Il y a quelques années, je me suis soumis à un rigoureux processus de sélection en vue d’un poste de chercheur auprès d’une université allemande et je suis parvenu parmi les premiers candidats retenus, en concurrence avec une seule autre personne. Il s’agissait d’une femme, et bien que nos qualifications soient estimées égales, c’est elle qui a décroché le poste. L’université a opté pour elle en raison de ses très bonnes références mais aussi à cause de sa politique universitaire visant à écarter toute discrimination inconsciente lors d’un engagement : en présence de multiples candidats dont les qualifications étaient jugées équivalentes, c’est aux femmes que priorité était donnée.
Il reste encore beaucoup à faire pour augmenter la participation des femmes dans les sciences
—juste 28% des chercheurs du monde entier sont des femmes.
Cette question concerne aussi les sciences agricoles. À échelle mondiale, les pays aux institutions de recherche agricole récentes auront très probablement un nombre moindre de chercheuses agricoles. Prenez par exemple l’Afrique de l’Ouest, où la Banque Mondiale a déployé d’importants efforts pour développer les capacités scientifiques en agriculture. En Afrique de l’Ouest, le pourcentage des chercheuses s’étend de 4% en Guinée à environ 20% au Ghana. À titre de référence, aux Pays-Bas, un pays disposant d’un système d’innovation ayant atteint la maturité, le taux de participation de chercheuses atteint 37%.
Il est important d’améliorer l’équilibre entre les sexes dans les sciences agricoles
Étant donné les défis de développement en matière d’alimentation et d’agriculture, la sous-représentation des femmes en sciences agricoles est un sujet de préoccupation. Dans de nombreuses régions et pays, la production agricole s’est « féminisée » alors que les hommes recherchent des possibilités d’emploi en dehors de la ferme, et certains produits sont sous contrôle croissant des femmes. Les femmes scientifiques apportent une perspective essentielle à prendre en considération dès qu’il s’agit de comprendre les besoins spécifiques des femmes à niveau local et de les doter d’une technologie qui leur soit utile. Qui serait mieux à même que les femmes scientifiques, qui comprennent les besoins physiques des femmes et leurs difficultés quotidiennes, pour élaborer des technologies agricoles ciblant les femmes ? Par ailleurs, les femmes doivent jouer un rôle principal dans certains domaines cruciaux. Il serait ainsi un vœu pieux de vouloir développer des technologies soucieuses de la nutrition en recourant uniquement à des chercheurs masculins, et il serait fort peu probable que des résultats véritablement significatifs puissent ainsi être obtenus.
Comment augmenter la participation des femmes en recherche agricole
En premier lieu, l’éducation supérieure!
Une jeune agronome de l’INIAF m’a raconté récemment combien elle était fière une fois qu’elle eut son diplôme en poche l’année dernière (voir tableaux). Je pouvais vraiment comprendre sa fierté parce que pour une femme, dans des pays tels que la Bolivie, obtenir une licence en sciences agricoles ou tout autre domaine technique est comparable à la situation à laquelle les femmes étaient confrontées en entrant en politique dans les années 1930. La trajectoire des femmes ne doit pourtant pas s’arrêter là. Pour véritablement faire de la recherche, les femmes doivent poursuivre leur formation scientifique ; néanmoins, le pourcentage de femmes parvenant jusqu’à une maitrise, voire un doctorat, reste encore très réduit.
Dans les pays où les pressions sociales et culturelles représentent des obstacles particuliers pour les femmes, des mesures sexospécifiques peuvent fournir un mécanisme adapté pour renforcer l’accès des femmes à l’éducation secondaire et supérieure. Ainsi, un projet financé par la Banque Mondiale en soutien au Système National d’Innovation Agricole du Pérou comporte un programme de bourses en vue de diplômes de maîtrise, avec l’ambitieux objectif d’en accorder au moins 35 pour cent à des femmes.
Stimuler la confiance en soi et les qualités de leader
Souvent, au cours des discussions sur l’intégration d’une démarche antisexiste dans les projets de développement agricole, on reconnait – à juste titre, à mon avis – la tendance à négliger les intérêts des femmes car celles-ci restent effacées et répugnent à parler en public. Un phénomène similaire se produit dans les domaines de recherche et de développement. J’ai plusieurs fois entendu des témoignages de femmes travaillant dans la recherche, et qui racontaient combien il leur a été difficile et souvent frustrant de se faire écouter et d’avancer dans un domaine dominé par les hommes.
Récemment, je suis tombé sur une initiative intéressante en soutien des femmes scientifiques dans l’agriculture : Femmes Africaines dans la Recherche et le Développement Agricole (AWARD), sous l’égide du Centre Mondial d’Agroforesterie, se consacrant au renforcement des capacités scientifiques et de leadership des femmes. Dans le même esprit, au cours de la décennie passée, le CGIAR a travaillé, entre autres initiatives en rapport avec l’égalité des sexes, à aider les jeunes femmes chercheuses à se développer professionnellement.
S’attaquer aux barrières institutionnelles bloquant les femmes
J’ai encore en mémoire combien il a été dur pour moi de voir s’échapper la chance de devenir chercheur auprès d’une université internationale de renom. Aujourd’hui cependant, je vois que cette université allemande avait fait le bon choix. Les institutions de recherche nécessitent des politiques pro-actives pour contrecarrer les partialités inconscientes et réduire les disparités entre les sexes
En Bolivie, la Banque Mondiale a essayé d’aider l’INIAF à éliminer les obstacles entravant l’engagement de femmes scientifiques, et les résultats sont mitigés. Nous avons appris que les politiques institutionnelles d’inclusion doivent couvrir tout un éventail de domaines allant du recrutement aux horaires de travail et à l’offre de garderies d’enfants. Nous avons aussi appris que les mesures nécessaires en vue de faciliter l’avancement professionnel des femmes requièrent un certain temps avant de porter leurs fruits. C’est sans doute pourquoi la Coop de Recherche Agricole (EMBRAPA) au Brésil a mis 25 ans pour doubler son pourcentage de femmes scientifiques.
Nourrir le monde, aujourd’hui et dans les années à venir, est un immense défi. Si l’on veut réussir à le remporter, il importe de mettre à contribution toutes les ressources disponibles. Dans cette optique, l’immense apport que les femmes peuvent fournir dans le domaine de la recherche et du développement agricole ne peut pas être négligé. Manifestement, le monde a besoin de davantage de femmes scientifiques.
[1]L’INIAF va terminer le Projet de Services et Innovation Agricole avec le soutien financier de la Banque Mondiale en partenariat avec les Agences de Coopération du Danemark et de la Suisse.
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