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Les leçons d’Ebola : faire collaborer tous les acteurs de l’aide internationale

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A trip to the front lines of the fight against Ebola in the Democratic Republic of Congo: A MONUSCO soldier monitors the security situation while a helicopter leaves. © World Bank/ Vincent Tremeau A trip to the front lines of the fight against Ebola in the Democratic Republic of Congo: A MONUSCO soldier monitors the security situation while a helicopter leaves. © World Bank/ Vincent Tremeau
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Alors que la pandémie de COVID-19 (coronavirus) gagne les États fragiles, un partenariat efficace entre les acteurs de l’aide humanitaire, du développement et de la paix (« partenariat HDP », aussi connu comme le « triple nexus ») pourrait sauver des vies et limiter les pertes économiques.  Mais comment ces acteurs, dont les mandats, les cultures organisationnelles, les profils de risque et les processus internes diffèrent, peuvent-ils unir leur force face à une crise de santé publique ?

Un projet pilote soutenu par le Fonds pour la consolidation de la paix et renforcement de l’État (SPF) apporte un éclairage précieux sur cet enjeu d’une grande urgence. Conçu pour accompagner le lancement d’un programme d’urgence de Travaux publics à Haute Intensité de Main d’Œuvre (THIMO) pendant l’épidémie d’Ebola de 2018-2019 en République démocratique du Congo (RDC), ce projet pilote était fondé sur deux principes opérationnels : (i) déployer toute l’influence de la Banque mondiale pour constituer des partenariats humanitaire/développement/paix capables d’accroître l’efficacité du projet et de renforcer la crédibilité du gouvernement ; et (ii) s’appuyer sur ces mêmes partenariats pour augmenter les investissements dans les systèmes nationaux financés par l’IDA. Cette approche s’inscrit clairement dans la nouvelle stratégie du Groupe de la Banque mondiale en matière de fragilité, de conflit et de violence, qui ambitionne de rester activement engagé pendant les crises afin de poser les jalons d’une reprise sur le long terme dès la crise terminée.

En RDC, la dernière épidémie d’Ebola a atteint un pays déjà affecté par de nombreux déplacements forcés et d’éternels conflits entre rebelles armés, groupes d’autodéfense et forces de sécurité. La MONUSCO, la mission de maintien de la paix des Nations Unies en RDC, est déployée depuis presque 20 ans pour stabiliser les provinces orientales du pays. En juillet 2019, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) faisait état de plus de 2 500 contaminations, avec un taux de mortalité de 70 %. Pas moins de 72 organisations, dont le Programme alimentaire mondial (PAM), le Bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA), l’UNICEF et Médecins sans frontières, se sont mobilisées pour répondre à cette urgence sanitaire. Malheureusement, beaucoup de ces efforts ont été rejetés par la communauté de manière violente, y compris par des attaques meurtrières contre les intervenants de première ligne. En effet, les nombreuses décennies de conflit ont engendré une grande méfiance des populations envers les autorités étatiques et les acteurs extérieurs qui les soutiennent. En dépit de la grande mobilisation des bailleurs de fonds pour répondre à l’urgence Ebola, la population considère que ces fonds n’ont pas été équitablement redistribués et y voit une certaine théorie du complot cachant des intérêts occultes, le « business Ebola »

C’est dans ce contexte que le programme d’urgence de THIMO est intervenu pour atteindre trois objectifs : renforcer la résilience des communautés en proposant des emplois temporaires dans les zones où l’épidémie bat son plein ; organiser des travaux publics pour remédier aux déficits infrastructurels de longue date qui ralentissent les interventions médicales et humanitaires d’urgence ; et faciliter l’acceptation des équipes médicales en fournissant des résultats rapides sur le terrain.

L’hypothèse posée était la suivante : une intervention de filet sociaux permettrait d’accélérer la réponse sanitaire publique en adressant les griefs qui alimentent depuis longtemps l’hostilité des populations.  Entre avril et décembre 2019, le projet pilote a réaménagé plusieurs routes en zone rurale, offrant par là des emplois temporaires à plus de 12 000 femmes et hommes dans les communautés les plus touchées.

