Les trois répercussions d'un dollar fort sur les marchés émergents

|

Cette page en:

Image
Montage de photos de graphiques et d'un billet en dollars américains.
Le dollar américain a le vent en poupe : il s'est apprécié d'environ 11 % depuis le début de l'année.

Le dollar américain a le vent en poupe : il s'est apprécié d'environ 11 % depuis le début de l'année et a atteint, pour la première fois en vingt ans, la parité avec l'euro.

De fait, un nombre considérable de grandes devises se sont dépréciées par rapport au dollar, ce qui a des conséquences importantes pour le monde en développement. Compte tenu de l'avalanche de gros titres sur ce sujet, il me semble important de mettre en lumière les principales répercussions d'un dollar fort sur les marchés émergents. 

Avant tout, pourquoi le dollar s'apprécie-t-il ?

Le dollar s'apprécie principalement en raison d'une forte demande de billets verts. Les prévisions laissent présager un ralentissement majeur de la plupart des économies. Parallèlement, la guerre en Ukraine a créé un risque géopolitique massif et favorisé la volatilité des marchés. Enfin, les taux d’inflation record ont poussé la Réserve fédérale américaine (Fed) à relever ses taux de manière agressive. 

Parmi d'autres, ces facteurs entraînent un réflexe sécuritaire : les investisseurs abandonnent leurs positions en Europe, dans les pays émergents et ailleurs, ils cherchent refuge dans les actifs libellés en dollars américains et, évidemment, ils ont besoin de dollars pour les acheter. 

Ce n’est pas un phénomène nouveau. L'invasion de l'Ukraine a déclenché une appréciation initiale du dollar par rapport aux devises des pays émergents plus importante que celles observées lors du mouvement de panique de 2013  (le fameux taper tantrum [a]) et des précédents événements liés à des conflits impliquant des exportateurs de pétrole. 

Le marché s'attend encore à des hausses rapides des taux de la Fed, ce qui, dans des situations comparables, a entraîné des crises sur les marchés émergents. Ce fut le cas dans les années 1980 en Amérique latine avec la « décennie perdue », et dans les années 1990 avec la crise « Tequila » au Mexique (qui s'est ensuite étendue à la Russie et à l'Asie de l'Est). Si vous vous intéressez aux risques d'endettement associés à la stagflation, je vous conseille d'écouter le dernier épisode du Development Podcast de la Banque mondiale (a). 

Inquiétudes autour de la dette 

Dans ce contexte, il faut donc s'attendre à des tensions grandissantes sur les dettes souveraines, dont la situation est déjà préoccupante.

De nombreux pays, et en particulier les plus pauvres, ne peuvent pas emprunter dans leur propre monnaie pour les montants ou les échéances qu'ils souhaitent , car les prêteurs ne veulent pas assumer le risque d'être remboursés dans une devise instable. Donc ces pays empruntent généralement en dollars, en promettant de rembourser leurs dettes dans cette même devise, quel que soit le taux de change. Ainsi, à mesure que le dollar se renforce par rapport aux autres monnaies, ces remboursements deviennent beaucoup plus coûteux. C'est ce que l'on appelle, dans le jargon de la dette publique, le « péché originel ». 

Finalement, qui s'en sort le mieux ? La part de la dette libellée en dollars est relativement faible parmi les pays d'Asie de l'Est, et le Brésil a plutôt bien tiré son épingle du jeu ces derniers mois. Ce pays a bénéficié de l'importance des avoirs en dollars de la banque centrale, du fait que le secteur privé semble s'être bien protégé contre les fluctuations monétaires et de son statut d'exportateur net de matières premières. 

Préoccupations concernant la croissance 

À mesure que la Fed augmente ses taux d'intérêt, les autres banques centrales doivent relever les leurs pour rester compétitives et défendre leur monnaie.  En d'autres termes, les investisseurs doivent avoir une bonne raison (comme des rendements plus élevés) d'investir dans un pays émergent plutôt que de placer leur argent dans des actifs américains moins risqués.

