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Science et prestation : une tentative de définition

 une tentative de définitionDe retour de Dartmouth après une série de réunions au Center for Health Care Delivery Science (a), me voilà plongé dans les arcanes de la « science de la prestation ». Le président du Groupe de la Banque mondiale, Jim Yong Kim, l’évoque souvent dans ses dernières interventions, en lien avec un mode d’expérimentation scientifique censé contribuer à l’amélioration des services, souvent déficients, dans les pays en développement, en particulier dans les secteurs de la santé, de l’éducation, de l’eau et des infrastructures de base.

J’en suis venu à la conclusion que « science » et « prestation » sont à bien des égards deux principes distincts, qu’il convient cependant de considérer dans leur complémentarité. Je m’explique.

La « science », un outil pour disposer d’un socle de données

La composante « science » renvoie à un processus empirique et transparent qui consiste à savoir ce qui réussit et ce qui échoue, et à percer les raisons sous-jacentes de ces résultats. Avons-nous la moindre idée de ce qui fait qu’un projet fonctionne et sommes-nous capables d’assurer, pour un coût comparable et de manière cohérente, prévisible et sans interruption, la fourniture de biens et de services de base aux populations les plus démunies ? C’est là où les données entrent en ligne de compte, en masse, tirées de l’expérience et nées de l’expérimentation.

Ce qui m’évoque immédiatement l’atlas de la santé (a) du Dartmouth College qui permet, en s’appuyant sur des expériences scientifiques rigoureuses, de connaître par exemple le nombre de praticiens en activité aux États-Unis, la charge de morbidité dans une région donnée ou le coût de traitement de telle ou telle affection. Ces données sont un préalable indispensable aux interrogations essentielles : l’amélioration des performances sanitaires est-elle corrélée de manière positive aux dépenses, au nombre de médecins ou à un autre facteur ? Les préférences des patients sont-elles prises en compte au moment de décider des traitements à suivre ?

Or, avons-nous des données comparées pour approfondir nos réflexions sur ces aspects majeurs ? Force est de constater que la réponse est le plus souvent négative, ce qui nous empêche de concevoir une science de la prestation susceptible d’améliorer la situation.

La prestation de services, un « art » autant qu’une science

De surcroît, cette science ne suffit pas à développer un savoir-faire. Les problèmes les plus complexes (alimenter en eau les citadins pauvres, offrir des emplois aux jeunes ou atténuer le changement climatique) relèvent autant du savoir-faire que de la science : ils ne sont jamais techniques à 100 % et font habituellement entrer en jeu une multitude d’éléments changeants.

C’est un peu comme une performance sportive : comment fait-on pour l’améliorer ? On peut certes collecter des données et procéder à des analyses mais comment intégrer l’entraînement, la pratique et les progrès constants ? De même, si la qualité de la prestation tient au fait de traduire un « savoir-faire » en « faire », quel rôle jouent l’inspiration et la motivation dans ce processus, aux côtés de données solides et d’une pratique rigoureuse, et dans quelles proportions ces éléments agissent-ils ?

Entraînement, pratique et rétroactions

Michael Barber, responsable du département des services publics créé par Tony Blair, souligne tout l’intérêt de se concentrer sur quelques aspects importants, de systématiser les procédures, de collecter des données, de mesurer les résultats, de tirer rapidement les enseignements et de procéder par itération. Dans son ouvrage Lean Start-up (a), Eric Ries préconise une méthode pour la création ou le développement d’entreprises où les maîtres mots sont la rigueur, l’expérimentation scientifique, l’itération, l’apprentissage et la rapidité des cycles d’innovation. Lant Pritchet, Michael Wolcoock et Matt Andrews utilisent le vocabulaire de l’« adaptation itérative en fonction des problèmes » (a) pour évoquer une approche similaire, fondée sur l’expérimentation, l’itération et l’apprentissage tiré de la pratique.
Pour Malcolm Gladwell, le talent correspond à la volonté de pratiquer sa discipline. Les maîtres ne passent pas moins de 10 000 heures à peaufiner le leur. Athlètes et musiciens professionnels font appel à des entraîneurs pour améliorer et affiner sans cesse leurs compétences. Et nous, comment allons-nous pouvoir transformer les éléments scientifiques, les connaissances et les données dont nous disposons pour qu’ils permettent d’améliorer la prestation des services publics ?
Si les travaux évoqués précédemment reflètent des points de vue divers, ils ont un point commun : l’importance de mener des expérimentations scientifiques reposant sur des hypothèses claires, de privilégier systématiquement les résultats, de mettre en place des circuits pour une remontée rapide d’informations et de procéder par approximations successives. Quelle que soit la pertinence apparente d’une solution technique, sa mise en œuvre sera toujours plus complexe qu’il n’y paraît et exige des responsables capables de s’adapter et de fédérer les points forts d’équipes aux compétences multiples.

Enfin, il faut également évoluer dans un environnent porteur. Le cycle de projet de la Banque mondiale (détermination du champ d’intervention, préparation du projet, approbation du prêt et évaluation) n’est pas toujours calé sur celui de la problématique à résoudre. La préparation et la mise en œuvre d’un projet peuvent prendre plusieurs années et son évaluation dure souvent plus d’un an. Entre-temps, le monde change et les problèmes évoluent. Or, les praticiens ont besoin de données en temps réel pour tirer les enseignements de leur action et réagir aux nouvelles priorités de leurs clients. S’il est donc indispensable de mener des expérimentations rigoureuses, l’apprentissage en temps réel et l’adaptation itérative sont également importants. Et si l’on parvenait à concilier les deux ?

Auteurs

Aleem Walji

Director, Innovation Labs

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