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Concilier les objectifs écologiques, économiques et de développement pour protéger la biodiversité

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The research also developed a composite biodiversity indicator, which identifies areas of expected biodiversity loss from upgrading secondary roads to primary status. Photo by Leandro Rregoni on Unsplash The research also developed a composite biodiversity indicator, which identifies areas of expected biodiversity loss from upgrading secondary roads to primary status. Photo by Leandro Rregoni on Unsplash

Ce billet fait partie d'une série (a) qui présente les résultats de travaux de recherche orientés vers les politiques et pratiques de développement et menés sous l'égide du programme Knowledge for Change (KCP) (a).

Notre compréhension de la biodiversité a considérablement évolué au cours des vingt dernières années. Ce qui était autrefois un domaine largement fondé sur l'observation et la description et relevant plus généralement de l'histoire naturelle est aujourd'hui un champ d'étude éminemment interdisciplinaire, qui fait appel à d’autres spécialités comme l'économie, la génétique ou les sciences physiques.

La Conférence des Nations Unies sur la biodiversité (a) — quinzième réunion de la conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique, ou COP15 — a abouti à l'adoption historique d'un cadre mondial de la biodiversité qui vise à conserver ou à protéger la nature. Parmi les quatre objectifs et les 23 cibles de ce cadre mondial figure la nécessité de protéger 30 % des zones terrestres, des eaux intérieures et des zones côtières et marines d'ici 2030.  Comment pouvons-nous concrétiser ces ambitions ? Nous présentons ici deux études menées par le passé dans le cadre du programme Knowledge for Change (KCP) (a), qui démontrent toute l'importance d'une démarche fondée sur les données et les éléments factuels pour élaborer des politiques en matière de biodiversité. Les enseignements de ces travaux sont toujours très pertinents pour nous aujourd'hui et illustrent le rôle essentiel de la recherche en ce qu’elle nous aide à tirer les leçons des politiques passées pour orienter la réflexion actuelle.

Quel est l’impact de la production et de l'essor des biocarburants sur la biodiversité ?

Les biocarburants constituent une source d'énergie renouvelable prometteuse et une solution de remplacement des combustibles fossiles respectueuse du climat. Toutefois, ces carburants d’origine agricole peuvent avoir un impact négatif  sur l'environnement et la biodiversité, dans la mesure où ils donnent lieu à des changements d'affectation des sols (comme la déforestation) et à l'utilisation d'engrais et de pesticides. Ils peuvent également entrer en concurrence avec la production de ressources nécessaires pour nourrir une population qui augmente et dont les habitudes de consommation évoluent.

Entre 2008 et 2013, le KCP a appuyé la réalisation d'études inédites pour mieux comprendre les répercussions environnementales et économiques de l'essor des biocarburants. La première étude (a) a analysé les conséquences à long terme du développement à grande échelle des biocarburants sur le changement d'affectation des terres, la production et les prix agricoles et alimentaires, et sur l'ensemble de l'économie. À l'aide d'un modèle dynamique d'équilibre général calculable, le projet a examiné deux scénarios : un scénario de référence dans lequel les objectifs d'utilisation des biocarburants resteraient conformes à ceux déjà annoncés (« AT »), et un scénario intégrant un essor significatif des biocarburants, selon lequel les objectifs annoncés seraient doublés (« ET »).

  • Impact sur l'utilisation des terres : l'étude a montré que, dans le scénario ET, les pays alloueraient davantage de terres à la culture de matières premières destinées aux biocarburants, ce qui porterait un coup dur à la diversité en amenuisant les surfaces dédiées aux pâturages, aux forêts et à d’autres cultures. Ce phénomène est particulièrement notable en France, au Royaume-Uni, en Thaïlande, en Afrique du Sud, en Inde et au Brésil. Le scénario ET conduit en 2020 à une réduction de près de 18,4 millions d'hectares de forêts par rapport au scénario de référence, les pertes les plus importantes ayant lieu au Brésil et au Canada, où les superficies forestières diminuent déjà à un rythme alarmant.
  • Impact sur l'approvisionnement en nourriture : l'approvisionnement alimentaire serait affecté à l'échelle mondiale, les deux tiers environ de la baisse étant imputable aux pays en développement. La Chine, l'Afrique subsaharienne, la région Moyen-Orient et Afrique du Nord et l'Inde seraient les plus touchées, même dans l'hypothèse du scénario AT. Rien qu'en Inde, les disponibilités alimentaires seraient réduites de 1,4 milliard de dollars.
  • Impact économique : l'étude a également révélé que l'expansion de la production de biocarburants réduirait globalement le PIB mondial, avec néanmoins des incidences variables selon les pays ou les régions. Le Brésil, l'Argentine, la Thaïlande et l'Indonésie verraient leur PIB augmenter, tandis qu'il reculerait dans des pays comme les États-Unis, la Chine et l'Inde.

