Publié sur Investing in Health

Comment Madagascar s’emploie à lutter contre le fléau des retards de croissance et à améliorer le développement du jeune enfant

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Des femmes et leurs enfants partagent un repas au centre de nutrition de Soanierana
(dans le nord-est de Madagascar) après un atelier de cuisine qui leur a montré comment
préparer une alimentation riche en nutriments.
Photo: Erick Rabemananoro

À Analamanga, des jeunes femmes attendent leur tour, leur bébé dans les bras, au centre du Programme national de nutrition communautaire (PNNC). Un agent de santé vérifie le poids et l’âge d’une petite fille de six mois et note minutieusement ces informations. Pour la plupart des nouvelles mères, c’est le poids de leur bébé qui détermine avant tout l’état de santé de l’enfant. Pourtant, la taille constitue le paramètre le plus important afin d’anticiper l’évolution de la croissance et de la santé des nourrissons.

Selon les statistiques, la taille de nombreux enfants malgaches est très largement au-dessous de la moyenne, ce qui peut préfigurer un retard de croissance. Ce retard statural, un retard de croissance où un enfant n'attient pas une taille normale pour son âge, n’est pas qu’un simple problème de croissance. En effet, il s’accompagne souvent de difficultés de développement et de déficiences cognitives irréversibles qui entraîneront des difficultés de scolarité chez l’enfant et limiteront à terme ses perspectives d’emploi.
 
L’Organisation mondiale de la santé (a) estime qu’à l’échelle mondiale, plus de 160 millions d’enfants de moins de cinq ans souffrent d’un retard de croissance. La situation à Madagascar est l’une des plus critiques au monde, car ce problème touche 50 % des enfants de moins de cinq ans.
 
La communauté internationale est aujourd’hui consciente des effets dévastateurs de la malnutrition et des retards de croissance à l’échelle des individus mais aussi des économies. Comme en témoigne l’Objectif de développement durable n° 2, qui vise « d’ici à 2030, à mettre fin à toutes les formes de malnutrition, y compris en réalisant d’ici à 2025 les objectifs arrêtés à l’échelle internationale relatifs aux retards de croissance et à la maigreur parmi les enfants de moins de cinq ans ».

Grâce à des travaux de recherche récents, on connaît mieux les multiples facteurs qui contribuent aux retards de croissance, des carences nutritionnelles aux mauvaises pratiques d’hygiène en passant par l’insuffisance des soins prodigués aux mères. Toutefois, éliminer les causes complexes de ces phénomènes dans le cadre de nos interventions s’avère bien plus difficile qu’il n’y paraît.
 
Identifier ce qui est efficace
 
Les évaluations de nos programmes donnent des résultats mitigés lorsqu’il s’agit d’analyser leur impact réel et les lieux et circonstances de leur échec éventuel. Une étude de la Banque mondiale (a) a démontré que, si nombre d’interventions de lutte contre la malnutrition ont un impact positif sur la taille, le poids et/ou le poids de naissance des enfants, il n’existe pas une réponse unique pour déterminer « ce qui a marché ».
 
C’est exactement la difficulté à laquelle sont confrontées les autorités de Madagascar et la raison pour laquelle, afin de déterminer ce qui fonctionne dans ce domaine complexe, elles s’emploient à privilégier une approche expérimentale et un processus d’apprentissage adaptatif.  
                                                                                        
Le Programme national de nutrition communautaire de Madagascar est mis en œuvre sous diverses formes depuis 1993. Aujourd’hui, il gère 7 000 sites implantés dans cinq régions rurales et destinés à aider 2,1 millions de mères et d’enfants de moins de cinq ans.
 
Au début, l’ampleur et l’intensité des actions menées étaient impressionnantes, mais une succession de crises politiques et économiques a limité la portée des premiers succès. Les résultats d’une étude d’impact à long terme et à séries multiples (1998-2011) ont montré que si le programme avait un certain effet sur le poids, réduisant ainsi la prévalence de l’insuffisance pondérale chez les enfants, il n’avait pas d’impact significatif sur la taille par rapport à l’âge, donc sur le retard de croissance staturale. Dans un pays où 50 % des enfants souffrent d’un tel retard, la situation était alarmante.

Avec l’aide de la Banque mondiale, le gouvernement s’est donc appuyé sur ces résultats pour redéfinir des axes stratégiques et revoir la conception du programme. Ce travail visait tout particulièrement à comprendre la raison de l’absence d’impact significatif sur la réduction des retards de croissance.
 