Dans un tel contexte opérationnel à haut-risque, la qualité des partenariats HDP peut avoir une grande influence sur le succès ou l’échec d’un projet. L’organisme gouvernemental chargé de l’exécution du projet, le Fonds social de la RDC, fort de ses années d’expertise pour l’organisation de travaux publics a reçu l’assentiment des communautés locales. Cependant, pour optimiser ces atouts dans le contexte d’Ebola, de nouvelles alliances et de nouveaux protocoles ont dû être mis en place avec les agences de santé publique, les acteurs humanitaires et les forces de maintien de la paix. C’est là où le pouvoir d’influence et de mobilisation de la Banque mondiale a fait la différence. En effet, la Banque a ouvert et maintenu les canaux de communication, ce qui a bénéficié à tous les partenaires HDP :

  • en collaboration avec le PAM, le programme de THIMO a pu réhabiliter ou maintenir en état des axes routiers humanitaires stratégiques, facilitant ainsi l’accès du personnel et des équipes médicales aux communautés locales ;
  • au démarrage des chantiers, l’UNICEF a distribué des kits de lavage de mains et des thermomètres afin de contrôler l’état de santé des bénéficiaires. Les mesures de santé publique pour la prévention de la transmission du virus ont pu ainsi être maintenues pendant les différentes phases de l’intervention ; 
  • pour réduire les risques d’insécurité, qui peuvent s’accroitre à tout moment, l’équipe de la Banque mondiale a travaillé avec les forces de maintien de la paix de la MONUSCO pour partager des données et renseignements sur les dynamiques de violence. Cette collaboration a permis d’adapter les stratégies de supervision et de mise en œuvre du projet à des situations de crise imprévues ;
  • pour faciliter l’accès aux zones impossibles à atteindre par la route, le Service aérien humanitaire des Nations Unies (UNHAS) a organisé des vols pour des missions conjointes Banque mondiale-Fonds social à destination de communautés isolées.

Ces premières tentatives de collaboration entre humanitaires, acteurs de développement et de maintien de la paix, le « triple nexus », ont été couronnées de succès. Ainsi, un an après son lancement, le programme de THIMO fait maintenant partie intégrale du pilier consacré à l’engagement auprès des communautés du plan stratégique de réponse intégrée à Ebola, élaboré par le gouvernement et ses partenaires internationaux.

Ce modèle de mise en œuvre à travers le « triple nexus » ouvre la voie à des investissements dans le système de protection sociale de la RDC à plus long terme. Fort des leçons tirées de la phase pilote, le programme THIMO sera étendu à toutes les zones de santé touchées par l’épidémie Ebola à travers un fonds de contingence de 50 millions de dollars. L’expérience tirée de ce partenariat HDP sera utile pour renseigner l’élaboration d’un financement additionnel de l’IDA en faveur du Projet pour la stabilisation de l’Est de la RDC pour la paix (STEP). Cet investissement, beaucoup plus large et qui est en cours de préparation, va poursuivre les travaux publics, tout en finançant également des transferts monétaires non-conditionnels. Il financera par ailleurs une assistance technique pour établir un registre social unifié qui pourrait faciliter l’identification des personnes pauvres et vulnérables dans tout type d’urgence.

Tant en situation de conflits que de pandémie, les partenariats HDP sont indispensables dans les environnements à haut-risque.  Afin que ces partenariats fonctionnent efficacement, il faut néanmoins des investissements en amont pour établir une lecture opérationnelle commune entre des organisations qui ont des missions, priorités et cultures différentes. L’expérience acquise en RDC lors de l’épidémie d’Ebola a démontré que cette approche « triple nexus » peut avoir des résultats positifs et tangibles sur le terrain, tout en favorisant des partenariats gagnant-gagnant pour tous les acteurs travaillant dans la réponse aux crises sanitaires. Face à la menace que la pandémie de COVID-19 fait peser sur les États fragiles, les partenariats HDP peuvent se révéler particulièrement utiles pour atteindre les plus vulnérables et n’abandonner personne.


Auteurs

Sophie Grumelard

Senior Social Protection Specialist, World Bank

Paul M. Bisca

Conflict & Security Consultant, Fragility, Conflict & Violence Group

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