Le séisme qui a dévasté Haïti en janvier 2010 a fait plusieurs milliers de morts et causé des dommages estimés à 7,8 milliards de dollars, dont plus de 3 milliards de dollars dans le secteur du logement.
Ceux qui n’ont entendu que des témoignages montrant l’incapacité d’Haïti à faire face aux conséquences de cette catastrophe seront étonnés d’apprendre que plusieurs pratiques exemplaires développées ici à la suite du séisme ont déjà été redéployées dans d’autres situations de catastrophe.
Il faut d’abord souligner que la réponse au problème des Haïtiens qui n’avaient plus de toit a été immédiate et tout à fait remarquable. De fait, en l’espace de quatre à cinq mois, un abri, sous une forme ou une autre, a été fourni à 1,5 million de personnes déplacées. Le processus de remise en état et de reconstruction des habitations a également donné lieu à de bonnes pratiques : évaluation de l’habitabilité, y compris dans les zones d’habitation informelles, transferts monétaires conditionnels aux ménages urbains locataires, réhabilitation des bidonvilles et nombreux cas de gestion efficace de l’information.
Néanmoins, tout n’a pas été exemplaire, et les organisations qui avaient participé au relèvement du pays ont établi un bilan précis de leurs actions au cours des années qui ont suivi. En 2014, la Banque mondiale a contribué à ce bilan collectif par une analyse inédite, qui expose les principaux problèmes liés à l’atténuation du risque, à l’hébergement d’urgence et au relogement, ainsi que les leçons qui en ont été tirées. Cette analyse s’appuie sur le crowdsourcing, c’est-à-dire sur les informations émanant de nombreuses personnes qui ont œuvré à la reconstruction en Haïti.
En collaboration avec la Fédération internationale de la Croix-Rouge (FICR), UN-Habitat, Habitat for Humanity International et la Facilité mondiale pour la prévention des risques de catastrophes et le relèvement (GFDRR), la Banque mondiale a examiné en détail la manière dont Haïti a fait face à la catastrophe, tout particulièrement durant la phase de transition cruciale, lorsque les personnes déplacées ont quitté les camps provisoires pour être relogées.
Ce rapport (qui sera publié par la Banque mondiale dans le courant de l’année) montre comment les décisions prises au début des opérations de secours ont influé sur la situation du relogement des sinistrés.
L’importance inattendue de l’évaluation du bâti. La Banque mondiale et plusieurs autres organisations ont soutenu la décision du gouvernement haïtien de procéder à une évaluation de toutes les constructions dans les zones touchées par le séisme, y compris dans les zones d’habitation informelles, afin d’éviter que la liste des morts et des blessés ne s’allonge à cause de la non-sécurisation des bâtiments. Au cours des six premiers mois qui ont suivi la survenue de la catastrophe, l’habitabilité de 250 000 bâtiments a été évaluée, et, sur dix-huit mois, plus de 400 000 bâtiments ont été examinés. L’importance de cette décision est apparue plus clairement au fil du temps. En effet, les données recueillies ont, entre autres, permis d’évaluer le risque dans les différents quartiers et d’estimer les coûts de la reconstruction, ce qui n’était pas prévu initialement. Cette expérience a montré qu’il ne fallait pas partir du principe qu’on aurait une meilleure évaluation ultérieurement, mais qu’il fallait réfléchir aux possibilités d’utiliser immédiatement ces données et donc concevoir le diagnostic du bâti dans cette perspective.
Les coûts et avantages des T-shelters. L’une des décisions les plus importantes a résidé dans la construction de 110 000 habitations provisoires. D’après les estimations, 500 millions de dollars ont été levés à cette fin et de nombreux ménages ont reçu une aide. Cependant, ces T-shelters, comme on les appelle à Haïti, n’ont pas fait diminuer significativement le nombre de personnes déplacées qui vivaient dans des camps depuis le séisme, car beaucoup de ces habitants n’étaient pas propriétaires et ne possédaient donc pas de terrain sur lequel un abri de transition pouvait être érigé. De fait, pour la plupart de ces ménages locataires, les camps étaient les seuls endroits susceptibles d’accueillir des T-shelters. Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), environ 20 % des 123 camps où vivaient encore 23 000 familles en septembre 2014 se composaient essentiellement de ces constructions provisoires.
