"Celui qui enseigne apprend dans l'acte d'enseigner et celui qui apprend enseigne dans l'acte d'apprendre" a écrit le pédagogue brésilien Paulo Freire dans son célèbre ouvrage "Pédagogie de la liberté" (1996).
Malgré les conséquences écrasantes de la pandémie, cette crise mondiale a également été un moment extraordinaire pour l'apprentissage. Nous sommes en train d'apprendre à quel point les systèmes éducatifs, les décideurs politiques, les enseignants, les élèves et les familles peuvent être adaptables et résilients. Dans ce blog (qui fait partie d'une série mettant en lumière les principaux enseignements tirés d'une étude visant à comprendre l'efficacité perçue des solutions d'apprentissage à distance, à venir), nous résumons les leçons apprises dans différents pays, en mettant l'accent sur les enseignants et la manière dont ils ont dû rapidement réimaginer les connexions humaines et les interactions pour faciliter l'apprentissage. Le rôle des enseignants évolue rapidement et devient à bien des égards plus difficile que lorsque l'apprentissage se faisait uniquement en personne.
Comment la pandémie a-t-elle transformé le rôle des enseignants?
Deux facteurs cruciaux ont changé en raison de la pandémie. Tout d'abord, les adaptations pédagogiques se sont avérées essentielles, car les modèles traditionnels de cours en personne ne s'appliquent pas à un environnement d'apprentissage à distance. Quel que soit le type de canal utilisé (radio, télévision, téléphone portable, plateformes en ligne, etc.), les enseignants doivent adapter leurs pratiques et faire preuve de créativité pour maintenir l'intérêt des élèves, car chaque foyer est devenu une salle de classe, le plus souvent sans environnement propice à l'apprentissage. Certains pays soutiennent les enseignants dans ce domaine. En Sierra Leone, où le principal canal d'apprentissage à distance est la radio, une ligne téléphonique gratuite et en direct permet aux élèves d'appeler les enseignants pour poser des questions et les horaires des cours à la radio laissent le temps aux enfants d'aider leur famille dans les tâches quotidiennes.
Deuxièmement, la pandémie a recalibré la manière dont les enseignants partagent leur temps entre l'enseignement, l'engagement auprès des élèves et les tâches administratives. Au Brésil, selon une enquête menée par l'Instituto Peninsula, 83 % des enseignants ne se considéraient pas prêts à enseigner à distance, 67 % étaient anxieux, 38 % se sentaient fatigués et moins de 10 % étaient heureux ou satisfaits. La pandémie a mis en évidence le besoin de flexibilité et de plus de temps pour les interactions entre élèves et enseignants. En Estonie, par exemple, on a donné aux enseignants l'autonomie nécessaire pour adapter le programme, les plans de cours et le temps qui leur est alloué.
Comment les systèmes ont-ils soutenu les enseignants dans leur nouveau rôle?
Près de 90 % des pays qui ont répondu à l'enquête des Ministères de l'Éducation sur les réponses nationales à la COVID-19 menée par l'UNESCO, l'UNICEF et la Banque mondiale (2020) ont soutenu les enseignants en partageant des directives soulignant l'importance de : fournir un retour d'information aux élèves, maintenir une communication constante avec le personnel soignant et rendre compte aux unités éducatives locales pour suivre l'apprentissage. Quelques gouvernements ont adopté une approche différente : le Costa Rica a développé une boîte à outils numérique avec des ressources pédagogiques telles qu'un guide pour le travail autonome et l'État de São Paulo au Brésil a organisé de fréquentes conversations de deux heures entre le secrétaire Rossieli Soares et les enseignants via l'application mobile développée par l'État. Ces conversations et ces outils ont permis aux gouvernements d'avoir une ligne de communication ouverte avec les enseignants pour mieux comprendre leurs préoccupations et ajuster les programmes d'apprentissage à distance.
Lorsque les enseignants ont commencé à mettre en œuvre ces directives et recommandations, ils se sont vus dans la nécessité de trouver un équilibre entre l'enseignement et le retour d'information aux élèves à distance, la rédaction de rapports administratifs et la prise en charge de leur famille. Certains gouvernements ont reconnu très tôt que leurs systèmes de soutien aux enseignants, bien que bien intentionnés, finissaient par générer un épuisement professionnel. Le ministère péruvien de l'éducation s'est montré ouvert aux commentaires et a réagi rapidement en modifiant les directives afin de réduire la charge de travail administratif des enseignants. L'État du Minas Gerais, au Brésil, a mis au point l'application mobile "Conexao Escola" pour encourager l'interaction entre enseignants et élèves pendant une période déterminée après chaque cours, afin d'éviter que les élèves ne contactent les enseignants par WhatsApp ou par SMS tout au long de la journée. En Uruguay, les enseignants étaient censés remplir des informations administratives, mais au lieu de leur demander de nouvelles informations, le gouvernement a décidé d'utiliser GURI, une plateforme numérique utilisée par les enseignants uruguayens depuis plus de 10 ans pour communiquer des informations telles que la présence des élèves et leurs notes.
