En quelques clics sur un smartphone, je peux consulter la météo, envoyer des messages à mes amis partout dans le monde, consulter mon compte bancaire ou même commander mon dîner. Toutefois, même dans notre monde hyperconnecté et nourri de données, il est extrêmement difficile de cerner la dette publique, même pour des chercheurs ayant des compétences avancées et accès à de grandes bases de données. Et ce n'est pourtant pas faute d'essayer.
Les « dettes cachées » sont bien trop fréquemment révélées pendant ou juste avant une crise, ce qui engendre de mauvaises surprises. Ce fut le cas en 2016, lorsque la découverte de créances jusque-là non divulguées a fait dérailler le programme de développement du Mozambique (a), entachant sa réputation de champion de la croissance et de l'investissement, et plongeant son secteur financier dans la crise. Plus récemment, les négociations de restructuration de la dette du Tchad et de la Zambie ont été retardées lorsque leurs services chargés de la gestion de la dette n'ont pas pu produire des décomptes actualisés et complets de ce qui était dû, et à qui.
Mais comment se fait-il qu'une dette publique soit cachée ?
Outre le fait qu'elle peut ralentir les pourparlers de restructuration, voire faire déraper une économie, une créance dissimulée empêche les emprunteurs comme les prêteurs de prendre des décisions de financement éclairées et responsables. Par ailleurs, elle ne permet pas aux contribuables et aux organisations de la société civile de contrôler les décisions d'emprunt des gouvernements. Compte tenu de ces sérieux inconvénients, il est permis de se demander avant tout pourquoi il peut exister une dette cachée.
Parmi les principaux coupables se trouve la clause de confidentialité, cette mention insérée dans les contrats de prêt et qui impose le secret. Dans de nombreux cas, les clauses de confidentialité empêchent la divulgation de la transaction elle-même, sans parler des conditions de l'opération. En d'autres termes, l'existence du prêt n'est connue que des parties au contrat. Il est temps de dénoncer ces clauses pour ce qu'elles sont : de mauvaises pratiques qui s'avèrent souvent destructrices.
Alors, pourquoi existent-elles ?
Les clauses de confidentialité sont utilisées pour de nombreuses raisons, dont certaines peuvent être justifiées et d'autres moins. Certaines informations peuvent en effet devoir être protégées, comme des modes de calcul ou des formules financières exclusives, mais ce n'est pas une raison pour occulter l'accord dans son ensemble.
Le plus souvent, les clauses de confidentialité sont le résultat de motivations plus douteuses : des considérations politiques telles que de prochaines élections, une réticence à révéler l'état réel des finances publiques ou, tout simplement, la corruption.
En agissant sur quatre aspects clés, les responsables publics peuvent créer de meilleures conditions (a) pour les emprunteurs comme pour les prêteurs :
- Premièrement, éviter les clauses de confidentialité. Le secret peut être tentant à court terme, mais à long terme, la transparence rehaussera la réputation de l'emprunteur, réputation qui, à son tour, renforcera la confiance des investisseurs et réduira les coûts d'emprunt. Si les conditions du marché se détériorent et qu'un allègement du crédit devient nécessaire, la transparence facilite également l'évaluation précise des créances en évitant la révélation de dettes cachées et favorise l'efficacité de la restructuration.
- Deuxièmement, stipuler expressément dans les contrats le droit des emprunteurs à communiquer des informations détaillées sur les opérations de dette publique à la Banque mondiale et au Fonds monétaire international. Entre autres activités, ces institutions ont en effet pour mission de procéder à des évaluations de la viabilité des dettes souveraines, produire des statistiques internationales sur la dette et fournir des financements d'urgence en temps de crise.
- Troisièmement, codifier les exigences de transparence de la dette dans le droit national. La communication sur la dette ne doit pas être une question d’usages ou de normes. Il convient d'établir des cadres juridiques nationaux qui précisent comment, quand et où les informations sur la dette seront divulguées.
- Quatrièmement, s'assurer que l'information sur la dette est suffisamment détaillée pour permettre aux prêteurs, aux analystes et au public de contrôler les actions du gouvernement. Ces détails doivent être publiés et facilement accessibles, par exemple sur un site internet spécifique associé à un service de gestion de la dette publique.
Alors que plusieurs économies émergentes et en développement sont face à la perspective bien réelle de ne pas pouvoir assurer le service de leur dette dans les 12 mois à venir, une « dette cachée surprise » risque d'aggraver une situation déjà compliquée et d'entraver les efforts visant à aider ces pays vulnérables.
Certes, les clauses de confidentialité ne sont pas les seules responsables de l'endettement caché. Dans certains cas, celui-ci résulte du manque de capacité de l'État à assurer un suivi adéquat des obligations contractées. Mais les clauses de confidentialité sont le fait d'acteurs très avisés, et si leur suppression ne mettra pas fin au problème de la dette cachée, elle contribuera grandement à placer les pays sur une trajectoire plus transparente et optimisée sur le plan financier.
Si ces questions vous intéressent et que vous souhaitez approfondir le sujet, je vous recommande ces deux lectures : Enhancing Debt Transparency by Strengthening Public Debt Transaction Disclosure Practices, de mes collègues Susan Maslen et Cigdem Aslan, et Debt Transparency in Developing Economies, de Diego Rivetti.
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