Plusieurs problèmes ont ainsi été mis en évidence. Par exemple, comme bien d’autres pays à cette époque, Madagascar était tombé dans le piège de la sous-estimation de la croissance staturale et s’était au contraire concentré sur l’insuffisance pondérale des enfants.
 
En outre, l’accent mis sur le déploiement à grande échelle du programme de nutrition n’avait pas permis d’en accroître l’impact. Au contraire, cette accélération avait compromis l’intensité et la qualité des interventions, en raison d’une prise en compte insuffisante des besoins de formation, du maintien de la qualité et de la surcharge de travail des équipes de terrain. 

L’évaluation a également révélé que, même si la mise en œuvre du programme pouvait être améliorée, les modalités initiales de fourniture du service n’avaient pas été conçues de manière à pouvoir obtenir une baisse réelle du taux de retards de croissance.
 
Ces conclusions coïncidaient avec de nouvelles recherches scientifiques portant plus largement sur la nutrition et les changements comportementaux, ainsi qu’avec l’émergence de démarches innovantes en matière de développement. Citons par exemple les séries d’articles de la revue The Lancet sur le développement de l’enfant (2007, 2011) et sur la nutrition (2008) : ces articles ont mis en lumière de nouveaux éléments dans nombre de domaines et souligné combien il était important que les programmes ciblent avant tout les 1 000 premiers jours de la vie des enfants, mais aussi qu’ils se fondent sur des approches intégrées pour améliorer le développement infantile.
 
Enfin, de hauts responsables du gouvernement malgache se sont rendus au Bangladesh pour découvrir sur place comment ce pays avait réussi à réduire son taux de retards de croissance en quelques années seulement (entre 1997 et 2011). Dès leur retour, plusieurs volets du programme ont été redéfinis et intensifiés.
 
Avec le concours de l’Association internationale de développement (IDA), et plus précisément au titre du Projet d’appui d’urgence aux services essentiels en matière d’éducation, de santé et de nutrition, un programme pilote d’études comparatives randomisées a été élaboré pour vérifier l’efficacité de diverses interventions. Il s’agit de tester des aspects et échelons spécifiques des interventions afin de mettre en œuvre ceux dont l’efficacité est démontrée, dans le cadre des structures et programmes existants dans le pays.
 
Le programme pilote vérifie notamment si l’intensification du conseil aux mères (un facteur de succès essentiel au Bangladesh) et l’usage de compléments nutritionnels lipidiques peuvent constituer des mesures préventives efficaces. Des activités de développement de la petite enfance, relevant normalement de l’enseignement préscolaire, sont par ailleurs organisées dans les sites de nutrition afin de favoriser le développement cognitif précoce des enfants.
 
À mi-parcours, les premiers résultats du programme pilote sont positifs. L’intensification du conseil aux mères, associée à la distribution de compléments nutritionnels lipidiques au cours des 1 000 premiers jours de vie des enfants, sont parmi les interventions qui permettent d’obtenir des résultats tangibles à Madagascar. Enfin, les activités de développement de la petite enfance semblent également prometteuses.
 
Le rôle de la « conception centrée sur l’humain »
 
Pour lutter contre la persistance de taux élevés de malnutrition, il est aussi indispensable de susciter de profonds changements de comportement au niveau individuel et dans la société.
 
En liaison étroite avec les Laboratoires d’innovation de la Banque mondiale, le Pôle d'expertise en Santé, nutrition et population collabore avec le gouvernement malgache pour introduire une méthode de conception des programmes de nutrition « centrée sur l’humain ». Grâce à cette méthode, les chercheurs peuvent comprendre avec beaucoup plus de précision qui sont les bénéficiaires d’un programme et quels sont leurs comportements. Elle nous permet de concevoir des interventions mieux adaptées aux attentes de ces bénéficiaires et aux tendances comportementales. De nouveaux plans d’action destinés à inciter les personnes à adopter des comportements différents peuvent ainsi être mis sur pied et testés rapidement et à moindre coût.

Cette méthode nous a déjà fourni des informations inédites et très utiles sur les préférences alimentaires et les modes de prise de décision au sein des foyers, autant de données essentielles pour redéfinir des interventions réellement efficaces.
 
Des pays tels que le Bangladesh, le Sénégal et le Pérou ont réussi à inverser la courbe des retards de croissance et de la malnutrition en concevant des interventions adaptées à leur propre contexte. Aujourd’hui, Madagascar est, nous l’espérons, prêt à faire de même.
 
Cet article est le premier d’une série de quatre publications axées sur le recours à l’apprentissage adaptatif, l’innovation, les changements comportementaux et la conception centrée sur l’humain pour relever les défis complexes de la nutrition à Madagascar.


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