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Quantifier l’accès à la chirurgie : un nouveau paradigme pour le renforcement des systèmes de santé

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Ce billet s’inscrit dans une série d’articles consacrés aux données issues de l’édition 2016 des Indicateurs du développement dans le monde (WDI) (a). Ses auteurs ont pris part à la Commission du Lancet sur la chirurgie dans le monde (a).

Le nombre relatif de chirurgiens varie d?un pays à l?autre
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Plus des deux-tiers de la population mondiale n’a pas accès à des soins chirurgicaux et anesthésiques sûrs et abordables quand ils sont nécessaires. Or l’impact des pathologies chirurgicales n’est pas neutre. On estime que les problèmes de santé imposant une prise en charge par un chirurgien entraîneront des pertes en termes de productivité économique de 12 300 milliards de dollars dans les pays à revenu faible et intermédiaire d’ici à 2030 (a). Par ailleurs, 81 millions de personnes sont confrontées à des dépenses de santé catastrophiques (a) en raison du coût des soins chirurgicaux payés chaque année.
 
L’accès à la chirurgie revêt une importance cruciale pour la réalisation de plusieurs des Objectifs de développement durable (ODD) : « bonne santé et bien-être » (objectif n° 3), « pas de pauvreté » (objectif n° 1), « égalité entre les sexes » (objectif n° 5) et, enfin, « réduction des inégalités » (objectif n° 10).
Mais, pour pouvoir agir, les autorités nationales doivent disposer d’indicateurs fiables qui décomposent de façon rigoureuse chaque composante de l’accès à la chirurgie en tant que modalité de traitement ou de plateforme de soins. C’est dans ce but que le président du Groupe de la Banque mondiale, Jim Yong Kim, a lancé un appel à la communauté chirurgicale (a) en 2014 pour la mise en place d’indicateurs associés à des cibles et des délais conformes à ce que le monde est en droit d’attendre dans ce domaine.
 

Six indicateurs clés de la solidité du système chirurgical ​

Indicateurs de la Commission du Lancet sur la chirurgie dans le monde
 

La Commission du Lancet sur la chirurgie mondiale, mise en place en 2013 pour évaluer la situation de l’accès à la chirurgie dans le monde, a répondu à cet appel. Ses membres ont lancé un processus mondial de consultation auprès de partenaires issus de plus de 110 pays afin d’élaborer six indicateurs clés (a) sur la solidité du système chirurgical. Deux de ces indicateurs évaluent la préparation d’un pays à la délivrance de soins chirurgicaux et anesthésiques, deux autres la qualité de la prestation de ces mêmes soins, et les deux derniers mesurent le degré de protection contre les risques financiers des personnes nécessitant une prise en charge chirurgicale. Ces indicateurs, qui se fondent sur le principe de couverture santé universelle de la Banque mondiale, sont les suivants :
 
1. Accès à une chirurgie essentielle en temps opportun : proportion de la population pouvant accéder, en moins de deux heures, à un établissement où l’accouchement par césarienne, la laparotomie et le traitement d’une fracture ouverte (intervention de Bellwether) peuvent être effectués.

2. Densité de personnel chirurgical spécialisé (indicateur WDI SH.MED.SAOP.P5: nombre de médecins spécialisés en chirurgie, anesthésie et obstétrique en activité, pour 100 000 personnes.

3. Volume chirurgical (SH.SGR.PROC.P5) : nombre d’interventions effectuées en salle opératoire dans chaque pays, par année et pour 100 000 personnes (rentrent dans le champ de ces interventions les incisions, excisions ou manipulations de tissus nécessitant une anesthésie locale ou générale, ou une sédation profonde pour réduire la douleur).

4. Taux de mortalité péri-opératoire : nombre de décès à l’hôpital (toutes causes confondues) chez les patients ayant subi une chirurgie en salle opératoire divisé par le nombre total d’interventions.

5. et 6. Risque de dépenses appauvrissantes (SH.SGR.IRSK.ZS) et catastrophiques (SH.SGR.CRSK.ZS) liées à la prise en charge chirurgicale : probabilité de devoir faire face à des dépenses appauvrissantes (sur la base de 1,25 dollar par personne et par jour) et à des dépenses catastrophiques (10 % du revenu total) en cas de recours indispensable à la chirurgie.
 
Ces indicateurs de base ont été définis pour que les ministères de la Santé puissent disposer d’informations essentielles sans avoir à supporter une charge financière importante pour la collecte et l’analyse des données. Le rapport publié en avril 2015 par la Commission reposait sur des travaux de modélisation permettant d’obtenir des estimations mondiales sur la densité de chirurgiens, le volume chirurgical et la protection financière. En revanche, on ne disposait pas encore de données par pays.

