Scolariser les enfants, c’est bien, mais ça ne suffit pas : plongée dans le système scolaire haïtien

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En Haïti, près de 90 % des enfants d’âge primaire sont scolarisés. Bien que le pays n’atteigne pas encore la scolarisation universelle, les progrès accomplis depuis 20 ans restent impressionnants. Mais la scolarisation n’est que la première étape de la construction du capital humain, car beaucoup d’élèves redoubleront et environ la moitié d’eux abaderont l’école avant la fin du primaire sans maîtriser les compétences de base en lecture, écriture et calcul. Pourquoi le passage à l’école est-il si peu productif ?

Avec le soutien de la Banque Mondiale et du Fonds d’évaluation d’impact stratégique (a), le gouvernement d’Haïti a conduit des observations de salles de classe sur le terrain pour tenter d’éclairer cette question. Les chercheurs ont sélectionné de manière aléatoire 97 écoles du nord du pays (l’une des régions les plus défavorisées) pour procéder à une observation sur place, en faisant appel à la « méthode Stallings » (a). Leurs conclusions donnent une vision parfois étonnante du quotidien des écoles haïtiennes :

  • Les enseignants sont présents et font leur travail : à 76 %, le temps moyen d’instruction est supérieur de 10 à 15 points au niveau observé dans d’autres pays d’Amérique latine et des Caraïbes (voir graphique ci-dessous). Cette observation est cohérente avec des résultats montrant que l’absentéisme des enseignants en Haïti est plus faible que dans d’autres pays en développement. Le faible absentéisme et la durée importante du temps d’instruction s’expliquent en partie par un dispositif d’incitations assez particulier : plus de 80% des écoles primaires sont non-publiques,  ce qui signifie que  les enseignants sont essentiellement employéss à volonté et ont potentiellement de meilleurs mécanismes de responsabilisation. Même dans les écoles publiques, où la sécurité de l’emploi est supérieure, le paiement des salaires n’est pas garanti, ce qui peut motiver les enseignants à travailler dans l’espoir d’être payés éventuellement.
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  • Mais les méthodes didactiques sont inefficaces : la majeure partie du temps d’instruction est consacré à des cours de lecture et des exercices où les élèves doivent répondre aux questions en unisson et font essentiellement appel à la mémoire et la répétition. Les enseignants reprennent ou corrigent rarement les nombreuses mauvaises réponses ou l’absence de réponses observées par les chercheurs. Ces techniques ont une efficacité limitée (a) quand il s’agit d’impartir aux enfants, surtout les plus jeunes, les compétences cognitives indispensables à une scolarité réussite.
     
  • La langue d’instruction ainsi que les méthodes d’enseignement posent des défis : En Haiti la langue maternelle est le créole haïtien, plutôt que le français, et le gouvernement a introduit un apprentissage de la lecture et de l’écriture exclusivement en créole pour la première année d’instruction. Mais les observateurs ont noté que le français a pratiquement trois fois plus de chances d’être étudié dans ces classes que le créole (respectivement 34% et 12 %). Ceci pose un problème de compréhension et d’apprentissage, puisque les élèves et leurs enseignants maîtrisent mal le français : dans les classes de la 4 à la 6e année, seulement 50 % des activités de lecture ou d’écriture en classe se font uniquement en français.
     
  • Par conséquent, de nombreux élèves se démotivent ou ne profitent pas de leur temps passé en classe : seulement environ 35 % du temps scolaire est consacré à l’instruction, quand tous les élèves écoutent l’instituteur — un taux plus faible que dans un bon nombre d’autres pays d’Amérique latine et des Caraïbes (voir graphique infra). Le reste du temps, une partie des élèves joue, dort ou regarde dans le vide. Dans les classes où le temps d’instruction est plus long et où tout le monde participe, les élèves ont un meilleur niveau de lecture, ce qui indique que l’enseignant a su mobiliser l’attention de ses élèves.
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Note : les moyennes relatives au temps d’instruction et des périodes où les élèves ne sont pas concentrés ne sont pas représentatives du pays (voir l’étude pour plus d’informations).

Au-delà des multiples obstacles auxquels se heurtent les enfants et leurs familles pour accéder à l’école (coûts directs et d’opportunité, maladies, catastrophes naturelles, problèmes de santé et d’alimentation, etc.), il est désolant de constater que ceux qui les surmontent ne tirent en fait guère profit de leur instruction. Ces résultats mettent clairement en évidence la nécessité de renforcer les compétences didactiques des enseignants (pratiques pédagogiques et maîtrise des matières enseignées, notamment sur le plan du langage) pour relever le niveau de résultats d’apprentissage.

Avec le soutien coordonné de ses partenaires nationaux et internationaux, le gouvernement d’Haïti s’est lancé dans la conception d’une politique de formation des enseignants qui pourrait faire la différence a pros des résultats d’apprentissage, à condition d’être effectivement achevée et mise en œuvre. Cette réserve prend ici un écho particulier, car les conclusions d’études rigoureuses ont tendance à souligner le manque d’impact des programmes classiques de formation professionnelle. Le problème est particulièrement sérieux en Haïti, où la plupart des enseignants ne sont pas allés au-delà des études secondaires (s’ils ne se sont pas tout simplement arrêtés en fin de primaire). Mais une formation continue pratique, adaptée et suivie peut considérablement renforcer l’efficacité des pratiques ( voir ici une présentation d’éléments probants). En tirant des leçons de ces expériences et en concevant des approches adaptées à la situation d’Haïti, le gouvernement parviendra à rendre l’enseignement plus efficace et à faire de la scolarité une démarche utile pour les enfants qui font l’effort de venir à l’école.

Avec la contribution de Camille Simardone.

 

Auteurs

Juan D. Barón

Senior Economist, Education Global Practice, World Bank Group

Melissa Adelman

Senior Economist in the World Bank Group’s Education Global Practice

David Evans

Senior Fellow, Center for Global Development

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