre l’exemple du Maroc (a) ou encore de l'Égypte.
La mobilisation des citoyens repose avant tout sur un travail de sensibilisation : ces derniers doivent être informés des effets néfastes des subventions et de leur impact sur la santé financière de leur pays. Mais ils doivent aussi avoir confiance dans le fait que leurs dirigeants sauront utiliser efficacement les ressources ainsi préservées, protéger les groupes sociaux les plus vulnérables et mettre en œuvre des réformes avantageuses pour tous, les citoyens bénéficiant de meilleures prestations sans que cela nuise à la situation des finances publiques.
Certes, la refonte des prix de l’énergie est une composante essentielle de tout train de réformes dans la région, mais sa place dans l’enchaînement des changements à instaurer n’est pas anodine.
Lorsque l'on projette une réforme tarifaire, on envisage souvent avant tout une augmentation des prix payés par le consommateur moyen pour la fourniture d'énergie. Mais dans de nombreux cas, ce réflexe qui néglige d’autres réformes préalables s'avère contreproductif.
Un examen complet de la situation que connaissent les fournisseurs d'énergie dans la région nous donne à penser que d'autres réformes sont plus urgentes. Il y a à cela trois raisons.
Premièrement, l'incapacité des fournisseurs à couvrir leurs coûts n'est pas seulement due, en général, à des tarifs trop bas, mais aussi à des inefficiences systémiques, assorties de pertes d'ordre technique ou non. En donnant la priorité aux prix, on risque de négliger d'autres mesures importantes, visant notamment à améliorer l'efficacité et la qualité des services.
Deuxièmement, avant d'augmenter les tarifs, d'autres solutions sont envisageables. Elles consistent par exemple à établir une distinction entre clients particuliers et professionnels, ou à mettre en application des tarifs variables pour la consommation électrique, selon les heures creuses ou de pointe.
Troisièmement, une réforme des tarifs est plus facile à appliquer si elle s’accompagne ou est précédée d’améliorations tangibles des services, de mesures de protection sociale destinées à atténuer son impact sur les groupes vulnérables (notamment les femmes et les mères chefs de famille), ainsi que d’une stratégie de communication et de mobilisation citoyenne efficaces.
Les réformes tarifaires ont des conséquences particulières pour les femmes, qui s’expliquent par des priorités et des besoins sensiblement différents de ceux des hommes en matière d’énergie, leur rôle distinct au sein de la société et du foyer, et les inégalités entre les sexes sur le plan des revenus et de l'autonomie économique. Les femmes étant le plus souvent chargées de l'intendance au sein du ménage, surtout dans les pays en développement, les changements de tarifs peuvent en outre influer sur leur utilisation de l'énergie. Par exemple, pour économiser du courant, une femme choisira d'effectuer certaines tâches à la main ou de modifier ses horaires de travail. Par conséquent, pour réussir une transition énergétique, il faut absolument tenir compte de l'avis des femmes dans les efforts de mobilisation menés auprès du grand public.
Avant d'augmenter les tarifs, il faudrait commencer par diminuer les coûts en réduisant les inefficiences techniques et organisationnelles, et susciter l'adhésion des clients par des réformes axées sur la demande, qui aillent dans le sens de leurs intérêts. Les réformes doivent avoir pour préalable une véritable politique de mobilisation citoyenne, entre autres actions favorisant leur mise en œuvre.
Et vous, qu'en pensez-vous ?
Le Programme d’assistance à la gestion du secteur énergétique (ESMAP) (a) est un partenariat entre la Banque mondiale et 19 donateurs (a), dont l’objectif est d'aider les pays à revenu faible et intermédiaire à réduire la pauvreté et stimuler la croissance en promouvant des solutions énergétiques durables. Ses services d’analyse et de conseil sont pleinement intégrés dans les activités de financement et de dialogue sur les politiques publiques dans le secteur énergétique menées par la Banque mondiale dans ses pays clients. Sous l’égide du Groupe de la Banque mondiale, l’ESMAP s’emploie à accélérer une transition énergétique indispensable à la réalisation de l’Objectif de développement durable no 7 : « garantir l’accès de tous à des services énergétiques fiables, durables et modernes, à un coût abordable ». Il contribue aussi à orienter les stratégies et programmes institutionnels en vue d’atteindre les cibles du Plan d'action sur le changement climatique (a) adopté par la Banque.
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