Publié sur Opinions

Le rôle du secteur public comme employeur dans les États fragiles et touchés par un conflit

Une infirmière préparant une dose de vaccin anti-COVID Une infirmière préparant une dose de vaccin anti-COVID

Note de la rédaction : Ce billet fait partie d’une série de publications autour du « Bureaucracy Lab », une initiative de la Banque mondiale conçue pour mieux cerner les caractéristiques de la fonction publique à travers le monde. Lisez le dernier billet sur l'égalité hommes-femmes dans le secteur public

À l'heure actuelle, environ 1,8 million de personnes vivent dans des pays en situation de fragilité, conflit et violence (FCV). La Banque mondiale estime qu'à l’horizon 2030, deux tiers des personnes en situation d’extrême pauvreté dans le monde vivront dans de tels environnements. La pandémie de COVID-19 menaçant en outre de compromettre des décennies de développement, le PIB moyen de ces pays en 2022 devrait être inférieur de 8,6 % aux projections établies avant la pandémie. La lutte contre la fragilité et les conflits, en mettant l'accent sur la prévention et une action précoce, est essentielle pour la réalisation du double objectif de la Banque mondiale, à savoir la réduction de la pauvreté et la prospérité partagée. 

Comme le souligne le Rapport sur le développement dans le monde 2011 - Conflits, sécurité et développement, des institutions publiques efficaces, la promotion de la responsabilité, l'amélioration de la fourniture de services et la valorisation de l'engagement des citoyens sont indispensables pour remédier aux facteurs de fragilité. Cependant, les interventions visant à réformer le secteur public sont difficiles à mettre en œuvre. Chaque étape du processus de réforme revêt une dimension hautement politique, car les salariés du secteur public constituent un groupe important, souvent syndiqué, qui est au centre de la plupart des négociations de consolidation de la paix. Une fonction publique insuffisamment dotée en personnel bien rémunéré nuit non seulement à la qualité de la fourniture des services sociaux, mais elle affaiblit aussi les garde-fous institutionnels contre les systèmes de rentes et la corruption,fiscalement viables et techniquement solides. Un état des lieux des effectifs du secteur public, de leur organisation et de leur rémunération, est donc un premier élément important dans l'élaboration de stratégies de réforme politiquement défendables.  Ce billet vise à mieux cerner la nature de la fonction publique dans les situations de fragilité, de conflit et de violence, et à fournir certaines évaluations empiriques de la capacité de l'État et de l'équité dans ces environnements.

Le secteur public est un pourvoyeur d'emplois essentiel

Une main-d'œuvre dynamique occupant de bons emplois est un élément nécessaire au programme de lutte contre la pauvreté de la Banque mondiale. Sur le marché du travail, le secteur public représente souvent près de 30 % de tous les emplois rémunérés, la proportion étant encore plus importante dans les États fragiles ou touchés par un conflit (figure 1). Et sa part dans le secteur formel est encore plus élevée puisque, dans ces pays, plus de la moitié de tous les emplois déclarés se trouvent dans la fonction publique. En outre, étant donné que bon nombre de ces emplois concernent les enseignants, les médecins, les infirmières, les policiers et les soldats, ils offrent des possibilités de carrière et une mobilité sociale à de nombreuses personnes. C'est pourquoi, lors de la préparation des réformes dans les pays fragiles, il est nécessaire de prendre en compte le rôle majeur du secteur public dans la création d'emplois, la prestation de services, la cohésion sociale et la promotion d'une croissance économique inclusive. 

Figure 1 : Importance de l'emploi du secteur public, en pourcentage de :

Figure 1 : Importance de l'emploi du secteur public, en pourcentage de :

Source : Worldwide Bureaucracy Indicators 2.0 

 

L'avantage salarial dans le secteur public met en évidence les disparités de rémunération entre public et privé  

Les salaires de la fonction publique influencent fortement la motivation et la qualité du personnel et ils ont un impact sur la compétitivité globale du marché du travail et la viabilité budgétaire. Les indicateurs mondiaux de l'administration publique (WWBI) offrent un éclairage inédit sur les pratiques de rémunération dans les situations de fragilité et de conflit. À l'échelle mondiale, le secteur public procure généralement un avantage salarial moyen de 19,1 % par rapport à la rémunération de l'ensemble des salariés du privé, contre 18,7 % dans les États fragiles. Toutefois, étant donné que les fonctionnaires constituent un segment particulier de la main-d'œuvre, il est préférable de les comparer aux seuls salariés du secteur formel. En limitant l'analyse à ces travailleurs, une comparaison donc plus pertinente, l'avantage pour les employés du secteur public se réduit à 7,3 % à l'échelle mondiale. Dans les États fragiles, cet avantage disparaît et on observe au contraire un malus de 3 % par rapport aux salariés du secteur privé ayant des caractéristiques démographiques similaires (figure 2).

