L'an dernier, le ministère américain de la Justice a fait une annonce renversante (a) : une enquête du FBI a mis au jour plus de 480 millions de dollars issus de la corruption qui étaient dissimulés sur des comptes bancaires répartis dans le monde entier et appartenant à Sani Abacha, l'ancien dictateur nigérian (a). Au milieu des années 1990, Abacha et sa famille ont systématiquement détourné les fonds publics détenus par la Banque centrale du Nigéria au prétexte de les utiliser pour des programmes de sécurité nationale. Les fonds impliqués dans ces malversations ont été blanchis via les filiales américaines de plusieurs institutions financières internationales, parmi lesquelles Goldman Sachs et le Crédit Suisse, avant d'atterrir sur des comptes bancaires offshore situés dans les îles anglo-normandes, en France et au Royaume-Uni (a).
Plus effarant encore, les fonds récupérés ne représentent qu'une infime partie du butin de Sani Abacha : on estime qu'il aurait détourné environ 4 milliards de dollars au cours des quatre années et demie qu'il a passées au pouvoir, et que seule la moitié de cette somme a été retrouvée et confisquée par les autorités chargées des investigations aux quatre coins de la planète.
Le cas Abacha illustre parfaitement l'une des menaces les plus graves qui pèsent sur le programme mondial d'action pour le développement pour l'après-2015 : les flux financiers illicites, c’est-à-dire les transferts d’argent ou de capitaux illégaux (ou quasi légaux) d'un pays à l'autre, privent les pays en développement de leurs précieuses ressources intérieures tout en renforçant la corruption et l'instabilité. Toutes les estimations s'accordent sur l'étendue considérable de ces flux illégaux : au niveau mondial, environ un demi-milliard de dollars disparaît chaque année des pays en développement, un montant nettement supérieur au total annuel de l'aide au développement internationale.
Les flux financiers illicites menacent de saper l'ensemble des efforts de développement dans le monde. Prenons l'exemple de l'Afrique : l'ONG Global Financial Integrity rapporte (a) que, pratiquement chaque année entre 1980 et 2009, le montant des fonds qui quittent le continent de manière illicite a dépassé l'ensemble des entrées de capitaux. Cela met à mal l'idée reçue selon laquelle l'Afrique siphonne l'aide internationale : le continent est en réalité en position de créancier net vis-à-vis du reste du monde.
Le problème des flux financiers illicites n'est pas propre aux pays en développement. Le renforcement constant de la financiarisation de l'économie mondiale au cours des dernières décennies a entraîné une mobilité transfrontalière rapide et souvent excessive des capitaux, dont les effets peuvent gravement déstabiliser le système financier international. La circulation incontrôlée des flux illicites menace de déstabiliser davantage un système déjà exposé aux crises, en mettant la quasi-totalité des économies (pays en développement comme pays développés) dans une situation de grande vulnérabilité. En outre, certains flux financiers illicites issus d'activités illégales menacent directement la sécurité des pays développés, car ils sont principalement liés au trafic international de stupéfiants et aux groupes terroristes. Les pays à revenu élevé ont donc tout intérêt à lutter contre les flux financiers illicites.
Ces problèmes doivent faire partie des principales priorités du programme d'action pour le développement pour l'après-2015. Les Objectifs de développement durable appuyés par les Nations Unies devraient bientôt être finalisés, et ils devraient être encore plus ambitieux que les objectifs du Millénaire pour le développement qui arriveront à échéance cette année. Pour atteindre ces nouveaux objectifs, il sera essentiel d'optimiser l'efficacité des mécanismes de financement du développement, ce qui nécessitera une nette augmentation aussi bien des investissements extérieurs dans les pays en développement que de la mobilisation des ressources intérieures de ceux-ci. Ainsi, pour que le programme d'action pour le développement soit couronné de succès, les flux financiers illicites devront être maîtrisés.
Il n'existe pas encore de « bonnes pratiques » faisant consensus, d'une part parce que les flux financiers illicites ne sont devenus un sujet de développement de premier plan qu'au cours de la dernière décennie, et d'autre part parce que les travaux de recherche empirique restent rares dans ce domaine. Vos commentaires et suggestions sont les bienvenus ! Je me réjouis d'avance des échanges intéressants que nous pourrons avoir sur le problème des flux financiers illicites et sur le rôle croissant que les banques de développement sont en train de prendre dans la lutte contre ce fléau.
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