Les banquiers centraux sont donc face à un dilemme. D'une part, une banque centrale souhaite évidemment préserver les investissements étrangers dans son économie nationale. Mais d'autre part, les hausses de taux renchérissent le coût des emprunts nationaux et ont aussi un effet modérateur sur la croissance.

Le Financial Times, citant des données de l'Institute of International Finance, a récemment souligné (a) que « les investisseurs étrangers ont retiré leurs fonds des marchés émergents pendant cinq mois consécutifs, ce qui constitue la plus longue série de retraits jamais enregistrée ». Ce sont là des capitaux d'investissement essentiels qui quittent les marchés émergents pour se mettre en sécurité. 

En outre, un ralentissement national affectera à terme les recettes publiques et pourrait ainsi exacerber les problèmes d'endettement préexistants. 

Difficultés commerciales 

À court terme, un dollar fort peut également peser sur le commerce, car le billet vert domine les échanges internationaux. Les entreprises opérant dans des économies hors de la zone du dollar l'utilisent pour chiffrer et régler les transactions. D'ailleurs, les principales matières premières comme le pétrole sont achetées et vendues en dollars. 

En outre, de nombreuses économies en développement sont des « preneurs de prix » : elles ne sont pas en mesure de négocier et leurs politiques et leurs actions n'ont aucun impact sur les marchés mondiaux. Elles sont aussi largement tributaires du commerce mondial et un dollar fort peut avoir des répercussions majeures sur leur économie nationale, notamment une flambée de l'inflation. 

Quand le dollar s'apprécie, les importations deviennent plus chères (dans la monnaie nationale), ce qui oblige les entreprises à réduire leurs investissements ou à dépenser davantage pour des importations indispensables.  

Et si le panorama commercial à long terme est plus favorable pour certains, dans l'ensemble il est contrasté. En effet, les importations sont plus chères dans un contexte de dollar fort, mais les exportations sont relativement moins onéreuses pour les acheteurs étrangers. Les économies exportatrices pourraient en profiter, car l'augmentation des exportations stimule la croissance du PIB et les réserves de change, ce qui contribue à atténuer bon nombre des problèmes décrits ici. 

Apaiser les tensions 

Malheureusement, les pays ont peu d'options pour résoudre rapidement ces problèmes. Or, il est préférable de traiter ces questions de manière préventive plutôt que réactive. 

Pour éviter la prochaine crise, il est important que les pays agissent maintenant pour consolider leur situation budgétaire et s'engager dans des emprunts durables.  Même en période difficile, les responsables politiques peuvent trouver des moyens d'encourager les investissements et de stimuler la croissance économique tout en atténuant les tensions budgétaires.  Pour sa part, la communauté internationale doit faire davantage pour accélérer les restructurations de dette (a). Cela contribuera grandement à remettre les pays sur une trajectoire budgétaire plus viable.

Régions

Prenez part au débat

TOU Ibrahima
01 septembre 2022

Merci pour ces connaissances apprises

Kiebo Mwanza Floribert
01 septembre 2022

Une monnaie mondiale doit être créée pour remplacer le Dollar.
La Banque Mondiale doit avoir le droit d'émettre cette monnaie et non un pays qui doit avoir une monnaie imposée aux autres.

ARMAND
01 septembre 2022

Très instructif. Ce blog me permettra de mieux comprendre les enjeux du commerce mondial et de la géostratégie

OUEDRAOGO Léopold T.
01 septembre 2022

Très belle analyse...

Scott Regifere MOUANDAT
01 septembre 2022

Les arguments mis en évidence sont assez évocateur des difficultés structurelles que rencontrent les pays émergents et en développement. Par ailleurs, j'aimerais ajouter que pour cette dernière tranche de pays, je trouve, dans un article en cours de publication, que même les exportations (qui jouent le rôle de couverture naturelle) ne permettent de profiter ou d'atténuer les effets des fluctuations du dollar, surtout en raison du péché originel qui est aujourd'hui un véritable problème et le caractère de ces pays à être Price taker.

