Publié sur Opinions

L’innovation et la conduite de politiques judicieuses sont cruciales pour protéger les pauvres pendant la crise

Des écolières en uniforme. Photo: © Diego F, Dussán/Banque mondiale Des écolières en uniforme. Photo: © Diego F, Dussán/Banque mondiale

Le coronavirus (COVID-19) a déclenché une situation d’urgence sanitaire mondiale doublée d’une crise économique sans précédent. En plus des pertes en vies humaines et de revenus, la pandémie met en péril le capital humain, en raison de la disparition d’emplois, la désorganisation de services essentiels, la perturbation de l’approvisionnement alimentaire et la fermeture des établissements scolaires .

Faute d’une action rapide, résolue et coordonnée, cette crise menace d’anéantir des gains chèrement acquis sur le plan du capital humain. Une baisse d’environ 45 % des services de santé essentiels pendant six mois, soit un impact proportionnellement similaire à celui de l’épidémie d’Ebola, risque d’entraîner le décès de plus d’un million d'enfants de moins de cinq ans et plus de 50 000 décès maternels supplémentaires dans les pays à revenu faible et intermédiaire.

Le tableau est également sombre en ce qui concerne les acquis scolaires. Selon des travaux récents, une fermeture des écoles pendant quatre mois se traduirait à long terme par la perte de la moitié d’une année de scolarité corrigée en fonction de la qualité des apprentissages.  Ce qui porterait à moins de 7,5 ans la durée de la scolarité des jeunes dans les pays en développement, et causerait à terme des pertes de productivité aux conséquences durables.

En plus des pertes en vies humaines et de revenus, la pandémie met en péril le capital humain, en raison de la disparition d’emplois, la désorganisation de services essentiels, la perturbation de l’approvisionnement alimentaire et la fermeture des établissements scolaires.

Chez les femmes et les filles, sur lesquelles repose en général le fardeau des tâches ménagères et des soins à la famille, la pandémie risque d’aggraver les violences de genre ainsi que la prévalence des mariages précoces et des grossesses adolescentes, ce qui limitera leurs perspectives d’études et d’autonomie économique. 

Toutes ces répercussions sont profondes et elles soulignent l’urgence d’assurer la continuité des services essentiels au profit de tous, afin de faire en sorte que les pays puissent atténuer rapidement et efficacement les effets de la crise, tout en jetant les bases de leur résilience future. Ces services essentiels concernent notamment la santé, l’eau, la nutrition, le développement de la petite enfance, l’apprentissage, la protection sociale (filets de sécurité adaptatifs) et la participation des communautés.

En nous projetant dans l’avenir, nous montrons, dans une nouvelle publication (a), comment la crise pourrait être l’occasion de reconstruire des systèmes plus solides au profit des populations et des économies. L’enjeu est de redéfinir les priorités de politique publique, renforcer les institutions et faciliter les changements de comportement afin d’apporter une réponse plus flexible en cas de choc, améliorer la résilience et la qualité des services fournis à la population et favoriser l’inclusion économique.

En nous projetant dans l’avenir, nous montrons, dans une nouvelle publication, comment la crise pourrait être l’occasion de reconstruire des systèmes plus solides au profit des populations et des économies.

Dans le sillage de ce rapport, nous avons organisé un forum (a) afin de mieux comprendre ce qui marche et d’explorer des approches novatrices. Quelles sont les expériences efficaces, innovantes et prometteuses face aux multiples conséquences de la crise ? Parmi les témoignages de dirigeants du Bangladesh, d’Estonie, d’Irlande, du Pérou et de la Sierra Leone, quelques axes d’action émergent clairement. 

1. La lutte contre la propagation de la pandémie nécessite des mesures douloureuses, mais cette crise ouvre aussi des perspectives pour transformer radicalement les services nécessaires au développement, à la protection et à l’emploi du capital humain, à savoir notamment :

  • améliorer l’inclusion financière et numérique — les exemples ne manquent pas, des paiements par voie électronique au Pérou pour mieux atteindre les ménages à une approche axée sur la téléphonie mobile en Sierra Leone, en passant par les comptes bancaires mobiles au Bangladesh et les efforts de construction d’une société digitale en Estonie et ailleurs ;
  • investir dans la prochaine génération grâce à l’expansion des programmes et du soutien en faveur du développement, des apprentissages, de la santé et de l’accompagnement psychosocial de la petite enfance ;
  • innover en s’appuyant sur les technologies, nouvelles ou pas, pour améliorer la prestation de services, à l’instar d’une offre d’enseignements à distance en ligne ou par le biais de programmes radiophoniques, comme en Sierra Leone, conformément au principe d’inclusion de tous les élèves.

2. Les mesures prises en urgence pour protéger les populations et les économies doivent être alignées sur des objectifs de long terme sur le plan du développement et du capital humain :

  • la préservation du capital humain, indispensable pour l’avenir, exige des mesures urgentes, et plusieurs pays, à l’instar du Bangladesh, du Pérou et de la Sierra Leone, donnent la priorité à la poursuite des apprentissages tout au long de la crise ;
  • les politiques et les programmes doivent s’adapter pour améliorer l’accès aux services et leur qualité, pendant la crise et pour l’avenir, comme en témoignent les expériences de microfinance et de fourniture des services au niveau communautaire au Bangladesh.

3. Le souci de l’inclusion et l’empathie chez les dirigeants, la communication et la bonne gouvernance peuvent contribuer à la gestion de la crise et à la reprise :

  • adopter une approche qui mobilise l’ensemble de la société afin de renforcer la confiance des citoyens et d'assurer la délivrance des services essentiels ;
  • prioriser les dépenses compte tenu des limites de la marge de manœuvre budgétaire et entreprendre des réformes qui obéissent à des principes directeurs fondamentaux, à savoir la transparence, la cohérence et l’inclusion.

Ces exemples ne sont qu’un aperçu des nombreuses innovations mises en œuvre dans le monde entier pour affronter la pandémie. Ces actions prennent souvent naissance à l’échelon local, dans le cadre de partenariats public-privé et avec la participation des habitants et des communautés.

Les pays ont besoin de systèmes plus solides et résilients, et le chemin vers la reprise sera long et semé d'embûches.  L’espace budgétaire sera limité, mais l’inaction coûtera cher à la prospérité future.

Souvent difficiles, les réformes structurelles et de la gouvernance envisagées par les pays depuis des années sont désormais vitales. Elles ont aussi gagné en faisabilité : si les gouvernements parviennent à rallier la confiance de leur population à la faveur de leur capacité à faire face à la pandémie, les pays auront une occasion inédite de faire avancer les réformes. 

Aussi la communauté internationale doit-elle redoubler d’efforts pour soutenir ces évolutions et promouvoir les bons investissements dans le capital humain.


Voir aussi : L'actualité du Groupe de la Banque mondiale face à la pandémie de COVID-19


Auteurs

Annette Dixon

Ancienne vice-présidente du Groupe de la Banque mondiale, Ressources humaines

Hana Brixi

Directrice mondiale, Genre et égalité des sexes

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