Remplir un seau d’eau, c’est faisable. En remplir plusieurs pour satisfaire les besoins d’un petit village rural, ça va encore. Mais les choses se compliquent nettement quand il s’agit d’alimenter en eau potable tout un pays d’Afrique subsaharienne.
Dans de nombreux pays subsahariens, la moitié de la population rurale n’a pas accès à l’eau potable, pour deux grandes raisons : les pannes fréquentes et le coût des réseaux. Simples en apparence, ces raisons masquent une réalité éminemment complexe. Les données disponibles mettent effectivement en évidence une multitude de défis compromettant la viabilité de l’adduction d’eau en zones rurales, dont en premier lieu celui du financement : les capacités conjuguées des donateurs et des gouvernements sont nettement insuffisantes au regard des moyens requis pour combler le déficit actuel. Pendant ce temps, des milliers de villages sont privés d’eau potable. D’où ces interrogations : à quoi devra ressembler, demain, un réseau d’alimentation en eau profonde en milieu rural ? Comment prévenir les pannes ? Et, surtout, comment le financer ? La Tanzanie est en train de tester une solution innovante, bâtie sur des financements mixtes et les nouvelles technologies.
Garantir la viabilité de l’alimentation en eau dans les zones rurales
Plusieurs problématiques complexes entrent en jeu pour assurer un approvisionnement en eau durable. Les progrès de la technologie et de l’internet des objets, toujours plus abordables et aux applications de plus en plus nombreuses, permettent d’envisager toute une série d’améliorations susceptibles d’accroître la durabilité des réseaux d’adduction d’eau en zones rurales. Le contrôle à distance des pompes, désormais très répandu, aide les opérateurs à surveiller de loin les éventuelles défaillances et les niveaux des nappes phréatiques. Le pompage solaire réduit considérablement le coût de l’extraction de l’eau et pourrait assurer le retour à la rentabilité des services publics d’eau dans les villages, qui manquent cruellement de moyens financiers.
Les communautés rurales n’ont pas toujours les capacités suffisantes pour entretenir et maintenir les systèmes modernes de pompage en état de fonctionnement sachant que, traditionnellement, les acteurs privés sont uniquement sollicités pour la construction. Pourquoi ne pas obliger les opérateurs à s’engager sur un contrat de services de quatre ans prévoyant notamment des garanties étendues par le biais de contrats de conception et d’exploitation assortis d’une garantie de performance ? Étant donné l’éloignement des villages, ces contrats de long terme sont souvent très coûteux. Pourtant, des économies d’échelle seraient possibles pour l’entretien et le fonctionnement, à condition de regrouper des villages proches les uns des autres (par pôles de 50) et d’attribuer le contrat de construction et d’exploitation à un seul opérateur. La normalisation des équipements, le contrôle à distance des 50 sites et la possibilité pour les villages participants d’étendre la période contractuelle au-delà des quatre ans initiaux afin de renforcer la viabilité des dispositifs, rendraient cette approche encore plus efficace.
Trouver de nouveaux leviers financiers
Outre son intérêt potentiel pour améliorer la viabilité de l’alimentation en eau en milieu rural, ce modèle permet de s’atteler au déficit de financement du secteur, qui constitue probablement le frein le plus important à la réalisation du 6e Objectif de développement durable (ODD), lequel prévoit de garantir l’accès de tous à des services d’alimentation en eau et d’assainissement gérés de façon durable. Les financements à mobiliser dans ce but constituent depuis longtemps un défi de taille pour les gouvernements et les donateurs, surtout quand on sait qu’un nouveau réseau d’adduction d’eau sur cinq environ connaît des pannes dès les premières années de mise en service. Prenons l’exemple de la Tanzanie et supposons que 6 000 villages sont privés d’accès à l’eau potable. Supposons aussi qu’un nouveau réseau d’eau pour 3 000 foyers coûte 100 000 dollars. Soit un besoin d’investissement de 600 millions de dollars (hors remise en état des réseaux existants et nécessité de les étendre pour alimenter une population en constante expansion). L’obligation de repenser de fond en comble le modèle traditionnel de financement de l’adduction d’eau en milieu rural saute aux yeux.
Un nouveau modèle : accélérer le déploiement des systèmes de pompage solaire de l’eau par des financements innovants
Ce projet en Tanzanie conjugue les technologies et les approches évoquées ci-dessus et ne concerne que les réseaux existants fonctionnant avec des groupes électrogènes au diesel dans des villages où les clients sont habitués à payer leur eau. Cette initiative pilote entend démontrer que les communautés rurales peuvent rembourser 40 % de l’investissement en capital et des contrats d’entretien sans augmentation du prix de l’eau. Ces 40 % seront financés par un prêt de quatre ans de la TIB Development Bank (a), la banque publique de développement, les 60 % restants étant subventionnés par l’Agence suédoise pour le développement international et le gouvernement néerlandais au titre du Partenariat mondial pour des approches axées sur les résultats (GPRBA) (a) de la Banque mondiale. L’initiative bénéficie également du soutien du Partenariat mondial pour la sécurité hydrique et l’assainissement (a).
Ses retombées positives sont de deux ordres : grâce à des financements conjuguant subventions et prêts, elle peut mobiliser le secteur privé au service du développement communautaire ; et, en réduisant les émissions de gaz à effet de serre tout en augmentant les économies sur le coût du cycle de vie, la conversion à l’énergie solaire des pompes fonctionnant au diesel a des effets positifs avérés sur l’environnement et l’économie.
La perception des recettes mensuelles dans les villages isolés soulève des problèmes évidents. Les compteurs d’eau prépayés grâce à des applications mobiles sont en place depuis une dizaine d’années. Alors que leur coût a été au départ jugé prohibitif pour les généraliser, de récentes expériences pilotes menées en Afrique de l’Est montrent que leur prix baisse rapidement. En automatisant la collecte des recettes sur un compte bancaire dédié, cette technologie a au passage permis d’améliorer de 50 à 400 % le recouvrement des factures dans les villages isolés de Tanzanie.
Le projet s’est donné deux ans pour vérifier si le nouveau modèle créera bien les synergies attendues. Si elle réussit, cette expérience pilote pourrait bien changer la donne puisque les prêts pourront être prolongés de quatre à 15 ou 20 ans et permettre ainsi aux communautés de couvrir une plus grande partie des investissements dans leurs réseaux d’eau tout en maintenant un tarif constant, ce qui contribuera à combler les besoins de financement.
Nous entrons dans une période où la réalisation des ODD passe par le comblement du déficit de financement et où l’ingénierie financière sera tout aussi cruciale que le génie civil. Consultez nos billets pour suivre l’évolution de cette initiative.
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