Douah Amani Richard YAO
01 septembre 2022

Très belle analyse qui permet en si peu de mots de saisir le contexte global de l'inflation dans les économies en développement et anticiper désormais sur de potentielles crises à travers des réformes appropriées. Merci à l'auteur de l'auteur de l'article et à toute l'équipe de publication.

Joseph NGUESSAN
01 septembre 2022

La difficulté de la plupart des pays africains résident dans le déficit de leurs balance commerciale.
Car normalement si vous exporter plus que vous n'importer, la hausse du dollars devrait être positif pour vos recettes.
En 2e point, je soutiens l'idée de la restructuration des dettes car beaucoup de pays émergents ne peuvent plus emprunter pour financer les gros investissements qui peuvent stimuler leur croissance

Evariste KONSIMBO
01 septembre 2022

1°) Pourquoi les autorités monétaires américaines ne régulent pas cette flambée du dollar ? 2) Quelle est le fondement de cette envolée?

Jean-Baptiste Ylioma
08 septembre 2022

Il faut cesser de servir avec le dollar comme monnaie d'échange. La Russie a déjà donné l'exemple, c'est pour cela j'encourage tous les pays emergent ou en voie de developpement à laisser toutes les structures fondées par le groupe occidentale pour avoir leurs siennes. Il faut sortir dans le FMI et la banque mondiale c'est la seule façon de mettre fin dans la monopole du dollar. Il faut un autre bloc concurentiel comme le BRICS qui doit être plus large afin de creer une nouvelle monaie d'échange sans avoir impliqué les occidentaux. Le monde doit changer.

DIGNAL Nérée
30 novembre 2022

Ne pensez-vous pas que l'ambition de BRICS est la même que celle des occidentaux?

l'Afrique doit plutôt être vigilante et apporter un autre vent.

Mahamadou
08 septembre 2022

Évaluation donc lié dollars la remonter de dollars sur le marché mondiale au faite c'est une crise économique qui fait l emplair etc ...

tifrano
08 septembre 2022

On voit clairement que la situation catastrophique du monde actuel est un profit et un bonheur pour les USA.

Baihakiyi Ali achirafi
08 septembre 2022

C'est que les Etats doivent retenir sur ça qu'il aura jamais une équilibre que l'équilibre spontané . Alors c'est a eux d'agir le plus vite possible pour se preminir et sauver l'économie du pays.

Sébastien
08 septembre 2022

Très intéressant, merci !

Tsafack Nguena Leonel
13 septembre 2022

J'aimerais savoir est-ce que l'utilisation d'une monnaie plus stable est envisageable pour les transactions internationales dans le futur ?

Chadrack Kabwe
13 septembre 2022

Le dollars reste la seule monnaie fortement internationale et il est difficile qu'un pays sous-développé soit en mesure d'acquérir les biens à un coût faible.

Guy Roger DAKOURY
13 septembre 2022

Très belle analyse de l'auteur mais il faudrais
souligner que le dollars a été imposé par les États-Unis par une épreuve de force donc il faudrais cassez le monopole du dollars en sortant des institutions de bretons Woods et se tourner vers les brics à travers la Russie pour échanger avec une nouvelle monnaie qui aura un coût très bas pour les pays en voie de développement , c'est la seule option
pour un commerce plus structuré et profitable à tous donc les bricks sont pour nous autres une éventuelle porte de sortie .

