Publié sur Opinions

Migrant ou réfugié : une distinction essentielle

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Une famille présentant une demande au centre d'enregistrement du HCR
à Tripoli, au Liban. Photo: Mohamed Azakir / Banque mondiale

On n’arrête pas les mouvements de population. Dans de nombreuses régions d’Europe, les gares ferroviaires et les points de passage des frontières sont envahis par une vague humaine sans précédent. Les responsables politiques ont beau courir d’un sommet à l’autre à la recherche de solutions, ils sont dépassés par les événements. Des personnes désespérées prennent des risques immenses et traversent des épreuves indicibles pour avoir une chance de poser le pied dans l’Union européenne. Même à l’approche de l’hiver, le flux ne semble pas diminuer.

S’agit-il de migrants ou de réfugiés ? Au vu des événements tragiques, il peut sembler déplacer de poser des définitions et de se perdre en subtilités. Cependant, les mots ont leur importance, car ils définissent largement le contexte politique et juridique dans lequel évolueront ces populations.  

Quelle est donc la différence entre un migrant économique et un réfugié ? En principe, la réponse est claire : les migrants économiques recherchent essentiellement des opportunités d’amélioration de leur situation économique, tandis que les réfugiés fuient un danger qui menace leur existence même et possèdent un statut défini par la Convention de Genève de 1951. En d’autres termes, la migration économique obéit à un « facteur d’attraction », c’est-à-dire que les migrants s’installent dans un pays où ils pensent que leurs compétences sont recherchées. En revanche, les personnes déplacées de force émigrent dans le premier pays qui leur paraît sûr : c’est le « facteur d’incitation ».

La migration économique présente des avantages amplement démontrés, issus de la complémentarité entre les compétences des migrants et les besoins du marché dans le pays d’accueil. Ainsi, les avantages se cumulent, pour le pays d’accueil dans lequel les migrants comblent un vide, pour les migrants qui augmentent leurs revenus et pour le pays d’origine qui bénéficie des envois de fonds et des transferts de connaissances. À l’opposé, les réfugiés arrivent souvent sur un marché du travail où la demande de leurs compétences fait défaut et qui constitue en quelque sorte le « mauvais endroit » du point de vue purement économique, ce qui annule en grande partie les bénéfices économiques potentiels pour eux-mêmes comme pour le pays d'accueil.

Certes, la distinction est parfois difficile à établir. Certaines personnes quittent leur pays ravagé par un conflit armé pour des raisons économiques. Ainsi, un grand nombre de Somaliens qui étaient restés dans leur pays tout au long des deux premières décennies de guerre ont fini par partir après la sécheresse de 2011. Dans ce cas, le dénuement économique est généralement et essentiellement une conséquence directe du conflit et de l'effondrement des échanges commerciaux, des institutions, etc. 

Certains responsables politiques des pays de l’OCDE ont remis en question le statut des réfugiés qui, après avoir fui vers un pays sûr, repartent pour s'installer dans un pays tout aussi sûr, mais économiquement plus attrayant, à l’instar de ces réfugiés syriens qui quittent les camps en Turquie pour rejoindre un pays de l’UE. Toutefois, la principale cause du déplacement est toujours la même, à savoir la nécessité de fuir. Par conséquent, les réfugiés demeurent des réfugiés même s’ils migrent : n’aurions-nous pas dit de même d’une personne juive quittant l’Allemagne pour les Pays-Bas en 1937 avant de poursuivre sa route jusqu'en Argentine en 1939 ?

Par ailleurs, que dire du changement climatique et des catastrophes naturelles ? Ne sont-ils pas également à l’origine de flux migratoires ? Certes oui, mais leur situation est à distinguer de celle des réfugiés : la fièvre peut être due à de nombreuses maladies, chacune nécessitant un traitement spécifique. Les catastrophes naturelles entraînent des déplacements, mais si elles sont relativement bien gérées et qu’une aide adéquate est fournie, la situation est généralement temporaire. La plupart des habitants retournent chez eux après la remise en état de leur logement et continuent d’avoir accès à leurs terres notamment. L’expérience est en revanche très différente pour un réfugié. Le déplacement dû au changement climatique est par bien des aspects comparable à une migration économique, puisque c’est la pauvreté engendrée par le changement climatique qui entraîne la migration.

Une troisième catégorie apparaît également, qui nous contraint à remettre en cause notre conception binaire de la mobilité humaine, à savoir les migrants économiques désespérés. Ces personnes ne fuyant pas la violence ou la persécution, elles ne peuvent pas être considérées comme des réfugiés. Néanmoins, les risques qu'elles n’hésitent pas à prendre et les épreuves qu'elles sont prêtes à endurer montrent qu’elles n’ont pas vraiment d'autre choix que de migrer. 

Il s’agit entre autres des personnes originaires du Sahel qui tentent désespérément de traverser la Méditerranée dans des embarcations de fortune et des enfants d’Asie du Sud que leurs parents envoient seuls au Moyen-Orient pour qu'ils aient une chance d'atteindre un jour l'Europe. Ce sont toutes ces populations dont le dénuement économique et les perspectives sont tels qu'elles pensent ne pas avoir d’autre issue que de prendre des risques incommensurables. Face à un désespoir de cette nature, les mécanismes traditionnels de gestion de la migration économique sont inefficaces, et la législation sur les réfugiés n'est pas applicable. Ce phénomène n'est certes pas nouveau, mais il atteint aujourd’hui une telle ampleur qu'il mérite une réflexion approfondie. 

En attendant, il est important de choisir ses mots avec prudence, car ils définissent le contexte politique et juridique dans lequel les personnes quittant leur pays seront accueillies. En effet, les réfugiés et les migrants économiques ont des expériences, des perspectives, des attentes et des opportunités différentes.
 


Auteurs

Xavier Devictor

Co-Directeur du Rapport sur le développement dans le monde, Banque mondiale

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