L’apprentissage de la lecture est profondément influencé par les capacités linguistiques qui se commencent à se développer à la naissance. Pour être capable de lire et comprendre des notions, les enfants doivent prononcer des mots (décoder) et comprendre ce que ces mots signifient (compréhension du langage). La compréhension en lecture est le produit de ces deux tâches et un déficit dans l'une ou l'autre de ces compétences limitera considérablement la capacité de lecture d'un enfant.
Comme le montrent les recherches de Grabe et Stroller (2011), les locuteurs natifs commencent souvent l'école avec un vocabulaire de 5 000 à 7 000 mots, alors que les locuteurs non natifs peuvent avoir un vocabulaire dans la langue d'enseignement (LE) de seulement 50 mots ou moins, ce qui les place dans une position extrêmement désavantageuse. C'est la réalité de millions d'enfants en Afrique de l'Ouest et du Centre qui sont privés de la possibilité d'apprendre dans une langue qu'ils parlent et comprennent aisément.
La langue d'enseignement est déterminante pour les résultats d’apprentissage
Il y a environ un an, la Banque mondiale lançait sa stratégie d'éducation pour l'Afrique de l'Ouest et du Centre (AFW), De l'école à l'emploi: un voyage pour les jeunes d'Afrique de l'Ouest et du Centre. La Stratégie fournit une feuille de route pour les interventions visant à améliorer les résultats scolaires à tous les niveaux.
Malgré les progrès récents, l'éducation dans la région est en crise : 80 % des enfants de 10 ans d'AFW sont incapables de lire et de comprendre un texte simple, une condition appelée pauvreté d'apprentissage. Pour permettre des progrès rapides, la stratégie régionale préconise l'enseignement dans une langue que les enfants comprennent (de préférence celle qu’ils comprennent le mieux) pour les premières années de scolarité avant de passer à un apprentissage dans une autre langue.
Des idées reçues obscurcissent le discours et l'élaboration des politiques concernant la langue d'enseignement, notamment les à priori selon lesquels les politiques promouvant l’enseignement en langues locales sont impossibles à mettre en œuvre dans des environnements linguistiquement complexes, la croyance que l'enseignement de la première langue limite les opportunités à l’international, ou que la transition vers une seconde langue peut entraver l'éducation. Pourtant, les preuves montrent que les enfants qui apprennent efficacement à lire la langue qu’ils comprennent le mieux transfèrent les compétences de lecture dans une seconde langue, telle que l'anglais ou le français, et peuvent surpasser leurs pairs dans cette langue. Pour cette raison, il est important de suivre et tirer des leçons des quelques exemples de pays de la région car leur expérience fournira des preuves supplémentaires sur la façon dont la langue d'instruction impacte les résultats scolaires.
Des efforts prometteurs en Gambie
En Gambie, où l'anglais est la langue d'enseignement, une appréciation de l'utilisation des langues nationales existe depuis longtemps, mais les données sur la couverture et l'utilisation des langues sont limitées, et il n'existe aucune politique linguistique nationale formelle. En 2011, un programme pilote intitulé “ Early learning in national languages ” a appris aux enfants à lire dans cinq langues nationales.
Les élèves de 1re année du projet pilote ont surpassé les élèves non participants dans la reconnaissance des sons des lettres et la lecture de mots simples. De plus, de nombreux participants pilotes étaient capables de lire des mots anglais. Avec le financement et l'assistance technique de la Banque et de SIL Africa, le gouvernement entreprend actuellement les premières étapes pour intégrer l'utilisation des langues nationales dans un programme révisé.
Des consultations et des ateliers avec diverses parties prenantes ont été organisés pour guider l'élaboration d'une politique de Langues d'Enseignement (LE) et d'un plan opérationnel pour l'utilisation des langues nationales. Le gouvernement a récemment mené un exercice de cartographie linguistique de toutes ses écoles élémentaires inférieures pour documenter les langues que les enfants parlent lorsqu'ils commencent l'école, entre eux et dans les communautés et dans quelle mesure ils maîtrisent ces langues, ainsi que celles que les enseignants parlent et dans lesquelles ils sont alphabétisés. Les Gambiens ont un chemin important à parcourir, mais la collecte de données et les consultations des parties prenantes sont des premières étapes très concrètes et déterminantes.
Au Sénégal, l’alphabétisation en langues locales continue de gagner du terrain
Le Sénégal, qui a plus de 20 ans d'expérience dans les approches d'éducation bilingue, est à un stade plus avancé. Actuellement, la principale langue d'enseignement est le français, qui est parlé par 37% de la population et est considéré comme la première langue de moins de 50 000 personnes sur une population de 14 millions, selon les données de 2013.
Le Projet d'amélioration de la performance du système éducatif (PAPSE) financé par la Banque mondiale soutient l'alphabétisation dans les langues locales de la 1re à la 3e année du primaire. Le projet PAPSE s'appuie sur les interventions soutenues par l'USAID pour l'enseignement des langues locales Wolof, Pulaar, Seerer, Mandinke et Soninke dans neuf régions ciblées. Le projet PAPSE vise à étendre l'approche à trois régions supplémentaires et introduira probablement une sixième langue (Joola) dans le programme scolaire à la suite d'une cartographie linguistique scolaire.
Le projet PAPSE cherche également à institutionnaliser l'approche instruction en langues locales à travers une démarche d'enseignement bilingue élargie qui introduit non seulement des modules d'alphabétisation en langues nationales dans la formation initiale des enseignants pour mieux outiller ceux du primaire, mais aussi une formation intensive de personnes ressources en alphabétisation qui seront déployées dans les régions pour soutenir des approches pédagogiques efficaces dans les salles de classe.
Des défis importants en matière de LE au Tchad
Au Tchad, les défis liés à la langue d'enseignement sont relativement intimidants. Le français et l'arabe sont les langues officielles d'enseignement mais sont rarement parlés par la population tchadienne. On estime que 130 autres langues sont utilisées dans le pays.
En 2022, le Tchad a reçu une subvention de la Banque mondiale dans le cadre du projet d'amélioration des résultats d'apprentissage, qui finance des interventions pour l'enseignement dans les langues nationales - Mada, Arabe tchadien, Massa, Moundang et Sar - de la 1re à la 3e année du primaire. Le projet vise à atteindre 1200 écoles avec des enseignants qui maîtrisent et ont été formés pour un enseignement efficace dans certaines de ces langues nationales. Conformément aux orientations de la Banque Mondiale en matière de LE qui préconisent notamment une coordination entre toutes les parties prenantes, des campagnes de sensibilisation des communautés sont prévues dans le cadre du projet pour informer la population de l'importance de l'enseignement dans la langue que les enfants comprennent le mieux, et ainsi permettre un plus fort engagement à tous les niveaux de l’échiquier.
Prioriser des approches d'enseignement sensibles à la question de la langue
Conformément à la stratégie d'éducation de la Banque mondiale pour l'Afrique de l'Ouest et du Centre, les réformes touchant à la LE nécessitent un travail collectif entre les parties prenantes pour parvenir à ce que la langue ne soit plus un obstacle mais un pont vers une éducation inclusive et de qualité. En donnant la priorité aux approches centrées sur la langue, les gouvernements et les parties prenantes peuvent collectivement donner à chaque enfant les moyens de lire, de comprendre et de réussir, et, ce faisant, favoriser la marche vers une région prospère offrant des opportunités éducatives et économiques plus équitables.
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