Figure 2 : Avantage salarial dans le secteur public

Figure 2 : Avantage salarial dans le secteur public

 Source : Worldwide Bureaucracy Indicators 2.0 

Par ailleurs, ces avantages ne sont pas répartis de manière égale entre les salariés de l'administration publique. Les indicateurs fournissent en effet de nouvelles informations sur les pratiques de rémunération au sein du secteur public. Dans le monde, en moyenne, l'avantage salarial des fonctionnaires est plus faible pour les personnes ayant un niveau d'études élevé, et il se transforme en malus pour celles occupant des emplois mieux rémunérés, comme des postes de cadre. Il en va de même dans les situations de fragilité et de conflit, mais les pressions à la baisse sur les salaires dans le secteur public sont encore plus marquées. Par rapport aux employés du secteur privé formel ayant fait des études supérieures, les fonctionnaires des États fragiles subissent en moyenne un malus salarial de 16 %. Cependant, nous constatons un avantage salarial de 16 % pour les employés du secteur public ayant fait des études secondaires (figure 3). Enfin, les fonctionnaires affectés à des emplois de même nature que des professionnels libéraux ou des cadres subissent un malus de 9,1 % et 9,6 %, respectivement, par rapport aux personnes occupant des fonctions similaires dans le privé. Ces chiffres traduisent l'existence de coûts d'opportunité importants pour les employés qualifiés du secteur public, donc de potentielles pénuries de compétences dans la fonction publique, qui peuvent avoir un impact négatif sur la prestation de services.

 Étant donné que 61 % des fonctionnaires dans les pays en situation de fragilité, conflit ou violence ont un niveau d'éducation secondaire ou inférieur,  les résultats indiquent que le secteur public remplit une fonction de protection sociale. Ils suggèrent également que des économies budgétaires sont possibles sans pour autant compromettre la productivité du secteur public, en externalisant certaines fonctions élémentaires.

Figure 3 : Variations de l'avantage salarial

Figure 3 : Variations de l'avantage salarial

Source : Worldwide Bureaucracy Indicators 2.0 

La masse salariale du secteur public n'est pas corrélée à la qualité institutionnelle 

Au niveau mondial, la masse salariale du secteur public représente environ 10 % du PIB, mais peut absorber près de la moitié de toutes les dépenses publiques. Dans les situations de fragilité, l'efficacité de la gestion de la masse salariale de ce secteur est plus importante. En général, la part relative des dépenses publiques consacrée à la masse salariale des fonctionnaires n'est que faiblement associée à l'efficacité de l'administration (figure 4). Un niveau acceptable des salaires publics devient une contrainte plus critique pour les États fragiles, où une masse salariale élevée dans la fonction publique laisse moins de place aux investissements et aux transferts sociaux. En règle générale, la masse salariale élevée dans les pays fragiles et touchés par un conflit reflète en partie le rôle traditionnel de premier recours de l'État en tant qu'employeur. Elle peut aussi s'expliquer en partie par le poids des conflits et du terrorisme qui nécessitent de fortes dépenses salariales liées à la sécurité, ainsi que par la demande croissante de services de base et d'infrastructures publiques résultant de l'afflux important de réfugiés et de personnes déplacées à l'intérieur du pays. Sachant qu'ils se concentrent sur les caractéristiques et les pratiques de rémunération du secteur public, les indicateurs mondiaux de l'administration publique sont donc parfaitement adaptés pour mieux analyser les marchés du travail et les dynamiques de l'emploi et de la rémunération dans la fonction publique dans les situations de fragilité, conflit et violence.

Figure 4 : Masse salariale et indice de l'efficacité de l'administration

Figure 4 : Masse salariale et indice de l'efficacité de l'administration

Source : Worldwide Bureaucracy Indicators 2.0 and Worldwide Governance Indicators, 2018


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