Publié sur Opinions

Qu’est-ce qu’un État fragile ?

 
ما هي الدولة الهشة؟

 

Pour paraphraser Tolstoï dans Anna Karénine, pour qui « les familles malheureuses sont malheureuses chacune à leur façon », chaque État a sa propre façon d’être fragile (pour en savoir plus, lisez ce texte [a] de Michael Woolcock, de la Banque mondiale). Il est donc souvent vain de réduire la définition de la fragilité à des listes ou des indicateurs statiques et normalisés, le risque étant de passer à côté de toute la gamme des nuances et complexités de la fragilité voire de ne pas la déceler dans certaines situations.

C’est la raison pour laquelle le pôle de travail de la Banque mondiale axé sur la fragilité, les conflits et la violence s’efforce depuis quelque temps déjà de sortir des sentiers battus. D’où aussi notre satisfaction depuis la parution du dernier rapport de l’OCDE sur les « États de fragilité » (a), qui pourrait bien changer la donne et révolutionner la manière dont nous abordons ces questions.

L’OCDE publie chaque année depuis 2005 un rapport sur les États fragiles afin de suivre les apports d’aide à un ensemble de pays (a) considérés comme les plus fragiles du monde. Mais cette année, au lieu de se focaliser uniquement sur cette liste, le rapport dessine une vision globale de la fragilité qui dépasse les seuls États fragiles et en conflit. Le changement de titre (Rapport sur les États de fragilité au lieu de Rapport sur les États fragiles) illustre bien cette évolution.

L’inconvénient avec les listes, c’est que l’on risque aussi de rater une situation qui ne concerne que quelques poches de fragilité et non un territoire entier. La définition du seuil en deçà duquel un pays est considéré comme fragile a toujours été un véritable casse-tête. En fait, il semble plus fructueux de réfléchir à la manière d’appréhender la fragilité plutôt que de vouloir la définir.

C’est l’orientation qu’a choisie l’OCDE : parvenir à une compréhension universelle de la fragilité au lieu de se concentrer sur les seuls États fragiles et en conflit. Sa publication ne doit rien au hasard : il s’agit d’apporter de nouveaux éléments à la finalisation des objectifs de développement durable (ODD), prévue cette année (a). Le 16e ODD cherche spécifiquement à réduire la violence sous toutes ses formes. Tous les pays, et pas seulement ceux considérés traditionnellement comme « fragiles », devront atteindre les cibles associées.

Le rapport de l’OCDE propose pour l’après-2015 un nouveau cadre de suivi multidimensionnel de la fragilité axé sur cinq dimensions : violence, justice, institutions, fondamentaux économiques et résilience.

Avec son équipe, Jolanda Profos, consultante pour la paix et les conflits à l’OCDE, offre une nouvelle grille de compréhension de la fragilité articulée autour de ces cinq dimensions.
 

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Ce modèle opérationnel décompose les facteurs de fragilité pour chaque pays et met en évidence les différents schémas de fragilité, suggérant ce faisant que cette situation n’est pas l’apanage d’une poignée de pays. Ceux qui présentent des vulnérabilités sur le plan des cinq dimensions considérées ont de fortes chances de figurer déjà sur la liste des États fragiles, mais bon nombre de pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure (en Amérique latine et aux Caraïbes notamment) sont particulièrement exposés aux risques de violence, de retournements conjoncturels et de catastrophes naturelles.

Une consultation régionale autour du rapport organisée par la Banque mondiale à Nairobi en décembre dernier a réuni des praticiens spécialistes de questions aussi diverses que les droits humains, le crime organisé, les violences, la défense des femmes et la construction de la paix, venus de pays d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Amérique latine mais aussi du G7+ et d’autres pays en développement.

Cette réunion a été l’occasion d’évoquer les implications pratiques du cadre de suivi et de convenir que ledit cadre devrait sans doute élargir son champ d’application aux dynamiques régionales et mondiales des conflits et non plus seulement nationales.

Comme l’a souligné un collègue, « certaines dynamiques locales, comme les inégalités ou les fractures sociales, jouent un rôle important mais elles ne doivent pas occulter l’importance des phénomènes à l’œuvre à l’échelle internationale, comme le narcotrafic ». Une suggestion reprise par Gary Milante, directeur du programme sécurité et développement au SIPRI, lors du Forum sur la fragilité, qui a plaidé pour une « réflexion systémique sur le conflit ».

Le filtre de la fragilité universelle et multidimensionnelle peut à la fois influer sur les modèles appliqués et sur les apports financiers. C’est un moyen d’identifier les priorités en mettant en évidence les vulnérabilités propres à chaque pays et de faire en sorte que les biens publics aillent au secteur qui en a le plus besoin. Il peut aussi contribuer à la définition de priorités internationales pour lutter ensemble contre la fragilité.

La poursuite d’un programme universel pour l’après-2015 présente des opportunités et des défis. Si nous voulons progresser en direction des cibles envisagées, nous allons devoir nous doter de nouveaux outils et définir de nouvelles interventions. Le fait de mieux comprendre les vulnérabilités de chaque pays sera certainement un plus.

Tous, nous devons suivre les changements de paradigme au moment d’imprimer un nouvel élan au programme de lutte contre la fragilité, le conflit et la violence en 2015, année qui promet sans aucun doute d’être riche en changements profonds.

 


Auteurs

Anne-Lise Klausen

Senior Operations Officer at the World Bank’s Fragility, Conflict and Violence Group (FCV)

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