Publié sur Voix Arabes

MENA: Il est urgent de reconstruire le contrat social pour assurer une reprise post-COVID

????? ?? ????? ???? ???? ????.  anasalhajj / Shutterstock.com أطفال في اليمن أمام مبنى مدمر. anasalhajj / Shutterstock.com

Les soulèvements de 2011 ont obligé les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord (MENA) à reconnaître les failles de leur contrat social à l’origine de la rupture des relations entre l’État et les citoyens. Au moment d’envisager les différentes options post-COVID, les responsables politiques ont de nouveau l’occasion de repenser, restructurer et renouveler ce contrat afin de favoriser l’émergence d’une société plus homogène sur des bases plus satisfaisantes. 

Dans le premier billet de cette série consacrée aux axes d’action des pays pour surmonter la pandémie de COVID-19, nous avons plaidé pour des réformes audacieuses dans la région, dans le but de contrecarrer l’aggravation de la pauvreté, le mécontentement grandissant de la population et la dégradation des résultats socio-économiques. Le recul de la satisfaction de vivre a nourri les vagues de mécontentement social de 2011, alors même que les indicateurs macroéconomiques entretenaient un sentiment trompeur de confiance. La conjonction de performances de développement moins favorables et de niveaux de satisfaction de vivre encore plus dégradés, sur fond de frustrations liées à la crise du coronavirus, accentue encore l’urgence des réformes.

Comment s’y prendre ?

Nul besoin d’aller chercher loin la réponse à cette question. Selon un rapport de la Banque mondiale de 2018 (a), la nature des contrats sociaux dans la région constitue la grille de lecture fondamentale pour comprendre les bouleversements de 2011 :

Le contrat social tissé depuis l’indépendance entre les gouvernements et les citoyens reposait sur un principe de contrepartie problématique et non viable : en échange d’emplois dans le secteur public fournis par l’État, de la gratuité de l’éducation et de la santé et de subventions universelles aux produits alimentaires et aux carburants, les citoyens étaient censés se taire et tolérer un certain degré d’accaparement par les élites et de coercition politique.

À partir des années 2000 et avec l’apparition de déséquilibres budgétaires persistants, ces contrats sociaux archaïques ont commencé à se déliter. Le poids du système de subventions générales à l’énergie et l’alimentation sur le budget de l’État devenant insupportable, il fallait engager des réformes. Le secteur public ne pouvait plus être l’employeur de prédilection et les jeunes diplômés de l’université ne pouvaient plus espérer rejoindre la fonction publique. Pénalisé par des distorsions et la mainmise de l’élite, le secteur privé ne créait pas suffisamment d’emplois pour absorber la masse de jeunes accédant au marché du travail. Dans le même temps, les nouvelles générations devenaient adultes : instruites et ouvertes sur le monde, elles étaient impatientes de participer au débat public sur l’action de l’État. Pour toutes ces raisons, la région MENA dans son ensemble affichait l’un des taux de chômage les plus élevés des régions en développement, en particulier chez les jeunes et les femmes. En outre, alors que l’éducation et la santé restaient gratuites et l’énergie et l’eau subventionnées, la qualité de ces services était tellement médiocre que de nombreux habitants préféraient faire appel au secteur privé. Convaincus qu’il fallait entretenir des liens privilégiés avec le pouvoir pour décrocher des emplois de qualité, beaucoup ont commencé à se dire que, quels que soient leurs efforts, ils ne parviendraient pas à avancer.

Les contrats sociaux ne perdurant que par la contrainte et l’exclusion engendrant de la colère chez celles et ceux qui, faute d’avoir les bons contacts, se sentaient dépossédés par rapport aux personnes mieux loties, leur rupture a accentué l’importance accordée à la liberté et enclenché une dynamique pour réclamer un changement politique. (pp. 12-13)

 Cet extrait abrégé du rapport de 2018 décrit la situation d’avant 2011, mais elle n’a rien perdu de sa pertinence. La région se caractérise par une pénurie d’emplois de qualité et un niveau de chômage inacceptable, conduisant de nombreux travailleurs à sortir tout bonnement de la population active. Celles et ceux qui continuent à travailler le font avant tout dans le secteur informel. Inadaptés, les services ne semblent pas devoir s’améliorer — et ce n’est pas la pandémie de COVID-19 qui va arranger les choses. Les débouchés économiques sont restreints, la misère gagne du terrain, l’environnement des affaires est médiocre et les règles du jeu sont faussées. Les élites contrôlent la sphère économique, dominée par des entreprises publiques et des monopoles privés. Rien d’étonnant à ce que les frustrations contenues augmentent à mesure que recule la satisfaction de vivre. Le contrat social est resté figé dans l’état où il se trouvait il y a dix ans.

