Pour la plupart des gens, rien d’extraordinaire à présenter une carte d’identité pour ouvrir un compte en banque ou même patienter pendant plusieurs heures pour obtenir un permis ou une pièce d’identité. Pourtant, 1,5 milliard d’individus dans le monde continuent d’être privés de tout moyen d’établir leur identité : une situation qui leur interdit de faire ces démarches simples, mais essentielles.
Cette question de l’accès des habitants des pays en développement à une identification individuelle grâce à la technologie était au cœur d’une discussion organisée en marge des Assemblées annuelles et intitulée « État civil et développement : exploiter les solutions numériques ». Animé par le nouvel économiste en chef de la Banque mondiale, Paul Romer, le panel réunissait Sri Mulyani Indrawati, ministre des Finances d’Indonésie, Ajay Pandey, directeur général de l’Agence indienne d’identification biométrique, Justin Forsyth, directeur exécutif adjoint de l’UNICEF, Tara Nathan, vice-présidente exécutive pour les partenariats public-privé chez MasterCard, et John Giusti, responsable des questions de réglementation pour GSMA, une association de 800 opérateurs de téléphonie mobile.
L’enjeu de l’identification du point de vue du développement peut être résumé ainsi : pour pouvoir prétendre à bénéficier d’aides publiques dans le domaine des soins de santé ou de l’éducation par exemple, il faut la plupart du temps être en mesure de prouver son identité ; or, ce sont justement les plus démunis qui n’ont aucun accès à un système d’état civil ou aux documents nécessaires à l’établissement de leur identité. D’où cette initiative transversale lancée en 2014 par le Groupe de la Banque mondiale, Identification for Development (ID4D), qui s’inscrit aussi dans le cadre des nouveaux Objectifs de développement durable (ODD) : de nombreux pays n’ont pas de véritables systèmes d’état civil alors qu’il s’agit d’un préalable indispensable pour concrétiser au moins dix des ODD ainsi que la cible visant à garantir une identité juridique à tous d’ici 2030.
Selon l’UNICEF, 45 % des enfants dans le monde — vivant pour la plupart en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud — n’ont même pas de certificat de naissance. « Les enfants non déclarés sont invisibles », a rappelé Justif Forsyth, de l’UNICEF. « L’enregistrement des naissances est l’un des outils les plus importants pour s’assurer qu’aucun enfant n’est laissé pour compte. » Il a souligné à quel point il était vital, surtout avec l’afflux actuel de réfugiés, que les enfants aient accès à des soins ou une éducation de base, tout en combattant le travail et le trafic des enfants.
Les efforts des gouvernements indien et indonésien pour s’atteler à ces problèmes ont été mis en avant par leurs représentants au sein du panel. En 2010, le gouvernement indien a engagé un ambitieux projet, baptisé Aadhaar, pour délivrer une pièce d’identité individuelle à tous les ressortissants du pays. À ce jour, plus d’un milliard d’individus ont pu être enregistrés et plus de 5 millions utilisent quotidiennement leurs empreintes digitales pour accéder à des services. Les programmes publics peuvent désormais vérifier l’identité de chacun et ainsi mieux cibler les dispositifs sociaux. Les économies réalisées en réduisant les déperditions dans un programme a ainsi permis au gouvernement de récupérer, en à peine 12 mois, l’intégralité des frais engagés pour déployer le projet Aadhaar.
De même en Indonésie, la fusion de plusieurs bases de données et systèmes gouvernementaux afin de créer un numéro d’identification national unique, le NIK (Nomor Induk Kependudukan) a permis de réduire les doublons et, ce faisant, d’économiser des millions de dollars. Cette intégration des informations a également entraîné la création d’une base de données actualisées des 40 % les plus pauvres de la population, qui sert à gérer les programmes de transferts monétaires directs.
Après avoir partagé plusieurs exemples, les membres du panel ont abordé le rôle des technologies et du secteur privé dans l’octroi d’une identité juridique à tous, en insistant sur la place des réseaux mobiles, étant donné le taux de pénétration de cette technologie dans les pays en développement. « Les services mobiles constituent souvent le seul point d’accès pour un grand nombre de personnes, en particulier les réfugiés et les migrants », a indiqué John Guisti, de la GSMA.
Le panel s’est par ailleurs intéressé aux questions de vie privée, de protection des données et de mise en place de garde-fous techniques et juridiques pour le partage et la ré-exploitation de données biométriques par des prestataires de services publics ou commerciaux. Les intervenants ont insisté sur le fait, qu’à terme, l’efficacité des systèmes d’identification dans les pays en développement était liée à l’engagement des dirigeants politiques mais également aux passerelles établies entre ces dispositifs et les programmes de délivrance de services.
Les progrès techniques actuels offrent une occasion sans précédent de faire de l’identité juridique pour tous une réalité. Faisons en sorte que chacun compte !
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