Voici le premier d’une série de trois billets sur les dernières tendances des inégalités au niveau national.
Depuis quelque temps, les inégalités figurent en bonne place dans le débat public. Les médias mettent en avant une hausse des revenus des plus riches, de nombreux livres sont consacrés à ce sujet et de nombreux travaux de recherche tentent de prendre la mesure de l’évolution de la nature et de l’ampleur des inégalités. La plupart des études sont axées sur les inégalités au sein des pays. C’est logique, car c’est à ce niveau qu’opèrent la plupart des politiques publiques. Malgré l’attention suscitée par cette question, un problème subsiste, celui de la qualité des données. Les enquêtes auprès des ménages, effectuées par les autorités nationales dans les différents pays, constituent la source la plus facilement disponible pour ce qui est des données sur les inégalités. Mais il est extrêmement difficile de compiler et d’harmoniser ces enquêtes qui émanent de différents pays car les données ne sont pas toujours recueillies de manière uniforme ou à la même fréquence. Par ailleurs, ces enquêtes ne parviennent pas généralement à rendre compte de la tranche supérieure de la répartition des revenus. Mais nous reviendrons sur ce point plus en détail dans un prochain billet.
C’est avec toutes ces réserves que le dernier rapport phare de la Banque mondiale intitulé Pauvreté et prospérité partagée 2016 (a) s’est attaché à compiler les données les plus récentes pour le plus grand nombre de pays possible. Nous nous sommes principalement appuyés sur l’outil d’analyse en ligne PovcalNet (a), une base de données interactive sur la pauvreté et les inégalités créée par la Banque mondiale, et sur la base de données All the Ginis (a) compilée par Branko Milanovic (a). Les pays ne disposant pas tous de données pour l’ensemble de la période considérée, nous avons regroupé les données annuelles par intervalles de cinq ans entre 1988 et 2013. La base de données qui en résulte contient des données sur les indices de Gini extraites de plus de 600 enquêtes auprès des ménages menées dans 162 pays, représentant entre 71 et 91 % de la population mondiale (selon l’année).
La figure 1 représente l’évolution des inégalités moyennes au sein des pays dans le monde selon quatre modes de calcul différents. Quelle que soit la méthode retenue, on observe que les inégalités se sont accrues dans les années 90 et qu’elles sont plus prononcées en 2013 que 25 ans plus tôt. La plupart des approches montrent cependant que les inégalités ont commencé à reculer au milieu des années 2000.
Étant donné que tous les pays ne réalisent pas une enquête auprès des ménages tous les cinq ans, l’échantillon de pays étudiés est différent d’une année sur l’autre, ce qui limite en partie l’analyse. La ligne bleue en pointillés représente les données pour chaque année du même ensemble de 41 pays (soit 46 % de la population mondiale en 2013). On voit que la tendance est très similaire.
Pour connaître l’évolution des inégalités au sein des pays à l’échelon individuel, il faut observer la ligne rouge pleine, qui représente une moyenne pondérée en fonction de la population. Après une forte hausse de 1988 à 1998, elle affiche une légère baisse depuis lors, mais n’en demeure pas moins à un niveau supérieur à celui d’il y a 25 ans. Quant à la ligne rouge en pointillés, celle qui correspond à l’échantillon équilibré de pays, elle montre que l’individu « moyen » a vécu dans un pays où les inégalités ont augmenté avant de se stabiliser depuis 2008 environ.
Les tendances et niveaux moyens des inégalités sont assez différents selon les régions, bien que la diminution observée récemment soit générale. La figure 2 montre l’évolution de l’indice de Gini moyen non pondéré dans sept régions. Les inégalités tendent à être plus élevées dans les pays en développement que dans les pays développés, ces derniers étant regroupés pour les besoins de l’analyse dans la catégorie des pays industrialisés (qui constituent un sous-ensemble des pays à revenu élevé).
La région Amérique latine et Caraïbes affiche les inégalités les plus fortes, bien qu’elle soit parvenue à les réduire significativement au cours des dix à quinze dernières années. L’indice de Gini moyen pour l’Afrique subsaharienne arrive toujours en deuxième position, malgré une baisse constante depuis le début des années 90, et il masque par ailleurs d’importantes variations entre les pays de cette région (ainsi que d’éventuels problèmes de comparaison entre les enquêtes). Dans la région Europe de l’Est et Asie centrale, les inégalités moyennes ont fortement augmenté après la chute du mur de Berlin, mais elles se sont atténuées depuis. De même, dans certains pays d’Asie de l’Est, les inégalités ont beaucoup progressé lors de la transition vers une économie de marché. En moyenne, les pays industrialisés ont vu leur indice de Gini passer de 30 en 1988 à 33 en 2008. Entre 2008 et 2013, on observe en moyenne une réduction des inégalités dans toutes les régions, à l’exception du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, où les données sont rares, et de l’Asie du Sud.
Ce billet s’est attaché à montrer l’évolution moyenne des inégalités au sein des pays. Difficile, toutefois, de fournir une explication simple à ces tendances mondiales et régionales : les pays d’une même région peuvent présenter des courbes très différentes. La semaine prochaine, nous nous pencherons directement sur les changements à l’échelle d’un même pays, puis nous nous intéresserons la fois suivante aux problèmes méthodologiques.
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