Avec ses partenaires du monde universitaire, la Commission a lancé en juin 2015 son « initiative mondiale de suivi des indicateurs » afin de collecter des données primaires au niveau des pays pour chaque indicateur ou, à défaut, pour obtenir des données modélisées. Holmer, et al (a) ont ainsi produit, avec le soutien de l’OMS, un premier ensemble de données sur la densité de personnel chirurgical spécialisé. Weiser, et al ont développé un modèle estimant le volume chirurgical par pays et Shrime et al (Shrime MG DA, Alkire BC, Meara JG) ont fourni des données sur la charge financière liée à la chirurgie dans 186 pays. En 2016, le British Journal of Surgery a modélisé une estimation des risques de dépenses appauvrissantes et catastrophiques. Pour compléter et valider ces données, nous avons interrogé les ministères de la Santé de 213 pays ou territoires autonomes et 119 d’entre eux nous ont répondu, notamment 64 pays qui ont envoyé de nouvelles données primaires. À la lumière des premiers éléments recueillis, on constate des inégalités frappantes dans l’accès à la chirurgie dans le monde.
 

Moins de 10 % des interventions chirurgicales indispensables pour sauver des vies et prévenir des handicaps sont actuellement réalisées dans des pays à faible revenu.

Diagramme représentant le volume chirurgical selon le niveau de revenu, par rapport à l’objectif de 5 000 interventions fixé par la Commission

Dans les pays à faible revenu, le volume chirurgical médian s’établit à 424,5 interventions pour 100 000 personnes, soit un résultat très loin de l’objectif de 5 000 interventions recommandé par la Commission du Lancet sur la chirurgie dans le monde.

La densité de personnel chirurgical spécialisé est corrélée à l’espérance de vie

Densité de chirurgiens, anesthésistes et obstétriciens comparée à l’espérance de vie, par rapport aux deux niveaux de référence de la Commission (20/100 000 et 40/100 000). La taille des bulles est proportionnelle à la population du pays.

Il existe une corrélation évidente entre la densité de personnel chirurgical spécialisé et l’espérance de vie. La plupart des pays où l’espérance de vie est d’au moins 70 ans dispose d’une densité de personnel spécialisé supérieure au niveau de référence de la Commission, à savoir 20 spécialistes pour 100 000 personnes. Mais à l’évidence, nous avons beaucoup à apprendre des pays qui parviennent à une telle espérance de vie avec moins de spécialistes de la chirurgie.

Dans les pays à faible revenu, quatre personnes sur cinq risquent une catastrophe financière en cas de recours indispensable à la chirurgie

Risque de dépenses appauvrissantes si une prise en charge chirurgicale est nécessaire, par pays, selon les groupes de revenu de la Banque mondiale

Dans les pays les plus pauvres de la planète, plus de 80 % des personnes doivent supporter des dépenses appauvrissantes (qui les placent au-dessous du seuil de pauvreté) en cas de nécessité chirurgicale (en raison des frais directement liés à l’acte chirurgical lui-même). La Banque mondiale a fixé un objectif ambitieux de couverture sanitaire universelle garantissant l’accès de 80 % de la population aux services de santé essentiels d’ici 2030. Pour atteindre cet objectif, il sera impératif d’inverser la courbe du taux actuel de couverture chirurgicale dans les 15 prochaines années.

Des outils simples montrent les disparités géographiques de l’accès à la chirurgie au sein même d’un pays

Deux heures de trajet pour accéder aux services chirurgicaux en Mongolie

Accès aux services chirurgicaux en Mongolie. Les points représentent les établissements de santé où l’accouchement par césarienne, la laparotomie et le traitement d’une fracture ouverte peuvent être pratiqués. Les zones en rouge sont situées à plus de deux heures de ces établissements. La couverture totale de la population en Mongolie s’établit à 80,2 %.

Les données sur l’accès à une chirurgie essentielle en temps opportun et sur le taux de mortalité péri-opératoire étaient insuffisantes pour pouvoir être intégrées à l’édition 2016 des Indicateurs du développement dans le monde. Néanmoins, la collaboration entre la Commission et ses partenaires de l’université Stanford et de Redivis a favorisé la création d’un outil automatisé pour établir une carte des installations chirurgicales et calculer le temps de trajet des populations jusqu’à ces établissements.

L’avenir des données sur la chirurgie

Les recherches continuent pour obtenir des données primaires toujours plus précises, plus détaillées afin de décrire la prise en charge chirurgicale. La poursuite de la collecte de données sur la chirurgie sur toute la période des ODD et même au-delà nécessitera l’implication des chercheurs de tous les pays et le soutien mobilisateur d’organisations internationales telles que les Nations Unies et l’OMS. Cette dernière a joué un rôle majeur dans la collecte de données sur la densité de personnel spécialisé, grâce à ses mécanismes de reporting régulier en la matière. Enfin, avec son Initiative mondiale de suivi des indicateurs, la Commission s’efforce d’associer ceux qui disposent des données les plus importantes : les ministères de la Santé de chaque pays. Nous espérons que ce mouvement incitera les autorités nationales de santé à prendre sérieusement en compte ces données pour mettre en œuvre des politiques favorisant l’accès universel à des soins chirurgicaux et anesthésiques sûrs et abordables quand ils sont nécessaires.


Auteurs

John G Meara

John G Meara MD DMD MBA FACS

Mark G Shrime

Mark G Shrime MD MPH PhD FACS

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