En plus de fournir des lignes directrices et des outils, certains gouvernements ont tiré parti des programmes de développement professionnel existants qui fonctionnaient avant la pandémie. L'État d'Edo, au Nigeria, a formé les 11 000 enseignants du primaire qui font partie du programme Edo-BEST au cours des deux dernières années à l'utilisation efficace des technologies numériques en classe ; pendant la pandémie, ce programme de formation continue des enseignants est passé d'une formation en personne à une formation à distance. De même, en Uruguay, l'Institut pour la formation continue des enseignants a mis en ligne un programme d'accompagnement existant afin de fournir un soutien pédagogique à distance et Ceibal a renforcé son programme de formation des enseignants et son référentiel de ressources éducatives libres. Si plus de 90 % des enseignants uruguayens étaient satisfaits de la formation à distance reçue pendant la pandémie, certains ont tout de même exprimé le besoin d'une formation complémentaire.
Quel impact les technologies ont-elles généré dans ce rôle en transformation?
Face à la pandémie, les pays ont combiné des approches high-tech et low-tech pour aider les enseignants à mieux soutenir l'apprentissage des élèves. Au Cambodge, par exemple, les responsables de l'éducation ont conçu une stratégie qui combine les SMS, les documents imprimés et le retour d'information continu des enseignants, en tirant parti de la forte pénétration des téléphones portables dans le pays. L'approche va au-delà de la fourniture de matériel de faible technicité : elle donne des informations sur la manière d'accéder aux programmes d'apprentissage, veille à ce que les élèves aient accès à du matériel d'apprentissage sur papier et prévoit des visites à domicile pour contrôler les activités d'apprentissage à distance. Les enseignants sont également censés fournir des ressources papier aux élèves et les rencontrer chaque semaine pour leur remettre leurs feuilles de travail corrigées et en distribuer de nouvelles pour la semaine à venir.
La technologie a également permis d'améliorer le soutien gouvernemental aux enseignants, en adaptant les programmes de coaching existants pour qu'ils puissent être dispensés à distance (comme dans les cas mentionnés du Nigeria et de l'Uruguay), en créant des espaces pour les programmes de soutien par les pairs (par exemple l'initiative Virtual EdCamps, créée pour faciliter l'apprentissage par les pairs entre enseignants) ou en mettant en place des lignes d'assistance EdTech pour les enseignants (comme en Estonie, où la HITSA - la Fondation des Technologies de l'Information pour l'Éducation - a ouvert une ligne d'information sur les technologies éducatives pour résoudre toute question technologique que les enseignants pourraient avoir).
Les interventions technologiques devraient renforcer l'engagement des enseignants auprès des élèves, grâce à un meilleur accès aux contenus, aux données et aux réseaux, aidant ainsi les enseignants à mieux soutenir l'apprentissage des élèves, comme le prévoit la Plateforme pour des Enseignants à Succès de la Banque mondiale, où l'utilisation efficace des technologies est l'un des principes clés pour garantir des cadres d'enseignants efficaces.
Comment les décideurs politiques peuvent-ils soutenir les enseignants pendant la réouverture des écoles ?
Afin de reconstruire des systèmes éducatifs plus solides, les pays devront appliquer les initiatives pédagogiques qui se sont avérées efficaces pendant la phase d'apprentissage à distance et les intégrer dans le système éducatif ordinaire. Il est essentiel de donner aux enseignants les moyens d’agir, en investissant dans le développement des compétences et le renforcement des capacités nécessaires pour exploiter tout le potentiel de l'apprentissage à distance et de l'apprentissage mixte.
Il est tout aussi important de libérer le temps des enseignants des tâches administratives (comme l'ont fait le Brésil, le Pérou et l'Uruguay), de se concentrer sur ce qui est pédagogiquement efficace et d'apporter un soutien socio-émotionnel aux enseignants. La pandémie et les fermetures prolongées d'écoles ont transformé le rôle des enseignants et la plupart d'entre eux n'étaient pas préparés à un tel changement ; une stratégie globale est nécessaire pour le suivi socio-émotionnel et le soutien psychosocial afin de garantir le bien-être des enseignants et d'éviter l'épuisement professionnel.
Nous remercions tout particulièrement Sarah Helena Ady Kleinmann pour la version française.
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