Hausse de l'inflation. Ralentissement de la croissance. Resserrement des conditions financières.
Ces dernières semaines, l'invasion de l'Ukraine par la Russie a exacerbé les risques pour l'économie mondiale. En outre, un quatrième facteur pourrait rendre la situation explosive : l'ampleur de la dette des marchés émergents et des économies en développement.
Ces pays représentent environ 40 % du PIB mondial. À la veille de la guerre, nombre d'entre eux étaient déjà dans une situation précaire. Après une décennie d'augmentation de la dette, la crise de la COVID-19 a porté l'endettement total à son niveau le plus élevé depuis un demi-siècle, soit l'équivalent de plus de 250 % des recettes publiques. Près de 60 % des pays les plus pauvres étaient déjà surendettés ou couraient un risque élevé de le devenir. Le fardeau du service de la dette dans les pays à revenu intermédiaire a atteint son niveau le plus haut depuis 30 ans. Les cours du pétrole ont grimpé en flèche (a) et les taux d'intérêt ont augmenté (a) partout dans le monde.
Dans de telles circonstances, l'histoire montre qu'il suffit d'un seul événement inattendu de plus (a) pour déclencher une crise. La guerre en Ukraine a immédiatement assombri l'horizon de nombreux pays en développement qui sont de grands importateurs de produits de base ou qui dépendent fortement du tourisme ou des envois de fonds des migrants. Dans toute l'Afrique par exemple, le coût des emprunts extérieurs augmente : les spreads obligataires sont en hausse de 20 points de base (a) en moyenne. Par conséquent, la donne change brutalement pour les pays dont la dette est importante, les réserves limitées et les échéances imminentes. Le Sri Lanka, par exemple, s'est finalement résolu la semaine dernière (a) à solliciter le Fonds monétaire international face au fardeau insoutenable du service de la dette.
Au cours des 12 prochains mois, au moins une dizaine d'économies en développement pourraient se révéler incapables de rembourser leur dette. C'est beaucoup, mais a priori il ne s'agit pas d'une crise systémique globale : rien à voir par exemple avec la crise de la dette de l'Amérique latine des années 1980 (a). La situation actuelle n'aurait rien à voir non plus avec la trentaine de cas de dette non soutenable qui ont conduit à la création de l'Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) (a) au milieu des années 1990. Toutefois, elle n'en serait pas moins significative, et constituerait la plus forte vague de crises de la dette dans les économies en développement depuis une génération.
Ces crises, si elles devaient éclater, se dérouleraient dans un contexte très différent. Il y a trente ans, la majeure partie de la dette extérieure des économies en développement était détenue par des États — les créanciers publics bilatéraux — qui étaient presque tous membres du Club de Paris. Ce n'est plus vrai aujourd'hui : fin 2020, les économies à revenu faible ou intermédiaire devaient cinq fois plus aux prêteurs privés qu'aux créanciers bilatéraux. Cette année, sur les près de 53 milliards de dollars que les pays à faible revenu devront verser au titre du service de leur dette publique et garantie par l'État, seuls cinq milliards iront aux créanciers du Club de Paris. En outre, une grande partie de la dette des économies en développement est désormais assortie de taux d'intérêt variables, ce qui signifie qu'ils peuvent augmenter presque aussi soudainement que les taux de crédit aux particuliers.
Les principaux mécanismes mondiaux qui existent aujourd'hui pour faire face aux crises de la dette n'ont pas été conçus pour de telles circonstances. Il faut les adapter.
Le G20 a joué un rôle essentiel dans ce processus au cours des deux dernières années. Face à la pandémie, et à l'instigation de la Banque mondiale et du FMI, le G20 a rapidement mis en place l'Initiative de suspension du service de la dette (ISSD). Cette initiative a rassemblé les membres du Club de Paris ainsi que d'autres créanciers pour assurer à près de 50 pays la suspension d'environ 13 milliards de dollars de remboursements. Toutefois, il s'agissait d'un filet de sécurité temporaire qui a expiré à la fin de l'année 2021, au moment même où la reprise économique post-COVID commençait à s'essouffler (a).
Par la suite, le G20 a établi le Cadre commun pour les traitements de la dette au-delà de l'ISSD. À ce jour, seuls trois pays se sont portés candidats et les progrès du processus de restructuration de leur dette sont lents, ce qui constitue le plus mauvais signal qui puisse être envoyé aux autres pays dont la dette est insoutenable. Ainsi, beaucoup se sont abstenus de demander un allègement précisément en raison de la lenteur du processus et parce qu'ils craignent que le fait d'adhérer au Cadre commun leur coupe l'accès aux capitaux privés sans rétablir le flux des crédits bilatéraux.
Or, concrètement, le Cadre commun est le seul instrument disponible, et il peut et doit être amélioré rapidement pour offrir un allègement significatif aux pays qui en ont besoin. Pour ce faire, la Banque mondiale et le FMI ont proposé une feuille de route :
- Premièrement, établir un calendrier précis des différentes étapes du processus : le comité des créanciers, par exemple, devrait être constitué dans les six premières semaines.
- Deuxièmement, suspendre, pour la durée des négociations, les remboursements du service de la dette aux créanciers publics de tous les candidats au Cadre commun.
- Troisièmement, évaluer les paramètres et les modalités de la comparabilité de traitement et clarifier les règles de sa mise en œuvre.
- Quatrièmement, élargir les critères d'éligibilité au Cadre commun, qui sont actuellement limités à 73 des pays les plus pauvres. Ils devraient être assouplis pour couvrir également des pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure très endettés et vulnérables.
Depuis trop longtemps, la communauté internationale applique une démarche désespérément laborieuse pour résoudre les crises de la dette dans les pays en développement , et offre un allègement qui se révèle soit trop limité, soit trop tardif. Il est grand temps d'adopter une approche digne du 21e siècle. Une approche qui implique l'anticipation plutôt que la réaction, une approche qui évite avant tout que la crise éclate.
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