Publié sur Opinions

L’argent est le nerf de la guerre : le moment est au renforcement de la gestion de trésorerie

Fortifying cash management. Photo: © Getty Images
Renforcer la gestion de l'argent liquide. Photo: © Getty Images

Il était une fois, le directeur général d’une banque publique également agent financier du Trésor, qui se rend un jour chez son ministre de tutelle pour lui annoncer que le Trésor va devoir sous quelques jours doubler le solde de son compte bancaire pour pouvoir verser les salaires des fonctionnaires. Sinon, c’est le défaut de paiement. Le banquier rappelle aussi au ministre que les taux d’intérêt sur les marchés sont en train d’augmenter rapidement et que la différence entre ces taux et les crédits bonifiés doit être transférée à la banque pour poursuivre le programme de prêts du gouvernement. « Et que se passe-t-il si l’on conserve des taux directeurs faibles ? », s’enquiert le ministre. Le directeur lui explique qu’il faudra alors couvrir le coût des bonifications, ce qui fera perdre de l’argent à la banque. Apparemment très surpris, le ministre se révèle incapable de prendre une décision immédiate. (Tiré de « Stories on Bureaucracy and Banking that I told my Father » de Osman Tunaboylu)

De fait, si les prévisions journalières de flux de trésorerie du gouvernement étaient établies pour au moins trois mois sur la base d’hypothèses réalistes, intégrées dans la gestion de l’endettement, bien coordonnées avec l’exécution budgétaire et la politique monétaire et testées selon différents scénarios, notre banquier n’aurait pas besoin d’aller voir son ministre de tutelle et ce dernier ne tomberait pas des nues… Mais en cas de politique de rationnement des liquidités et du fait d’un contrôle budgétaire déficient et de flux de recettes imprévisibles, un gouvernement est incapable de mobiliser en temps voulu le volume de liquidités nécessaire. Résultat, il tarde à honorer ses factures et les arriérés s’accumulent.

La gestion de trésorerie en tant que processus permettant de collecter, distribuer et investir de l’argent liquide exige de disposer de données fiables et de prévisions de flux de trésorerie et d’avoir des institutions qui se concertent. Elle nécessite aussi un compte de trésorerie unique et des instruments de financement à court terme, comme les bons du Trésor et les autorisations de découvert, et doit produire des rendements en cas d’excès de liquidités. Dans l’environnement économique et politique actuel, marqué par les incertitudes, gérer ses liquidités est plus important que jamais. De sorte que les niveaux de devises et de dépôts dans les bilans des pays avancés et émergents ont fortement augmenté depuis la crise financière mondiale. Les États-Unis par exemple, qui émettent une monnaie forte, ont doublé le volume de leurs actifs financiers liquides, qui sont passés de 1 à 2,3 % du PIB. Dans d’autres économies avancées comme la Corée et le Japon, les ratios devises/PIB et dépôts/PIB ont atteint respectivement 9,4 et 7,1 %.

économies avancées

Source : FMI, Public Sector Balance Sheet Database

 

Le volume des devises et des dépôts est encore plus important dans les pays émergents, puisque c’est un moyen de renforcer sensiblement la résilience aux chocs sur les liquidités. Le Brésil se distingue avec un montant d’actifs financiers liquides en pourcentage du PIB passé de 17 à 21 % après la crise mondiale, devant le Pérou et la Slovénie qui affichent un ratio d’environ 15 %. La moyenne des pays émergents est une fois et demie supérieure à celle des économies avancées.

économies émergentes

Source : FMI, Public Sector Balance Sheet Database

 

Face au rôle grandissant des prévisions et de la gestion des flux de liquidité, la Trésorerie de la Banque mondiale a développé sur Excel un instrument de renforcement des capacités pour les gestionnaires de trésorerie.  Mis au point en 2018, cet instrument, appelé Cash Flow Forecasting and Management (CFM), a été utilisé lors d’exercices pratiques au cours d’un atelier de cinq jours consacré à la prévision et à la gestion des flux de trésorerie (a).

Conçu à des fins de formation, le CFM s’appuie sur des données historiques mensuelles remontant à plus de dix ans à partir desquelles sont calculées des moyennes pondérées pour orienter les différents scénarios. En combinant des valeurs historiques, de référence et des prévisions, le CFM autorise des analyses concrètes et des comparaisons des différentes évolutions. Il permet de saisir différentes valeurs pour les recettes et les dépenses et de concevoir un plan annuel d’emprunt rudimentaire pour renseigner les valeurs de référence. Il offre aussi la possibilité de calculer et définir le niveau minimum requis de solde de trésorerie pour faire face aux demandes. Un tableau de bord simplifié représente visuellement l’évolution des soldes de trésorerie et l’emprunt.

Le diagramme suivant illustre le flux de données du CFM :

flux du CFM

Le CFM intègre quatre scénarios préétablis dont les données peuvent être adaptées au sein du scénario de référence et produit des prévisions à partir des scénarios créés par les utilisateurs. Des vignettes graphiques sont produites pour les valeurs projetées de chacun des postes. Un graphique dynamique permet de comparer les données historiques aux valeurs de référence et aux prévisions. Le volume de réserve des liquidités peut également être modifié sur le tableau de bord.

« Renforcer les capacités d’anticipation des flux de trésorerie peut aider les pays à définir le niveau adéquat de réserves de liquidités et maintenir les coûts de détention au minimum —parce que l’argent est le nerf de la guerre. »
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M. Coskun Cangoz
Directeur de la gestion de la dette et du risque, Trésorerie de la Banque mondiale

Bien qu’il n’ait pas encore un an d’existence plusieurs pays (a) ont adopté le CFM et pu ainsi améliorer leur procédure de prévision des flux de trésorerie et mettre en place certains des tableaux croisés établis pour les scénarios. Les premiers retours montrent que l’instrument est très bien accueilli par les praticiens et permet de combler certaines pénuries de ressources.

Du point de vue d’un gouvernement, maintenir une réserve confortable d’argent liquide peut paraître utile pour couvrir les obligations d’opérations de court terme et atténuer les risques de liquidité. Certains ont même tendance à renforcer ces amortisseurs en cas de volatilité des flux quotidiens de trésorerie et lorsque les prévisions sont incertaines et susceptibles d’être erronées. Mais conserver des liquidités, surtout si cet argent est emprunté, entraîne des coûts de portage. Il faut donc renforcer les capacités d’anticipation des flux de trésorerie pour aider les pays à définir le niveau adéquat de réserves de liquidités et maintenir les coûts de détention au minimum — parce que l’argent est le nerf de la guerre. 


Auteurs

M. Coskun Cangoz

Responsable pour la gestion de la dette et du risque, Trésorerie de la Banque mondiale

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