Cette étude parmi d'autres a conduit l'Union européenne (UE) à décider d'interdire les importations de biocarburants produits à partir d'huile de palme, principal facteur de la déforestation en Asie du Sud-Est, notamment en Indonésie. Bon nombre des objectifs et des engagements annoncés à l'époque de la publication de l'étude n'ont pas été tenus, dans d'autres cas des politiques de protection de l'environnement ont été adoptées. Ainsi, l'ambitieuse politique nationale sur les biocarburants de l'Inde, lancée en 2009, s'est heurtée à plusieurs problèmes, dont ceux détaillés dans l'étude en question. Les États membres de l'UE sont désormais tenus de respecter, entre autres, la directive sur le changement indirect d'affectation des sols de 2015 et la directive sur la qualité des carburants de 2009. Il faut espérer que davantage de gouvernements envisageront des politiques de production durable des biocarburants, à un niveau qui n'entraîne ni déforestation ni insécurité alimentaire.

Comment arbitrer entre environnement et développement dans les investissements d’infrastructure ?

Les forêts tropicales abritent les plus grandes concentrations de biodiversité de la planète, mais elles risquent d'être fortement perturbées par des chantiers d'infrastructures essentielles, telles que la modernisation des routes  et des corridors de transport. À partir d'un modèle spatial à haute résolution, la deuxième étude (a) s'est penchée sur l'équilibre entre objectifs de conservation et de développement dans les forêts tropicales humides de Bolivie, du Cameroun et du Myanmar en 2016. Elle contient des recommandations très pertinentes concernant l’impact des programmes d'amélioration des routes sur le déboisement et la biodiversité.

Impact sur le déboisement : l'étude a démontré que le déboisement est fortement corrélé à la distance entre la forêt et le centre urbain ou le marché le plus proche, en particulier en cas d'amélioration de routes secondaires à vitesse très limitée.  En Bolivie, quatre écorégions de forêt humide devraient subir des transformations considérables, le changement proportionnel le plus important se produisant dans les Yungas andines méridionales où 10 390 hectares (80 à 100 % de la zone) seront déboisés. Les effets attendus sont nettement plus importants au Cameroun qu'en Bolivie (en termes absolus et proportionnels), les forêts des hauts plateaux camerounais étant les plus affectées. Au Myanmar, la modernisation des routes affecte l’ensemble des écorégions de forêts humides du pays, l'extension la plus importante de la zone maximale défrichée se produisant dans les forêts subtropicales du nord de la péninsule indochinoise.

Empiètement sur la biodiversité et pertes d'habitats : L'étude a permis de mettre au point un indicateur composite qui recense les zones où l'on s'attend à une perte de biodiversité si les routes secondaires deviennent des routes principales. Les résultats montrent que les indicateurs de risque sont loin d'être uniformément répartis. Par exemple, la Bolivie se caractérise par de grandes zones où les pertes de biodiversité attendues sont élevées dans le sud-ouest, l'ouest et le nord, mais avec une répartition géographique très asymétrique. Au Myanmar en revanche, les pertes attendues sont réparties plus uniformément et les grandes zones d'empiètement sur la biodiversité sont plus visibles dans l'extrême nord, sur une bande allant du nord à l'est, et dans des zones éparses à l'ouest et au sud. Ces évaluations du risque écologique lié aux corridors routiers démontrent non seulement que les zones où les pertes de biodiversité attendues sont importantes justifieraient une protection supplémentaire, mais fournissent également des informations précieuses et propres au contexte pour élaborer des programmes d'investissement tenant compte de l'environnement.

Notre capacité à enrayer le processus de dégradation de la biodiversité repose sur un engagement continu en faveur d'une recherche interdisciplinaire de grande portée. Le KCP continuera à soutenir des travaux de recherche fondamentaux et pertinents pour la prise de décision, afin de contribuer à définir notre réponse collective à une crise mondiale qui ne cesse de s'aggraver.


Les auteurs tiennent à remercier les contributions des équipes de chercheurs en charge des projets suivants : Biocarburants et développement durable (chef de projet : Govinda Timilsina) ; Économie des biocarburants et impacts potentiels sur la biodiversité (chef de projet : Govinda Timilsina) ; Investissement routier écologiquement rentable dans les forêts tropicales (chef de projet : Susmita Dasgupta).

À propos de ce blog : Le programme Knowledge for Change (KCP) (a) a lancé une série de billets pour mettre en lumière une sélection de projets de recherche menés au cours des vingt dernières années, dont beaucoup demeurent très pertinents et sont riches d'enseignements pour les politiques et pratiques de développement d'aujourd'hui. Piloté par la vice-présidence Économie du développement de la Banque mondiale, le KCP encourage l'élaboration de politiques fondées sur les connaissances en mobilisant la recherche, les données et l’analyse. Pour marquer la quatrième phase du KCP lancée en novembre 2020, cette série de billets se penchera sur les vastes connaissances produites par les chercheurs lors des phases précédentes du programme, analysera les enseignements tirés et alimentera le débat sur les futures orientations de la recherche.


Auteurs

Kerina Wang

Chargée des opérations senior, Économie du développement

Lauren Nicole Core

Chargée de projets, Pôle mondial d'expertise en Eau de la Banque mondiale

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