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Droit de la nationalité : les discriminations contre les femmes et leur impact économique

Droit de la nationalité : les discriminations contre les femmes et leur impact économique De nombreux pays empêchent encore les femmes de transmettre leur nationalité à leurs enfants au même titre que les hommes. | © shutterstock.com

Les législations qui empêchent les femmes de faire bénéficier leurs enfants ou leur conjoint de leur nationalité ont des répercussions économiques considérables. En effet, elles limitent l'accès aux services essentiels et aux emplois sûrs, ce qui compromet la sécurité économique des femmes et de leurs familles et perpétue le cycle de la pauvreté. Selon le dernier rapport Les Femmes, l'Entreprise et le Droit, plus d'un quart des pays du monde restreignent encore les droits des femmes à transmettre leur nationalité.
 

Transmission de la nationalité aux enfants

Il ressort des données que 28 des 190 économies étudiées empêchent les femmes de transmettre leur nationalité à leurs enfants au même titre que les hommes (figure 1a). Au Koweït et en Somalie par exemple, la transmission de la nationalité à un enfant est un droit réservé aux hommes. Certains pays comme la Libye prévoient néanmoins des exceptions pour les femmes mariées à un homme dépourvu de nationalité légale, afin de prévenir l’apatridie des enfants.


Transmission de la nationalité au conjoint

Les données révèlent également que 50 économies interdisent aux femmes de transmettre leur nationalité à leur conjoint étranger dans les mêmes conditions que les hommes (figure 1b). Si la plupart des lois sur la nationalité ne disent rien de la capacité des femmes mariées à transmettre leur nationalité à un conjoint étranger, d'autres sont directement discriminatoires à l'égard des femmes. Ainsi, au Cameroun, les ressortissantes étrangères acquièrent automatiquement la nationalité par le mariage, mais les femmes camerounaises qui épousent des étrangers ne bénéficient pas du même privilège. Leurs époux étrangers ne peuvent être naturalisés qu’après avoir rempli un certain nombre de conditions. De même, au Bangladesh, une épouse étrangère peut acquérir la nationalité bangladaise par naturalisation immédiatement après le mariage, tandis qu’un homme marié à une ressortissante bangladaise doit avoir vécu dans le pays pendant deux ans avant de pouvoir être naturalisé.
 

Disparités régionales dans les discriminations

La plus forte proportion de lois discriminatoires en matière de nationalité est observée dans la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord, où 85 % des économies (17) n'autorisent pas les femmes à transmettre leur nationalité à leurs enfants et à leurs conjoints au même titre que les hommes. Viennent ensuite l'Asie du Sud (50 %, 4 pays) et l'Afrique subsaharienne (37,7 %, 17 pays) (figure 2).


État des progrès et des réformes

Cependant, dans l’ensemble des régions du monde, plusieurs pays ont pris des mesures importantes pour aligner leur législation sur des engagements internationaux ou régionaux. En Afrique subsaharienne, bien que le Protocole sur le droit à la nationalité ne soit entré en vigueur qu’en 2024, les discussions autour de son adoption ont déjà entraîné une série de réformes. Depuis l’adoption de la première résolution en 2013, le Sénégal, le Nigéria, Madagascar, le Lesotho, le Malawi, la Guinée, le Libéria, le Bénin et Cabo Verde ont, l'un après l'autre, supprimé les dispositions discriminatoires de leur législation sur la nationalité. Au Sénégal, les organisations de la société civile ont joué un rôle essentiel dans l’introduction de réformes juridiques. Lors de la révision du code de la nationalité, l'action des juristes sénégalaises a été déterminante dans la suppression des dispositions discriminatoires. Au Bénin, le pouvoir judiciaire a été le moteur de la réforme. Dans une décision historique de 2014, la Cour constitutionnelle a invalidé plusieurs dispositions du code de la nationalité qui empêchaient les ressortissantes béninoises de transmettre, dans les mêmes conditions que les hommes, leur nationalité à leurs enfants et conjoints étrangers. Après un long processus de réforme qui a duré huit ans, le Bénin a finalement aboli ces dispositions discriminatoires dans la loi no 2022-32 du 20 décembre 2022 portant code de la nationalité béninoise. Néanmoins, la situation reste figée dans des pays comme la Mauritanie, la Sierra Leone et le Togo, où les lois sur la nationalité sont toujours ancrées dans des stéréotypes de genre et des préjugés culturels, en dépit de la mobilisation continue des organisations de femmes.
 

Conséquences économiques et sociales

Lorsque les femmes ne peuvent pas transmettre leur nationalité, leurs enfants ou leurs conjoints se heurtent à des obstacles en matière d'héritage, d'accès à la propriété ou à un emploi dans l’économie formelle. De telles restrictions compromettent aussi l’unité familiale, car les femmes ayant contracté un mariage mixte rencontrent des difficultés pour accéder aux services sociaux, à l’éducation et à des ressources financières. Dans certains cas, lorsque les enfants n’ont pas la même nationalité que leur mère, ils risquent l'apatridie (a), et l’éducation et les soins de santé peuvent devenir inaccessibles et inabordables. De même, quand un époux ne peut prétendre à la nationalité de sa femme, ses possibilités d’emploi sont très limitées.
 

Synthèse

La suppression de ces dispositions discriminatoires est donc une nécessité pour améliorer les perspectives économiques ouvertes aux femmes, favoriser la stabilité familiale et permettre à la moitié de la société de contribuer pleinement à la croissance économique nationale. 


Mariam Anaïs Gnakra

Analyste au sein du projet Les Femmes, l'Entreprise et le Droit

Julia Braunmiller

Spécialiste principale du développement du secteur privé

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