L’utilité des transferts monétaires conditionnels. Le financement des programmes de réparation des bâtiments a été insuffisant pendant les premiers mois de la reconstruction, en raison des problèmes techniques rencontrés par les donateurs et de leurs difficultés à déployer leurs projets. Mais les stratégies sur lesquelles reposait le relogement des ménages urbains pauvres (départs naturels, T-shelters) ont de plus en plus montré leurs limites à mesure que le nombre de ménages locataires accueillis dans les camps augmentait, alors même que la population des camps était tombée à environ 500 000 personnes à la mi-2012. Cette situation a été à l’origine de l’une des véritables innovations apportées par le processus de relogement en Haïti : le programme de subventionnement des loyers, fruit d’un effort commun de la FICR, de l’OIM, de nombreuses organisations non gouvernementales (ONG), de la Banque mondiale et d’autres institutions. Tous ces acteurs ont financé une allocation destinée à aider les familles à quitter les camps en couvrant leurs frais de déménagement et plusieurs mois de loyer. Lorsque ce processus a été standardisé et mis en œuvre à grande échelle, les propriétaires ont étoffé l’offre locative et le nombre de locataires pauvres vivant dans les camps a nettement diminué.
Le défi de la coordination de la reconstruction. Toute analyse du relèvement d’Haïti doit nécessairement se pencher sur deux des plus grands problèmes qui se posent pour la reconstruction après une catastrophe : celui des capacités institutionnelles et celui de la coordination. Par définition, une catastrophe est un événement qui dépasse les capacités des pouvoirs publics d’un pays à gérer cette situation. La coordination est ce qui permet aux intervenants extérieurs d’aider à remédier à ces lacunes. Mais il est crucial de trouver un juste équilibre entre solidarité et souveraineté, c’est-à-dire d’apporter une assistance sans empiéter sur les prérogatives de l’État. En Haïti, les tensions que ces problèmes créent périodiquement entre l’État, la Commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti, récemment créée, et les organismes d’aide extérieurs, tels que les ONG, ont mis en péril l’ensemble du processus de reconstruction.
Alors que, avant même l’évaluation des besoins post-catastrophe, des mécanismes de coordination de l’aide humanitaire internationale, et notamment le système de « clusters », avaient été dûment déployés en Haïti, seules quelques-unes des 10 000 ONG qui sont intervenues après le séisme (selon une estimation de la Brookings Institution) étaient enregistrées auprès des pouvoirs publics haïtiens ou participaient aux réunions des clusters.
L’analyse que la Banque mondiale va publier examine ces éléments factuels et se demande si une meilleure coordination aurait permis une reconstruction plus sûre, plus efficiente et d’un bon rapport coût-efficacité en imposant des mesures plus ciblées pour réduire la vulnérabilité aux séismes ou à d’autres aléas naturels.
Les leçons d’Haïti. Depuis le séisme, le gouvernement haïtien a pris plusieurs mesures à la fois pour accroître le nombre de logements à coût abordable et pour rendre ces logements plus sûrs. Il a notamment créé un organisme de coordination, l’Unité de construction de logements et de bâtiments publics, qui supervise les interventions des donateurs et des pouvoirs publics et qui a défini la première politique de logements abordables du pays ainsi que sa première stratégie de réhabilitation des bidonvilles.
À travers le monde, l’expérience haïtienne a insufflé un élan aux projets destinés à standardiser la coordination des opérations de reconstruction, tels que la rédaction d’un guide pour l’élaboration de cadres de relèvement post-catastrophe, récemment élaboré par la GFDRR de la Banque mondiale. Ces initiatives offrent des possibilités considérables pour mieux définir les règles de planification, de financement et de coordination de la reconstruction, comme cela a été fait avec succès pour la coordination de l’aide humanitaire au cours de la dernière décennie.
Aux Philippines par exemple, des milliers de personnes touchées par le typhon Haiyan ont bénéficié des leçons tirées des actions menées à Haïti : la réduction des risques de catastrophes est devenue un principe fondamental qui a guidé la reconstruction, et les ménages ont obtenu une aide financière pour faire face à leurs besoins immédiats.
Même si aucune catastrophe récente ne montre clairement que les leçons tirées à Haïti ont été pleinement prises en compte, nous pouvons remercier ce pays pour ce qu’il nous a appris sur la façon de travailler ensemble plus efficacement dans l’optique d’une reconstruction résiliente.
Les organisations internationales doivent continuer de porter un regard critique et objectif sur leurs programmes de relèvement et en tirer des enseignements. Mais surtout, il faut que les pouvoirs publics en tirent eux aussi des enseignements et les mettent à profit, de même que les citoyens, car ce sont eux qui bénéficieront in fine de programmes de reconstruction bien gérés.
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