Honore
13 septembre 2022

Le monde est en danger à cause du dollard

Firina
13 septembre 2022

Ce type de sujet me passionne.
Merci pour pour l'information

Jean Pierre AGOSSOU
13 septembre 2022

Merci

FOMENOU TETULAIRE
29 septembre 2022

C’est une situation pour le curieuse, alors que les USA ont abondamment recouru à la planche à billets pour financer les méfaits du Covid-19, relancer les infrastructures devenues vétustes, et enfin la guerre en Ukraine, le Dollar s’est raffermi, mieux il s’est fortement apprécié par rapport aux principales devises. Il est presque à parité avec l’euro. Évidemment, cela peut favoriser les exportations en direction des USA mais à contrario va entraîner une contraction de leurs exportations. Si cette situation perdure, l’économie mondiale va observer une surchauffe et une autre crise va pointer; cette fois là elle sera systémique ! La baisse des taux de la fed doit intervenir à plus ou moins brève échéance, les producteurs américains ne trouveront pas de débouchés extérieurs pour leurs produits et la demande nationale n’a la capacité d’absorber le surplus. Les entreprises locales américaines ne pourront pas honorer leurs engagements à échéance et progressivement, l’emploi serait touché.

Sow
29 septembre 2022

Quand le dollar se porte bien c’est l’économie mondiale qui s’effondre. Pourquoi est-ce que le dollar se porte bien c’est principalement à cause de la guerre en Ukraine car l’économie européenne est tellement dépendant de la Russie que aujourd’hui l’euro subit cette situation. Tout les autres pays émergents favorisent leurs money locaux oubliant que la finance ne porte aucune légitimité à leurs money. C’est le pouvoir du plus fort, c’est le pouvoir financier qui gouverne le monde aujourd’hui et le pouvoir politique est dans une boule sans fin d’une survie. La solution c’est le bitcoin

Yvan
30 novembre 2022

Très instructifs l'article.
Si les autres banques centrales suivent le rythme de la FED, pensez-vous que les différentes économies concernées auront la même capacité de resiliance que l'économie américaine ? Nous savons bien que le tissu industriel américain est très solide avec des entreprises disposant de très bonnes trésoreries pour faire face à des chocs de marchés violents. A mon humble avis le challenge est énorme pour les banques centrales qui font être suiveuse. Toute fois j'aimerais beaucoup avoir votre avis. Quelles pistes de solutions pour ces pays ?

Merci

Ulrich Aguedegan
30 novembre 2022

Petit à petit je m'habitue à géopolitique économique, financière et monétaire ! Merci

Founet DIALLO
30 novembre 2022

La situation des pays Africains dans tous ça ?

Conde mady
30 novembre 2022

C'est une évidence. Un dollar fort pèsera lourdement sur les importations des pays en général mais particulièrement les pays africains. L'économie mondiale est à 70% en dollar. Alors, il est recommandé d'anticiper et restructuré les politiques budgétaires.

Rivo
30 novembre 2022

Très intéressant

Manantsoa Jack Andrianorosoa
21 decembre 2022

D'après nos calculs sur votre base de données sur les indicateurs de développement à Madagascar, les importations de biens et services représentent plus du double des exportations en moyenne à la fin des années 2010, avant la crise du Covid. En particulier, pour un PED comme Madagascar qui importe la totalité de son pétrole, cette appréciation du USD contribue à une forte tension inflationniste à Madagascar. Les conséquences sociales de l'inflation sont déplorables dans notre pays oú le taux de pauvreté (au seuil de 2 USD) atteint pratiquement 80 % en 2022.
Nous demandons à la Banque Mondiale d'aider le pays où la production de fuel lourd local à Tsimiroro est possible. Et aussi d'aider à une restructuration des secteurs de production. En effet, la faim sévit dans plusieurs régions de l'Ile (notamment dans le Sud-Ouest, le Sud-Est et le centre) malgré le fait que plus de 70 % des actifs travaillent dans le secteur primaire.
Merci. Cordialement.

Ben khelifa
21 decembre 2022

Infine les pays émergents sont toujours laissés pour compte..toute action qu’ils prendraient leur serait préjudiciable.. réduire les budgets impliquerait plus de chômage..le seul salut est dans les exportations alors que leurs produits ne sont pas compétitifs ou manquent misérablement de valeur ajoutée

Yao
18 janvier 2023

Très instructif l'article