De nouvelles pistes pour analyser les migrations et l’adaptation au changement climatique en Afrique de l’Ouest

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Climate change and drought impact Climate change and drought impact

En raison des dérèglements du climat, des millions de personnes (a) vivent sous la menace de risques grandissants : phénomènes climatiques extrêmes, désertification, dégradation des sols, insécurité alimentaire et perte des moyens de subsistance. L’Afrique de l’Ouest est particulièrement vulnérable (a) à ces événements car, dans de nombreux pays, l’agriculture constitue la principale source d’emplois et de revenus. Que peuvent faire les populations lorsque vagues de chaleur et sécheresses menacent leurs moyens de subsistance ?

Migrer est une possibilité. Lorsque les conditions climatiques se dégradent dans la région où ils vivent, les individus se déplacent vers des régions où ils ont de meilleures chances de gagner leur vie. Concernant l’Afrique de l’Ouest, on peut supposer une hausse des flux migratoires intrarégionaux et en direction de l’Europe. Mais ce raisonnement ne tient pas compte du fait que, dans les pays en développement, de nombreux agriculteurs peinent à subsister. Si une sécheresse peut inciter les agriculteurs à migrer, elle peut également avoir détruit leur capacité financière à le faire. Notre nouvelle étude (a) explore cette dichotomie et constate qu’en fait, les anomalies climatiques à évolution lente, comme les sécheresses, entraînent une diminution des migrations hors d’Afrique de l’Ouest.

Qu’entendons-nous par anomalies climatiques ? Les anomalies climatiques désignent la survenue d’événements qui, à l’échelle de plusieurs semaines, plusieurs mois, voire toute une saison, s’écartent considérablement du climat qui prévalait depuis plusieurs décennies dans une région donnée. Ces anomalies se caractérisent généralement par une forte variation des précipitations et/ou des températures. Notre étude réunit ces indicateurs dans un indice permettant de mesurer les anomalies d’humidité du sol (a). Nous nous concentrons spécifiquement sur les anomalies intervenant pendant la saison de croissance des cultures, lorsque les rendements agricoles sont fortement tributaires de la disponibilité de l’eau. Nous calculons cet indice avec une granularité spatiale extrêmement élevée, en divisant l’Afrique de l’Ouest en cellules de 55 x 55 km. Comme en attestent les cartes ci-dessous, l’analyse de l’humidité du sol à ce niveau de finesse fait apparaître des variations nettement plus élevées et un nombre d’anomalies plus important, par comparaison avec des données agrégées au niveau national.

SMA Index: March, August, and Yearly Average at the Grid and Country Level for 2018

Figure 1 : Indice d’anomalie d’humidité du sol : Mars, août et moyenne annuelle (2018) à l’échelle de la grille et des pays

Les données climatiques sont disponibles à des échelles temporelles et spatiales fines, mais les données sur les migrations internationales ne le sont généralement qu’au niveau des pays par le biais des données de recensement. Si l’on tente de relier les données nationales aux anomalies climatiques, on risque de ne pas tenir compte d’une grande partie des variations qui se produisent au sein d’un pays. Par exemple, certaines régions peuvent enregistrer une augmentation des précipitations alors que d’autres seront confrontées à des sécheresses. Les indicateurs climatiques agrégés au niveau national afficheront des conditions proches de la normale, car les différences entre les régions s’annulent (voir la figure 1). Il est donc essentiel de disposer de données plus précises sur les flux migratoires internationaux pour comprendre l’impact des anomalies climatiques sur ces migrations. 

Comment notre étude permet-elle de surmonter ce problème ? Notre étude s’appuie sur de nouvelles données recueillies par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) (a). Ces données fournissent des informations sur le lieu d’origine du migrant et sur le moment de la migration, ce qui nous permet de calculer le nombre de migrants originaires de chacune de nos cellules de 55 x 55 km (voir figure 2). Nous rapprochons ensuite les données sur la migration totale à l’intérieur de chaque cellule de celles sur les anomalies d’humidité du sol pour cette zone. Les données temporelles et spatiales fines sur le climat et les flux migratoires nous permettent d’estimer plus précisément si les anomalies climatiques déclenchent des migrations internationales en Afrique de l’Ouest. En outre, nous pouvons déterminer si les caractéristiques de ces zones, comme le niveau de pauvreté, entraînent des réponses hétérogènes.

International migration in West and Central Africa at the grid level

Figure 2 : Migrations internationales en Afrique de l’Ouest et centrale

Quelles conclusions pouvons-nous en tirer ? Nos résultats montrent que les sécheresses sont associées à une forte diminution des flux d’émigration (-25 %) à l’échelle de la zone concernée. Cet effet est concentré pendant la saison végétative, ce qui souligne l’importance de conditions de sol favorables pour les rendements agricoles. Des conditions de sol favorables ont l’effet inverse : elles entraînent une augmentation des migrations internationales. Les résultats indiquent que les agriculteurs ne peuvent concrétiser leurs projets de migration que si les rendements agricoles sont suffisamment élevés pour couvrir les coûts afférents à leur départ.

Le comportement migratoire face aux sécheresses dépend du niveau de pauvreté de la zone touchée. Les personnes vivant dans des zones soit très riches soit très pauvres ne semblent pas réagir aux anomalies climatiques. En effet, aux extrémités de la distribution des revenus, les individus ont soit des contraintes financières qui les empêchent de migrer soit la possibilité de faire face à ces difficultés, indépendamment du rendement agricole. 

En revanche, les personnes vivant dans des zones situées au milieu de la distribution des revenus sont moins susceptibles de migrer après une sécheresse. Cette constatation est essentielle, car elle suggère que les personnes qui, dans des conditions climatiques normales, auraient pu migrer, n’ont pas les moyens de le faire, ce qui crée un cercle vicieux. Les sécheresses réduisent la production agricole et les rendements. Du fait de la baisse des rendements, les agriculteurs d’Afrique de l’Ouest ne peuvent pas investir dans des mécanismes d’adaptation comme la migration, et s’enfoncent encore davantage dans la pauvreté. Pour briser ce cercle vicieux, il faut des politiques visant à améliorer fondamentalement les conditions de vie locales et à accroître les investissements dans des stratégies d’adaptation et d’atténuation des chocs climatiques.

Nous remercions Dominik Paluch et Janin Marquardt pour leur précieuse contribution à nos travaux de recherche. Nous sommes également très reconnaissants à l’OIM pour avoir fourni les données relatives aux migrations et à Damien Jusselme pour ses conseils avisés sur leur utilisation.


Auteurs

Fernanda Martínez Flores

Post-Doc Researcher at the RWI - Leibniz Institute for Economic Research

Sveta Milusheva

Senior Economist, Development Impact Evaluation

Arndt Reichert

Professor of Health Economics and Development Research, University of Hannover

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