Trois grands enseignements ressortent de cette analyse, qui pourraient orienter les réflexions sur les options de reconstruction post-COVID s’ouvrant à la région.

Première leçon : la réforme du contrat social est plus impérative que jamais et doit être au cœur des mesures de redressement national. Le rapport cité précédemment propose un point de départ. Il montre comment la satisfaction de vivre est étroitement corrélée à la qualité des services, la liberté de décider de sa propre vie, la perception de la corruption et le bien-être économique. Repenser et renouveler le contrat social exige de combattre la corruption, de renforcer la transparence et, surtout, de créer des opportunités économiques meilleures et plus inclusives.

Image

Deuxième leçon : une guerre civile ne rime pas avec des résultats plus satisfaisants. Et une révolution politique ne garantit pas non plus l’amélioration du contrat social. La participation accrue des citoyens à la prise de décisions conduirait à renforcer la satisfaction de vivre, mais ces changements sont délicats à introduire sans la coopération des groupes de pression solidement établis qui ont la capacité de susciter l’instabilité. À long terme, il est de l’intérêt de toutes les parties prenantes, en particulier celles qui sont en position de force politique, économique ou sociale, d’ouvrir la voie à une nouvelle génération d’intellectuels et d’entrepreneurs et de faciliter leur épanouissement.

Troisième leçon : les mesures progressives introduites face au mécontentement de la population ne constituent pas une alternative séduisante. De nombreux pays de la région MENA affichent aujourd’hui un degré de satisfaction de vivre bien inférieur aux niveaux observés en 2010 (voir graphique). Rares sont ceux qui, à l’instar du Maroc, semblent échapper à cette tendance. Ils pourraient servir d’exemples à suivre.

Alors que les pays réfléchissent à l’après-COVID, ils doivent le faire en ayant pour objectif d'améliorer leur contrat social. Ce que l’on a qualifié, un peu légèrement, de « printemps arabe » n’a guère eu d’effets positifs et n’a pas amélioré le contrat social. Même les pays ayant opté pour des réformes progressives ont dans une large mesure échoué. Une fois la pandémie derrière nous, les gouvernements devront proposer des solutions plus efficaces pour renforcer le contrat social. Ils seront sur une corde raide, car les réformes doivent être suffisamment rapides pour satisfaire les citoyens mécontents — en particulier, les plus jeunes d’entre eux — mais suffisamment bien conçues pour ne pas susciter l’opposition des puissantes élites.

La Banque mondiale est mobilisée pour aider la région MENA à aller de l’avant et se forger un avenir meilleur. Nous continuerons à appliquer une stratégie articulée autour de deux axes : traiter « l’urgence absolue du moment » et planifier le moyen et le long termes. Dans l’immédiat, nous soutenons les pays face à la crise à travers des financements de court terme et des investissements dans des projets sanitaires et de protection sociale d’urgence. Avec nos collègues de la Société financière internationale (IFC), nous allons injecter des liquidités dans les petites et moyennes entreprises pour qu’elles puissent se maintenir à flot.

Dans les prochains billets de cette série, nous aborderons la manière dont des réformes « gagnant-gagnant » peuvent être introduites pour accroître la productivité des plus pauvres et améliorer la qualité des services. Nos analyses privilégieront les populations au bas de la pyramide économique, les prises de décision étayées par des données probantes, la transformation numérique et l’efficacité de l’administration afin de mettre en exergue des réformes à même d’améliorer le quotidien de la majorité des habitants et d’obtenir le soutien politique indispensable à leur succès.

Ce billet est le deuxième d’une série initiée par Ferid Belhaj (vice-président pour la région MENA) consacrée aux axes d’action de la Banque mondiale pour aider les pays à surmonter la pandémie de COVID-19 et ses conséquences socio-économiques. Il a été coécrit avec Johannes Hoogeveen, chef de la division MENA au sein du pôle Pauvreté et équité.

 


Auteurs

Ferid Belhaj

Vice-président du Groupe de la Banque mondiale pour la Région Moyen-Orient et Afrique du Nord

Johannes Hoogeveen

Responsable mondial pour les États fragiles et touchés par un conflit

Prenez part au débat

Le contenu de ce champ est confidentiel et ne sera pas visible sur le site
Nombre de caractères restants: 1000